Axa a annoncé hier maintenir la distribution d’un dividende, mais diminué de moitié pour tenir compte des appels à la prudence lancés par l’ACPR. Le régulateur européen a maintenu le même jour sa demande aux assureurs de suspendre les distributions de dividendes, en prévision de risques futurs liés à la pandémie. Ces contradictions illustrent la crainte d’une crise systémique dans le secteur.
Axa va donc finalement distribuer un dividende, après avoir suspendu sa décision il y a deux mois. Mais ce dividende sera diminué de moitié pour tenir compte des appels à la prudence lancés par l’ACPR, à 0,73 euro par action contre 1,43 euro prévu initialement. Toutefois, si les conditions de marché et réglementaires s’avèrent plus favorables au quatrième trimestre, le conseil d’administration envisagera de proposer un versement complémentaire aux actionnaires pouvant aller jusqu’à 0,70 euro par action, précise Axa.
La valorisation boursière d’Axa en jeu
La décision prise par Axa intervient dans un contexte mouvementé, pour ne pas dire chaotique. L’assureur est fortement attaqué pour n’avoir pas indemnisé les pertes d’exploitation de certains de ses clients, pour un montant inconnu à ce stade. Chaque jour, des restaurateurs annoncent leur intention de saisir la justice sur cette question, après la victoire du désormais célèbre Manigold, propriétaire du Rostang au tribunal de commerce de Paris.
Sur l’ensemble de la crise du coronavirus, Axa déclare à ce stade un impact de près de 1,5 milliard, dont 300 millions au titre des mesures de solidarité. Malgré ces éléments d’inquiétude, Axa fait une démonstration de force en maintenant une première distribution de dividende en juin, et en provisionnant un second versement à l’automne.
Pour l’entreprise, l’enjeu est évidemment de préserver sa capitalisation boursière face à une éventuelle prédation étrangère, en particulier américaine. Il faut dire que le titre était tombé sous les 15€ en avril, après avoir régulièrement flirté avec les 25€ (les initiés savent que les “marchés” ont régulièrement reproché à Henri de Castries de ne pas mieux valoriser l’action).
L’annonce d’un versement en juin a permis au titre de revenir vers les 20€.
Axa, un enjeu de patriotisme économique
Si peu d’analystes sont aujourd’hui capables d’expliquer précisément l’exposition d’Axa au risque d’OPA hostile venue de l’étranger, il n’en demeure pas moins que la distribution de dividendes par l’assureur est un sujet cornélien pour l’exécutif. D’une part, tout le monde a bien noté que distribuer des dividendes est l’incarnation du mal, désormais. D’autre part, l’un des leaders mondiaux de l’assurance comme Axa doit bien tenir compte de la concurrence capitalistique mondialisée pour survivre. Les discussions avec Generali que nous évoquons par ailleurs en sont la preuve.
Pour l’État, Axa est forcément un interlocuteur particulier, et privilégié, qui serait, dit-on, le premier détenteur de dette française, par l’intermédiaire notamment des en-cours de l’assurance-vie. Et c’est bien toute la difficulté aujourd’hui du gouvernement : une mesure qui fâcherait les assureurs “systémiques”, et surtout les épargnants des assureurs systémiques, pourrait avoir des conséquences immédiates sur la capacité d’emprunt de l’État. Voilà une donnée à bien méditer.
Le régulateur européen fait gloups !
On peut donc imaginer que, face aux grands coups de moulinet dans l’air donnés par notre impayable Bruno Le Maire national, Axa ait trouvé quelques arguments pour convaincre ses interlocuteurs de faire preuve de compréhension vis-à-vis de ses actionnaires soucieux de préserver un petit dividende. Cette distribution est-elle raisonnable ? Il en existe trois lectures. La première dit qu’Axa est assez solide pour verser des dividendes et pour faire face à ses obligations vis-à-vis de ses assurés frappés par les différents sinistres de l’année. La deuxième dit qu’Axa n’est pas assez solide pour faire face à ces sinistres, mais qu’Axa parie sur une aide de l’État en cas de problème, selon le principe du “too big to fail”. La troisième dit que les actionnaires ne se posent pas vraiment la question de la viabilité de l’entreprise et pratique le “advienne qui pourra”.
