"Personne n’a mieux décrit notre monde que lui – sauf son épigone Orwell. Orwell et Huxley c’est l’angoissant binôme anglo-saxon dans toute son horreur, le triomphe de l’épouvantable Nouvelle Atlantide de Bacon (voyez mon livre sur Internet – qui fit bizarrement la une du Monde des Livres). Ce texte fait cinq mille mots et ne s’adresse pas aux distraits." (Nicolas Bonnal)
Voici quelques extraits d’Aldous Huxley. On ne va pas commenter ces lignes immortelles (Brave new world revisited, 1957). Huxley rappelle :
« En 1931, alors que j’écrivais ‘Le Meilleur des Mondes’ j’étais convaincu que le temps ne pressait pas encore. La société intégralement organisée, le système scientifique des castes, l’abolition du libre arbitre par conditionnement méthodique, la servitude rendue tolérable par des doses régulières de bonheur chimiquement provoqué, les dogmes orthodoxes enfoncés dans les cervelles pendant le sommeil au moyen des cours de nuit, tout cela approchait ; se réaliserait bien sûr, mais ni de mon vivant, ni même du vivant de mes petits-enfants. »
Vingt-sept ans après
Mais il fait un constat après la guerre, comme Bertrand de Jouvenel :
« Vingt-sept ans plus tard, dans ce troisième quart du vingtième siècle après J-C. et bien longtemps avant la fin du premier siècle après F. 1, je suis beaucoup moins optimiste que je l’étais en écrivant ‘Le Meilleur des Mondes’. Les prophéties faites en 1931 se réalisent bien plus tôt que je le pensais. L’intervalle béni entre trop de désordre et trop d’ordre n’a pas commencé et rien n’indique qu’il le fera jamais. En Occident, il est vrai, hommes et femmes jouissent encore dans une appréciable mesure de la liberté individuelle, mais même dans les pays qui ont une longue tradition de gouvernement démocratique cette liberté, voire le désir de la posséder, paraissent en déclin. Dans le reste du monde, elle a déjà disparu, ou elle est sur le point de le faire. Le cauchemar de l’organisation intégrale que j’avais situé dans le septième siècle après F. a surgi de lointains dont l’éloignement rassurait et nous guette maintenant au premier tournant. »
Le futur c’est la carotte plutôt que le bâton (cf. mes textes sur Tocqueville, Nietzsche ou le film Network) :
« À la lumière de ce que nous avons récemment appris sur le comportement animal en général et sur le comportement humain en particulier, il est devenu évident que le contrôle par répression des attitudes non conformes est moins efficace, au bout du compte, que le contrôle par renforcement des attitudes satisfaisantes au moyen de récompenses et que, dans l’ensemble, la terreur en tant que procédé de gouvernement rend moins bien que la manipulation non violente du milieu, des pensées et des sentiments de l’individu. »
La manipulation est à l’ordre du jour :
« Pendant ce temps, des forces impersonnelles sur lesquelles nous n’avons presque aucun contrôle semblent nous pousser tous dans la direction du cauchemar de mon anticipation et cette impulsion déshumanisée est sciemment accélérée par les représentants d’organisations commerciales et politiques qui ont mis au point nombre de nouvelles techniques pour manipuler, dans l’intérêt de quelque minorité, les pensées et les sentiments des masses. »
La peur de la démographie
La clé du système est la peur de la démographie :
« De plus, l’accroissement annuel lui-même s’accroît : régulièrement, selon la règle des intérêts composés et irrégulièrement aussi, à chaque application, par une société technologiquement retardataire, des principes de la Santé publique. À l’heure présente, cet excédent atteint 43 millions environ pour l’ensemble du globe, ce qui signifie que tous les quatre ans l’humanité ajoute à ses effectifs l’équivalent de la population actuelle des États-Unis – et tous les huit ans et demi l’équivalent de la population actuelle des Indes. »
Huxley remet à leur place les blablas sur la pseudo-conquête spatiale :
« Une nouvelle ère est censée avoir commencé le 4 octobre 1957, mais en réalité, dans l’état présent du monde, tout notre exubérant bavardage post-spoutnik est hors de propos, voire même absurde. En ce qui concerne les masses de l’humanité, l’âge qui vient ne sera pas celui de l’Espace cosmique, mais celui de la surpopulation. »
