Le déconfinement aura-t-il lieu le 11 mai ? À la sortie de sa présentation devant l’Assemblée Nationale, le plan d’Édouard Philippe avait introduit de tellement de nuances qu’on ne savait plus trop à quoi s’en tenir. Manifestement, il y a eu de la friture sur la ligne entre Édouard Philippe et Emmanuel Macron, au point que la principale leçon à retenir de cette séance à l’Assemblée Nationale est que, sur le pédalo gouvernemental, les pédaleurs ne pédalent plus dans le même sens.
Macron avait exclu un déconfinement par région…
Initialement, Emmanuel Macron avait écarté l’idée d’un déconfinement par régions. La semaine dernière encore, devant des maires, il avait tenu un discours assez carré sur le sujet, affirmant que le déconfinement “ne se fera pas de manière régionalisée”, contrairement à ce que demandaient notamment certains élus régionaux.
Il est vrai que, dans la foulée, son entourage tenait des propos contraires, affirmant qu’il y aurait une “territorialisation” du déconfinement. Il faut sans doute voir dans ce revirement, ou dans ces nuances, l’expression du “en même temps” si subtil d’Emmanuel Macron, qui autorise à annoncer tout et son contraire dans une même conversation.
Il n’en reste pas moins que le plan présenté par Édouard Philippe est radicalement différent de cet empressement à déconfiner le 11 mai qu’avait exprimé le Président de la République.
Édouard Philippe annonce que le déconfinement n’aura pas lieu partout au même moment
La position finale d’Édouard Philippe est donc très différente de ce cadre initialement fixé. D’abord, le Premier Ministre a confirmé la date du 11 mai comme celle du début du déconfinement (qui durera jusque début juin), à condition que le nombre de cas ne remonte pas d’ici là. Voilà une sacrée nuance tout de même, qui laisse planer un doute sur la décision finale (il ne faudrait donc pas se réjouir trop vite).
En outre, ce déconfinement suivra effectivement des rythmes différents selon les départements. Stricto sensu, il n’y aura donc pas de déconfinement régional. Il y aura un déconfinement départemental. Jolie nuance jésuitique. Qui plus est, les nuances et circonvolutions du discours sont telles que plus personne ne sait exactement ce qui se passera à Paris le 11 mai. Si l’on ajoute à cela la forte recommandation de maintenir le télétravail chaque fois que cela est possible… On s’aperçoit qu’Édouard Philippe a gentiment renvoyé Emmanuel Macron dans ses buts en rendant le déconfinement effectif début juin.
Édouard Philippe craint-il un Nuremberg du coronavirus ?
La prudence extrême d’Édouard Philippe a des explications multiples. Mais les principales tiennent probablement à la différence de statut entre lui et le chef de l’État. Emmanuel Macron est juridiquement protégé par son inviolabilité constitutionnelle. Aucun tribunal ne pourra lui reprocher une éventuelle faute commise dans le cadre de son mandat.
Pour Édouard Philippe, la situation est un peu différente. Constitutionnellement, il peut tout à fait être traduit devant la Cour de Justice pour des imprudences ou des erreurs dans la gestion de la crise du coronavirus. Certains, notamment des médecins contaminés dans le cadre de leur mission de service public, n’ont pas tardé à saisir celle-ci. Rien n’exclut qu’un Nuremberg du coronavirus ne se tienne en France après la crise.
Dans cet ensemble, Édouard Philippe devra justifier son départ pour une campagne électorale au Havre pendant que la pandémie s’approchait dangereusement de nos frontières.
La tétanie à Matignon avant la démission?
Face à ces perspectives judiciaires, on comprend qu’Édouard Philippe, accessoirement magistrat de son état, soit un peu tétanisé. Son intérêt aujourd’hui consiste en tout cas à prendre le maximum de précaution, quitte à se trouver en désaccord avec le Président de la République.
Politiquement, on voit mal comment la situation pourrait durer. Visiblement, chacun, dans cette affaire, cherche à sauver sa peau ou son avenir plutôt qu’à gouverner. Édouard Philippe voudra sans doute une vie après Matignon. Et Emmanuel Macron ne semble pas encore avoir renoncé à se représenter à la présidentielle. Ce genre de petit calcul sert les destins individuels, mais évidemment pas celui de l’État.
On en veut pour preuve les coups de téléphone qu’Emmanuel Macron a passés à quelques journalistes pour se désolidariser de son Premier Ministre. Le Président a semble-t-il souhaité faire savoir à la presse qu’il ne portait pas la responsabilité de la précipitation avec laquelle Philippe traite le Parlement, en demandant un vote commun sur l’application de pistage des citoyens et sur la validité du plan de déconfinement.
Pour que, dans la Vè République, un Président appelle des journalistes afin de dézinguer son Premier Ministre, il faut que la crise aille loin, très loin, entre les deux hommes. Au point qu’elle ne pourra probablement pas durer.
Vers une logique du ceinture et bretelle ?
Dans tous les cas, Édouard Philippe conduit donc un déconfinement dans une logique de ceintures et bretelles. Il faut que le travail reprenne, mais les employeurs doivent respecter toutes les consignes de sécurité dans leur entreprise. Il faut que les transports en commun reprennent, mais à condition d’équiper tout le monde de masques. Il faut que les écoles rouvrent, mais à condition de ne pas avoir des classes de plus de 15 élèves.
Ces injonctions paradoxales sont évidemment impossibles à tenir. Elles sont le signe d’une paralysie du pouvoir qui, là aussi, ne peut être durable. Autant dire que nous ne sommes pas loin d’une crise politique, bien plus fâcheuse que la crise sanitaire.