La CDU est en déclin dans les sondages, au point qu'on pourrait se demander si le parti franchira les 25% et même arrivera en tête aux élections du 26 septembre 2021. Est-ce la faute d'Angela Merkel? Ou bien la Chancelière n'a-t-elle jamais envisagé le parti chrétien-démocrate que comme un moyen, aujourd'hui périmé, de faire advenir une Allemagne progressiste, écologiste, où Berlin méprise les régions et se met au service du globalisme? Voici le deuxième volet d'une analyse en trois parties, dans laquelle le remarquable connaisseur de l'Allemagne qu'est François Stecher, nous conseille de ne pas nous fier aux apparences.
François Stecher
Auteur
Deuxième partie:
La dépossession des Länder et l’ombre du passé
Il faut ici rappeler un point essentiel de l’histoire allemande. Le Saint-Empire Romain Germanique ne fut évidemment jamais un État centralisé. Unissant des peuples de différentes langues, cultures et religions, chacun conservant sous l’épée protectrice de son souverain, roi, duc ou prince-évêque, ses lois et ses coutumes, la couronne impériale n’a jamais conféré à celui qui la portait la « potestas » dont jouissait les rois de France ou d’Angleterre. L’un des empereurs les plus prestigieux, qu’Ernst Kantorowicz tenait pour l’inventeur de l’État moderne, Frédéric II Hohenstaufen, en fut réduit à expérimenter ses théories politiques sur le territoire de son seul royaume italien. Le Reich né à Versailles en 1871 des victoires successives sur le Danemark, l’Autriche-Hongrie et la France, ne l’est toujours pas. Les souverains allemands continuent à régner – même s’ils ont évidemment perdu leur indépendance en matière de politique étrangère. Le premier contact avec le centralisme vient, pour certains États allemands, de l’expansion de l’empire napoléonien – expérience brève, qui voit par exemple la ville de Hambourg devenir le chef-lieu du département des Bouches de l’Elbe, 128ème département français, entre 1811 et 1814. Le deuxième contact, bien plus douloureux dans la mémoire allemande – et non uniquement dans celle-là – est celui de l’expérience nationale-socialiste. Le troisième, enfin, qui n’a concerné directement que les Ossis, coïncide avec l’avènement, la vie et la mort de la République Démocratique Allemande. Trois expériences douloureuses s’il en fut. Et c’est bien pour se prémunir d’une résurgence de la seconde que les pères de la Loi Fondamentale y ont ancré si fortement le fédéralisme, considéré comme la meilleure protection contre le retour d’un sombre passé.
La crise générée par l’épidémie de coronavirus depuis maintenant plus d’un an a fait apparaître, avec plus ou moins de netteté, les avantages et inconvénients réciproques des organisations centralisée – France – et fédérale – Allemagne. Même si une analyse fine est encore à faire, il semble assez clair que le fédéralisme, en privilégiant l’initiative locale, permet une grande diversité de mesures, et en moyenne une réponse globale qui donne de meilleurs résultats, en particulier lorsqu’en régime centralisée la direction prise est mauvaise. Cependant, il est apparu assez vite qu’une coordination entre les Länder était nécessaire, puisque l’Infektionsschutzgesetz (loi sur la lutte contre les épidémies), dans sa rédaction d’avant la crise sanitaire, laissait aux Länder l’essentiel de leurs prérogatives en matière de santé publique. À cette fin, Merkel a habilement mis en place une « conférence de la chancelière fédérale et des ministres-présidents des Länder », au rythme de réunion irrégulier – et donc qu’elle convoquait à son initiative. Cet organe informel est devenu au fil du temps l’instance quasi-décisionnelle de gestion de crise au niveau fédéral, jouant sur un mode mineur le rôle dévolu au conseil de défense sanitaire en France – avec cette différence fondamentale que Merkel ne pouvait qu’y suggérer, instiller, tenter d’influencer.