Conséquence ? Les trous à merde du regretté Donald Trump :
« Les faits contrôlables semblent indiquer assez nettement que dans la plupart des pays sous-développés, le sort de l’individu s’est détérioré de façon appréciable au cours du dernier demi-siècle. Les habitants sont plus mal nourris ; il existe moins de biens de consommation disponibles par tête et pratiquement tous les efforts faits pour améliorer la situation ont été annulés par l’impitoyable pression d’un accroissement continu de la population. »
Tel le “minotaure” de Jouvenel
Le « plus froid des monstres froids » (Nietzsche) va se développer :
« Ainsi, des pouvoirs de plus en plus grands sont concentrés entre les mains de l’exécutif et de ses bureaucrates. Or, la nature du pouvoir est telle que même ceux qui ne l’ont pas recherché mais auxquels il a été imposé, ont tendance à y prendre goût… »
Le Deep State (le « minotaure » de Jouvenel) est condamné à croître avec le totalitarisme dans les pays en voie de surpeuplement :
« Insécurité et agitation mènent à un contrôle accru exercé par les gouvernements centraux et à une extension de leurs pouvoirs. En l’absence d’une tradition constitutionnelle, ces pouvoirs accrus seront probablement exercés de manière dictatoriale. »
La surpopulation américaine menacera la démocratie américaine (triplement en un siècle ! La France a crû de 40% en cinquante ans) :
« Pour le moment, la surpopulation ne constitue pas pour la liberté individuelle des Américains un danger direct, mais déjà la menace d’une menace. »
Eugéniste, proche de Carrel ici, Huxley annonce un déclin qualitatif de notre population :
« Malgré les nouvelles drogues-miracle et des traitements plus efficaces (on peut même dire en un certain sens, grâce à eux), la santé physique de la masse ne s’améliorera pas, au contraire, et un déclin de l’intelligence moyenne pourrait bien accompagner cette détérioration. »
Quel progrès?
Huxley critique froidement les progrès de la médecine (ou leur mauvaise gestion) :
« La mort rapide due à la malaria a été supprimée, mais une existence rendue misérable par la sous-alimentation et le surpeuplement est maintenant la règle et une mort lente, par inanition, guette un nombre de plus en plus grand d’habitants. »
Huxley ici reprend Bernays sur la montée des élites :
« Nous voyons donc que la technique moderne a conduit à la concentration du pouvoir économique et politique ainsi qu’au développement d’une société contrôlée (avec férocité dans les États totalitaires, courtoisie et discrétion dans les démocraties) par les Grosses Affaires et les Gros Gouvernements. »
Notre auteur cite Fromm :
« … Notre société tend à faire de lui un automate qui paie son échec sur le plan humain par des maladies mentales toujours plus fréquentes et un désespoir qui se dissimule sous une frénésie de travail et de prétendu plaisir. »
Puis Huxley évalue la nullité des hommes modernes et par là se rapproche de René Guénon (voyez l’anonymat dans le règne de la quantité) :
« Ces millions d’anormalement normaux vivent sans histoires dans une société dont ils ne s’accommoderaient pas s’ils étaient pleinement humains et s’accrochent encore à ‘l’illusion de l’individualité’, mais en fait, ils ont été dans une large mesure dépersonnalisés. Leur conformité évolue vers l’uniformité. »
La termitière
Le futur est à la termitière :
« La civilisation est entre autres choses, le processus par lequel les bandes primitives sont transformées en un équivalent, grossier et mécanique, des communautés organiques d’insectes sociaux. À l’heure présente, les pressions du surpeuplement et de l’évolution technique accélèrent ce mouvement. La termitière en est arrivée à représenter un idéal réalisable et même, aux yeux de certains, souhaitable. »
Termitière ? Plus effrayant encore ce passage – car tous les mots sont rentrés dans notre lexique :
« Ainsi que l’a montré Mr. William Whyte dans son remarquable ouvrage, ‘The Organization man’, une nouvelle Morale Sociale est en train de remplacer notre système traditionnel qui donne la première place à l’individu. Les mots clefs en sont : ‘ajustement ; adaptation ; comportement social ou antisocial ; intégration ; acquisition de techniques sociales ; travail d’équipe ; vie communautaire ; loyalisme communautaire ; dynamique communautaire ; pensée communautaire ; activités créatrices communautaires’… »
