Dans la contestation qui persiste sur le dossier des retraites, le gouvernement joue un jeu dangereux, qui échappe manifestement à Emmanuel Macron : passer en force, sans répondre clairement aux opposants qui se radicalisent (mais en lâchant de coûteuses concessions pour éviter des blocages majeurs). Cette technique qui s'assied allègrement sur la logique de dialogue expose fortement le pays à un risque d'implosion massive.
On vit dans un monde de fous. #greve9janvier pic.twitter.com/CoSE9R2HIl
— Taha 📷 (@MTGphotographe) January 9, 2020
La réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron vire à l’affaire des Gilets Jaunes. D’un côté, une contestation rampante dans les rues, persistante, entêtante, tourne progressivement à la radicalisation. Les images que nous affichons ici le montrent. La manifestation parisienne de ce jour a donné lieu à des scènes violentes et les confrontations entre protestataires et forces de l’ordre tournent peu à peu au vinaigre. D’un autre côté, le gouvernement droit dans ses bottes tourne le dos à la contestation et impose une politique envers et contre tout.
Les retraites et l’étrange entêtement d’Édouard Philippe sur l’âge-pivot
Un jour, au calme, il faudra chercher à comprendre l’étrange scénario psycho-rigide qui a mis des centaines de milliers, probablement des millions de Français dans la rue pour la défense d’un âge-pivot qui n’a guère de sens. Bien entendu qu’il est important de défendre les comptes publics et leur équilibre. Mais la meilleure défense de ceux-ci passait par une négociation pacifique avec la CFDT pour faire passer la réforme avec un minimum de concessions à lâcher. Loin de cette solution de bon sens, Édouard Philippe a choisi l’inverse : cliver, affronter, et en bout de course payer plus cher l’adoption d’une mesure qui bénéficiait d’un soutien syndical initial utile.
Pour gagner quoi? Édouard Philippe souhaite un âge-pivot à 64 ans et les Français partent effectivement à la retraite aujourd’hui après 63 ans. Autrement dit, le coût politique de son entêtement sera très élevé (probablement plusieurs milliards par an pendant plusieurs décennies) pour un bénéfice financier quasi-nul. C’est absurde. C’est incompréhensible.
Les élites parisiennes n’aiment pas le dialogue social
En termes de gouvernance, le spectacle donné par Édouard Philippe procède au mieux d’un populisme poujadiste. Au lieu d’une réforme négociée à l’allemande, avec bon sens et mesure, le Premier Ministre choisit la voie d’un affrontement sans compromis apparemment possible. Cette attitude disqualifie par principe la notion de dialogue social. On retrouve la préférence de la bourgeoisie parisienne pour l’ordre imposé à la réforme négociée.
On comprend que cette stratégie flatte l’électorat de droite à l’approche d’élections municipales où En Marche n’a plus guère d’espace que sur les terres des Républicains. La fermeté est sans doute perçue comme payante électoralement. Le calcul du Premier Ministre, et peut-être d’Emmanuel Macron, ne doit pas aller au-delà. Pendant ce temps, c’est une sorte d’équilibre sous-optimal qui se met en place et se généralise : la dispute vaudrait mieux que la concorde.
Jusqu’où la surdité sociale peut-elle mener ?
Toute la question est de savoir à quel risque le Premier Ministre expose le pays en menant cette stratégie de l’extrême. En regardant les images tournées dans le cortège qui a défilé à Paris, la montée de la violence et des tensions est flagrante. C’est le prix à payer pour cette rigidité où le pouvoir exécutif assume de passer en force malgré les blocages. Progressivement, comme l’an dernier avec les Gilets Jaunes, la rue se durcit, et les opposants qui n’abandonnent pas le combat se montrent de plus en plus agressifs.
On a tous bien compris que le gouvernement ne peut pas abandonner la partie sans dommage politique majeur après plus d’un mois passé dans cette seringue du conflit social qu’il a absurdement choisi. Il n’en reste pas moins que le compromis rapide souhaité par le Président n’est pas prêt d’arriver, et que le projet de loi sera déposé sans compromis préalable.
C’est le genre de stratégie qui passe ou qui casse. Peut-être le gouvernement fera-t-il passer sa réforme sans avoir convaincu de son bien-fondé. Peut-être, à force de tirer sur la corde sociale, finira-t-elle (ce que nous croyons inévitable dans les six mois à venir sans pouvoir le prouver) par casser. Il faut que nous ayons bien conscience que cette rupture (pour, au fond, pas grand chose) risque d’avoir des conséquences désastreuses, voire cataclysmiques.
Il y a trois sortes d’esprit. Les uns entendent par eux-mêmes ; les autres comprennent tout ce qu’on leur montre ; et quelques uns n’entendent, ni par eux, ni par autrui. Les premiers sont excellents, les seconds sont bons, et les derniers inutiles.
Nicolas Machiavel
Ca peut durer tant que les policiers continuent à taper, c’est-à-dire quelques mois, voire quelques années.
Et comme la violence attise la peur des trouillards du « parti de l’ordre » (ordre apparent, désordre réel), ça favorise la ré-élection de la marionnette du Système mondialisé.