Entourée de ses conseillers « scientifiques » tous plus ou moins partisans de l’enfermisme le plus strict – on notera qu’elle a exclu dès l’abord d’inclure toutes les disciplines dans son conseil, qui ne compte ni économiste, ni psychologue, ni constitutionnaliste – elle a cherché avec constance, voire entêtement forcené et colère, à serrer toujours plus le carcan enserrant ses compatriotes – le confinement « de quatre semaines » dure depuis novembre … Mais elle a dû souvent déchanter, lorsque les mesures décidées ou plutôt convenues dans cette instance sans fondement légitime, au mépris des parlements, tant fédéral que des Länder, ne trouvaient aucune application dans tel ou tel Land dont le ministre-président jugeait que la situation ne le justifiait pas. Et déchanter, pour Merkel, qui a l’habitude d’être obéie, c’est tout simplement insupportable : la dame s’est dévoilée un peu plus pour ce qu’elle est, touchée par l’hybris, ne souffrant plus aucune contradiction, enflée d’orgueil sous les apparences d’une pateline humilité, vitupérant contre les ministres-présidents réticents à appliquer les restrictions que lui dictent ses terroristes de conseillers, prononçant des anathèmes contre les mécréants de la nouvelle religion sanitaire.
Est finalement arrivé ce qui devait arriver : tandis que les plus serviles – on nommera ici l’incontournable Markus Söder, CSU, ministre-président de Bavière, le plus pathétique opportuniste de la scène politique allemande actuelle, et peut-être le futur chancelier fédéral, Michael Kretschmer, CDU, ministre-président de Saxe, ou encore Peter Tschentscher, 1er maire de Hambourg, SPD – s’alignaient voire devançaient les attentes de leur maîtresse, certains commençaient à s’émanciper, tel Daniel Günther, ministre-président CDU du Schleswig-Holstein étonnant en ce qui le concerne, tant il avait fait montre de docilité dans la crises des migrants – qui rouvre ses Biergarten à partir de lundi 12 avril, ou Tobias Hans, ministre-président de la Sarre, CDU lui aussi, qui met déjà en œuvre un plan de réouverture progressive et de retour à la normale. La nouvelle conférence « MPK » (Minister-Präsidenten/Kanzlerin) envisagée lundi 12 avril a été annulée avant même d’avoir été confirmée. Dans le même temps, un groupe de députés CDU, sous la houlette de Norbert Röttgen, candidat malheureux à la présidence de la CDU, s’activait à la rédaction d’un amendement à l’Infektionsschutzgesetz, tandis que le vieux sage Wolfgang Schäuble était mis à contribution afin de trouver une rédaction qui évite de passer sous les fourches caudines du Bundesrat – justement le représentant des Länder au parlement allemand. Le résultat est là, terrifiant :
“(7) Cette disposition vaut seulement tant qu’est constatée une situation épidémique sur l’étendue du territoire national.
(8) Les droits fondamentaux à l’intégrité physique, à la liberté des personnes, à la liberté de circulation et à l’inviolabilité du domicile sont restreints […]. »
L’objectif est clair : faire voter cette nouvelle mouture d’ici le 26 avril. Alors, le Bund (l’État fédéral) pourra ordonner, par-dessus la tête des Länder, les mesures de la dictature sanitaire. Il pourra rendre les tests PCR obligatoires dans tous les secteurs, en fixer la fréquence, et piloter ainsi la situation épidémique grâce à l’indicateur foireux du taux d’incidence. Il pourra ainsi, dans l’arbitraire le plus total, faire donner les forces de l’ordre, interdire des manifestations, ordonner des vaccinations. Il pourra également interdire les tentatives de retour à la vie normale esquissés par tel ou tel Land. Si ce n’est pas encore le Reich de Mille ans, la direction est bonne. Il reste à voir quelles oppositions cette réforme fondamentale va susciter dans le pays dans les jours qui viennent – il n’en manquera pas, mais cette femme est pleine de malice. Les semaines qui viennent devraient être chaudes, néanmoins : les territoires vont se défendre, certains becs et ongles, contre cette perversion de la « demokratische Grundordnung ». La CDU, là encore va y laisser des plumes, tant ses électeurs sont partagés entre victimes apeurées de la propagande covidiste, qui souhaitent le renforcement des pouvoirs de l’échelon fédéral et la fin rapide de la situation d’épidémie, et les tenants des principes fondateurs de la République Fédérale.
Fin de la deuxième partie
A suivre: “Les élections législatives du 26 septembre 2021”