Le futur indolore de la domination
Car l’ingénierie sociale c’est la fin du christianisme et même du Christ :
« Selon la Morale Sociale, Jésus avait complètement tort quand il affirmait que le sabbat a été fait pour l’homme ; au contraire, c’est l’homme qui a été fait pour le sabbat, qui doit sacrifier ses particularités natives et faire semblant d’être la sorte de bon garçon invariablement liant que les organisateurs d’activités collectives considèrent comme le plus propre à leurs fins. »
En bon patricien britannique (voyez mon livre sur Tolkien, mes essais sur Chesterton), Huxley refuse cet assemblage:
« Un gouffre immense sépare l’insecte social du mammifère avec son gros cerveau et son instinct grégaire très mitigé et ce gouffre demeurerait, même si l’éléphant s’efforçait d’imiter la fourmi. Malgré tous leurs efforts, les hommes ne peuvent que créer une organisation et non pas un organisme social. En s’acharnant à réaliser ce dernier, ils parviendront tout juste à un despotisme totalitaire. »
Le futur indolore de la domination est programmé :
« Dans les dictatures plus efficaces de demain, il y aura sans doute beaucoup moins de force déployée. Les sujets des tyrans à venir seront enrégimentés sans douleur par un corps d’ingénieurs sociaux hautement qualifiés. »
Dix ans avant Umberto Eco et son article, Aldous Huxley annonce un nouveau (pseudo) Moyen-Âge, pas celui de Guénon bien sûr, celui de Le Goff plutôt :
« Les forces impersonnelles du surpeuplement et de l’excès d’organisation jointes aux ingénieurs sociologues qui essaient de les diriger, nous poussent vers un nouveau système médiéval. »
Panem et circenses
Huxley annonce la propagande à venir en Occident :
« La propagande pour une action dictée par des impulsions plus basses que l’intérêt présente des preuves forgées, falsifiées, ou tronquées, évite les arguments logiques et cherche à influencer ses victimes par la simple répétition de slogans, la furieuse dénonciation de boucs émissaires étrangers ou nationaux, et l’association machiavélique des passions les plus viles aux idéaux les plus élevés… »
Huxley méprise la liberté de la presse en rappelant ce simple fait :
« En ce qui concerne la propagande, les premiers partisans de l’instruction obligatoire et d’une presse libre ne l’envisageaient que sous deux aspects : vraie ou fausse. Ils ne prévoyaient pas ce qui, en fait, s’est produit − le développement d’une immense industrie de l’information, ne s’occupant dans l’ensemble ni du vrai, ni du faux, mais de l’irréel et de l’inconséquent à tous les degrés. En un mot, ils n’avaient pas tenu compte de la fringale de distraction éprouvée par les hommes. »
On retombe dans le pain et les jeux de Juvénal :
« Pour trouver une situation comparable, fût-ce de loin, à celle qui existe actuellement, il nous faut remonter jusqu’à la Rome impériale, où la populace était maintenue dans la bonne humeur grâce à des doses fréquentes et gratuites de distractions les plus variées, allant des drames en vers aux combats de gladiateurs, des récitations de Virgile aux séances de pugilat, des concerts aux revues militaires et aux exécutions publiques. Mais même à Rome, il n’existait rien de semblable aux distractions ininterrompues fournies par les journaux, les revues, la radio, la télévision et le cinéma. »
Orwell parle aussi de foot, de bière et de jeu dans 1984…
Une prédiction (prédiction ou constatation ?) terrible :
« Une société dont la plupart des membres passent une grande partie de leur temps, non pas dans l’immédiat et l’avenir prévisible, mais quelque part dans les autres mondes inconséquents du sport, des feuilletons, de la mythologie et de la fantaisie métaphysique, aura bien du mal à résister aux empiétements de ceux qui voudraient la manipuler et la dominer. »
Le futur est à la « distraction ininterrompue » qui se mêlera à la propagande.
Le nazisme comme un laboratoire de la dystopie moderne
Huxley cite Albert Speer. Après Hitler on n’a pas arrêté le progrès.
