Avec plus de 70 milliards€ de pertes dans les 5 ans, le régime général de retraites de la sécurité sociale est en train de démontrer son « insoutenabilité », alors qu’il est déjà le plus coûteux du monde industrialisé. Si la situation paraît difficile à modifier d’ici à 2022, des réformes de structure sont inévitables après les présidentielles. Et elles pourraient constituer une sérieuse chance pour les épargnants.
Le système français de retraites devrait accumuler plus de 70 milliards€ de pertes sur 5 ans selon une note d’étape fournie par le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) au Premier Ministre, consultée par l’AFP. Cet effondrement financier pose un problème très au-delà du simple « trou de la sécu » habituellement évoqué. Il pourrait déboucher sur une remise en cause du régime général sous sa forme actuelle, et ça, c’est une très bonne nouvelle.
Les retraites sont au plus mal
Le constat est donc accablant et devrait susciter un véritable émoi lorsque le rapport définitif du Conseil d’Orientation des Retraites sera publié fin novembre : pour de nombreuses années, le coronavirus devrait avoir mis à terre le système de retraites, étant entendu que, sans coronavirus, il faudrait augmenter les recettes de 5 milliards€ pour équilibrer les comptes.
Autrement dit, une catastrophe financière est en cours et les moyens classiques pour juguler les déficits ne devraient pas suffire à sauver les meubles. Le système français de retraite est déjà l’un des plus coûteux des pays industrialisés comme le montre le diagramme ci-dessus, avec une dépense égale à 14% du PIB. Seules l’Italie et la Grèce font moins bien. Il paraît donc peu plausible d’augmenter la dépense (ce qui est pourtant fait indirectement par le recours au déficit).
Un relèvement (sous une forme ou une autre) de l’âge de départ à la retraite permettra de combler les 5 milliards€ qui manquent structurellement à l’appel. Mais il ne permettra pas de couvrir les dizaines de milliards qui vont partir en fumée au moins jusqu’à 2024.
Le déficit serait cependant « un peu moins important » cette année (-25,4 milliards) « du fait d'une conjoncture un peu moins dégradée » qu'il y a quatre mois. Le rebond espéré de l'économie en 2021 devrait entraîner une amélioration des comptes, avec une perte ramenée à -10,2 milliards. Cette embellie sera de courte durée car le solde se dégradera ensuite à -11,6 milliards en 2022, -12,1 milliards en 2023 puis -13,3 milliards en 2024.
Le Parisien avec l'AFP Tweet
La réforme Macron est désormais périmée
Face au désastre qui s’annonce, et dont personne ne prend la mesure à force d’avoir le nez rivé sur le coronavirus, mais qui reviendra comme un boomerang une fois l’épidémie calmée, une chose est sûre : l’illusion macronienne de nationaliser l’ensemble des cotisations retraite jusqu’à 10.000€ par mois et d’en confier la gestion à un opérateur unique paraît complètement périmée et inadaptée à la situation. Le sujet n’est plus de créer une grande machine étatique qui satisfait les fantasmes des technocrates. Le sujet est de concilier la dépense consacrée à la vieillesse avec la capacité de l’économie française à ne pas flancher irrémédiablement dans les bas-fonds de l’histoire.
Or, l’inconvénient de la réforme Macron consiste bien à élever au niveau politique tout arbitrage sur les retraites destiné à maîtriser la dépense. Et cela, c’est ce que souhaite toute l’extrême gauche pour bloquer le système, mais c’est ce que ne doit surtout pas faire un système rationnel qui s’inscrit dans un contexte social complexe, friable et mouvant.
Il y a donc peu de chances pour qu’Emmanuel Macron continue à gaspiller de lourdes cartouches politiques sur une réforme qui n’a pas de sens.
Revenir au sens originel des retraites
Emmanuel Macron avait eu l’ambition d’étatiser toute la retraite, comme s’il s’agissait d’une ambition conforme au projet du Conseil National des Retraites. Historiquement, pourtant, le consensus national n’a existé que pour assurer une retraite dite « de base ». Cette idée apparaît dès la loi « ROP » (retraite des ouvriers et paysans) de 1910 qui instaure une retraite obligatoire (par capitalisation, à l’époque) pour tous les salariés sous un plafond déterminé, qui devient en 1944 le fameux plafond annuel de la sécurité sociale.
Ce choix stratégique est confirmé par les lois suivantes, y compris la loi de janvier 1941 qui crée la retraite par répartition et l’actuelle CNAV (c’est-à-dire le régime général). Il était alors question de garantir une retraite universelle « minimum » pour la plupart des salariés, avec un plafond de revenus remplacés. Au-delà de ce plafond, il appartenait à chaque épargnant de se trouver sa propre solution.
Baisse de 200.000 retraites en octobre
C’est le « miracle » signalé par le Monde aujourd’hui : 200.000 retraités ont vu leur pension baisser en octobre, à l’occasion du rattrapage de revalorisation pratiqué par la CNAV. Décidément, le régime général est bien opaque. Et défavorable pour un certain nombre de ressortissants.
Efficacité des régimes supplémentaires
Dans les années 30, et dans la foulée des lois de 1928 et 1930, la France a assisté à la floraison de systèmes professionnels de retraite par capitalisation par branches. C’est d’ailleurs ainsi que sont nés les régimes spéciaux : RATP, SNCF, opéra de Paris, etc. Ces régimes étaient tellement avantageux et bien conçus que, 80 ou 90 ans plus tard, les syndicats de salariés se battent encore pour les préserver.
La période qui s’ouvre devrait permettre la résurrection de ce système adopté par l’Allemagne dans les années 90. Il consiste à réserver le régime général aux salariés les moins bien payés. Pour le reste, et au-delà d’un certain seuil de revenus, le bon sens est de laisser place à la différenciation et à la liberté de choix.
De ce point de vue, l’Allemagne a créé des avantages fiscaux pour les entreprises qui offrent des plans de retraite collectifs à leurs salariés. Ce système mis en pratique en France dans les années 30 était plein de vertus.
L’implosion des retraites, une chance pour les épargnants
Accessoirement, les retraites supplémentaires peuvent aussi bénéficier aux épargnants individuels. C’est déjà un peu le cas avec l’assurance-vie et avec le tout nouveau plan d’épargne retraite individuel (PERIN) créé par la loi PACTE. Le bon sens consiste bien aujourd’hui à favoriser ces systèmes plutôt qu’à les décourager par une refiscalisation abusive.
Les épargnants peuvent donc se réjouir des malheurs du temps : ils sont propices à bien des révolutions que nous attendons depuis des années, mais que les blocages de la société française empêchent de survenir.