C’est peut-être sous le jour de ces deux dernières lectures qu’il faut comprendre la prise de position du régulateur européen, appelant les assureurs à suspendre les versements de dividendes cette année. En tout cas, il est évident qu’Axa s’affranchit des recommandations européennes dans le secteur.
Les compagnies d’assurance doivent continuer de suspendre leurs dividendes tant qu’on n’y verra pas plus clair sur l’impact économique de la pandémie de coronavirus, a estimé mercredi l’Autorité européenne supervisant les assurances. “Nous croyons toujours que c’est une approche raisonnable (...). Il y a encore trop d’éléments d’incertitude”, a déclaré le président de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP), Gabriel Bernardino, lors d’une visioconférence organisée par IIF, qui regroupe les grands acteurs mondiaux de l’industrie de la finance.
Reuters Tweet
Régulateur français contre régulateur européen
On relèvera dans cette opération l’évidente contradiction entre le régulateur européen (AEAPP) et le régulateur français (ACPR). Alors que le régulateur européen considère que les sinistres dus au coronavirus n’ont pas encore montré toute leur étendue, le régulateur français appelle à une prudence moindre.
Deux points sont ici à noter précieusement.
Le premier est que le régulateur européen n’exclut pas des difficultés majeures pour le secteur dans le courant de l’année. C’est une donnée importante à prendre en compte, pas seulement pour la France mais pour l’ensemble de l’Union. C’est toujours bon à savoir, même si cette crainte porte sur u risque et non une certitude…
Le deuxième point est que le régulateur français se montre convaincu qu’Axa sera épargné par le phénomène. Mais l’histoire ne nous dit pas encore si cette relative sérénité tient à la vraie bonne santé d’Axa, ou à la conviction que l’État interviendra quoiqu’il arrive pour sauver la situation.
Dans tous les cas, voilà encore un secteur où la France, qui adore donner des leçons d’Europe, ne joue pas vraiment le jeu européen.
Le management tient-il personnellement à cette distribution ?
Les esprits malicieux rappelleront que la détention réelle d’Axa est un mystère aussi insondable que les profondeurs du Loch Ness. Il y a quelques années, un délégué syndical de l’entreprise, très bien informé, s’était répandu dans des couloirs (après une soirée un peu trop arrosée de bière belge) sur les confidences qu’Henri de Castries lui avaient faites. Le patron d’Axa (mais c’était il y a longtemps) avait dû vendre un paquet d’actions pour payer son impôt sur le revenu…
De là à penser que le versement de dividendes de l’entreprise est indispensable pour des dirigeants d’Axa puisse boucler leurs fins de mois, il n’y a qu’un pas. Il faudrait leur poser la question…
Le deal retenu par AXA me semble être tout à fait raisonnable. Pris entre le marteau et l’enclume comme souvent dans notre pays, le tout amplifié par une inculture populaire de nos institutions comme du fonctionnement de l’entreprise en général, les entreprises cotées de dimension internationale ne peuvent faire l’impasse sur ce juste retour de la prise de risques de leurs investisseurs, qu’ils soient particuliers ou institutionnels. Quant à l’ACPR dont les attitudes ont été pour le moins équivoques pendant la crise Covid et notamment sur le dossier Perte d’Exploitation du CIC, la réaction de cet organe sensé superviser les entreprises financières et qui a pris une position aussi ferme que technocratique sur la distribution de dividendes semble bien éloignée de sa mission première de protection des assurés. Sans investisseurs, que deviendraient nos compagnies… et leurs assurés ? Bravo à AXA pour ce courage politiquement incorrect, vu de notre beau pays.