« Depuis l’époque de Hitler, l’arsenal des moyens techniques à la disposition de l’aspirant-dictateur a été considérablement développé ! En plus de la radio, du haut-parleur, de la caméra de cinéma et de la presse rotative, le propagandiste contemporain peut faire usage de la télévision pour transmettre non seulement la voix, mais l’image de son client et enregistrer le tout sur des bandes magnétiques. Grâce aux progrès techniques, le Grand Frère peut maintenant être omniprésent presque autant que Dieu. D’ailleurs, il n’y a pas que dans ce domaine que des atouts nouveaux ont été apportés au jeu du dictateur. Depuis Hitler, des travaux considérables ont été faits en psychologie et neurologie appliquées, domaines d’élection du propagandiste, de l’endoctrineur, et du laveur de cerveaux. »
Puis Huxley compare Hitler à Bernays, l’inventeur de la cigarette pour les femmes :
« C’est par la manipulation de ‘forces cachées’ que les experts en publicité vous incitent à acheter leurs produits − une pâte dentifrice, une marque de cigarettes, un candidat politique − et c’est en faisant appel aux mêmes, ainsi qu’à d’autres trop dangereuses pour que s’y frotte Madison Avenue, que Hitler a incité les masses allemandes à s’acheter un Führer, une philosophie délirante et une Deuxième Guerre mondiale. »
Les enfants mués en chair à télé
Après Hitler, la publicité commerciale. Huxley cite Vance Packard et ajoute :
« Nous n’achetons plus des oranges, mais de la vitalité. Nous n’achetons plus une voiture, mais du prestige. Il en est de même pour tout le reste. Avec un dentifrice, nous achetons non plus un simple détersif antiseptique, mais la libération d’une angoisse : celle d’être sexuellement repoussant. Avec la vodka et le whisky, nous n’achetons pas un poison protoplasmique qui, à doses faibles, peut déprimer le système nerveux de manière utile au point de vue psychologique, nous achetons de l’amabilité, du liant, de la chaleur… Avec l’ouvrage à succès du mois, nous acquérons de la culture, l’envie de nos voisins moins intellectuels et le respect des raffinés. »
Huxley n’est pas très optimiste non plus sur l’avenir des enfants mués en de la chair à télé :
« Comme on pouvait s’y attendre, les jeunes sont extrêmement sensibles à la propagande. Ignorants du monde et de ses usages, ils sont absolument sans méfiance, leur esprit critique n’est pas encore développé, les plus petits n’ont pas atteint l’âge de raison et les plus âgés n’ont pas acquis l’expérience sur laquelle leur faculté de raisonnement nouvellement découverte pourrait s’exercer. En Europe, les conscrits étaient désignés sous le nom badin de ‘chair à canon’. Leurs petits frères et leurs petites sœurs sont maintenant devenus de la chair à radio et à télévision. Dans mon enfance, on nous apprenait à chanter de petites rengaines sans grand sens ou, dans les familles pieuses, des cantiques. Aujourd’hui, les petits gazouillent de la publicité chantée. »
Pas d’illusion sur les élections et la politique :
« Les partis mettent leurs candidats et leurs programmes sur le marché en utilisant les mêmes méthodes que le monde des affaires pour vendre ses produits… Les services de vente politiques ne font appel qu’aux faiblesses de leurs électeurs, jamais à leur force latente. Ils se gardent bien d’éduquer les masses et de les mettre en mesure de se gouverner elles-mêmes, jugeant très suffisant de les manipuler et de les exploiter. »
Lavage et maîtrise du cerveau
Sur le lavage de cerveau pratiqué dans notre planète-prison, Huxley rappelle :
« Si le système nerveux central du chien peut être brisé, celui d’un prisonnier politique aussi. Il s’agit seulement d’appliquer les doses de tension voulues pendant le temps voulu. À la fin du traitement, l’interné sera dans un état de névrose ou d’hystérie tel qu’il avouera ce que ses geôliers voudront. »
Huxley explique pourquoi notre système de suggestibilité encourage le somnambulisme puis il rappelle tristement :
« L’efficacité de la propagande politique et religieuse dépend des méthodes employées et non pas des doctrines enseignées. Ces dernières peuvent être vraies ou fausses, saines ou pernicieuses, peu importe. Si l’endoctrinement est bien fait au stade voulu de l’épuisement nerveux, il réussira. »
Opiomanie ou toxicomanie ? Huxley rappelle ici le fameux soma de son roman :
« La ration de soma quotidienne était une garantie contre l’inquiétude personnelle, l’agitation sociale et la propagation d’idées subversives. Karl Marx déclarait que la religion était l’opium du peuple, mais dans le Meilleur des Mondes la situation se trouvait renversée : l’opium, ou plutôt le soma, était la religion du peuple. »
Huxley rappelle nos progrès en chimie du cerveau et il prophétise l’addiction américaine responsable aujourd’hui de dizaines de milliers de morts :
« … prenez le cas des barbituriques et des tranquillisants. Aux U.S.A., ces remèdes peuvent être obtenus avec une simple ordonnance de docteur, mais l’avidité du public américain pour quelque chose qui rendra un peu plus supportable la vie dans le milieu urbain et industriel est si grande, que les médecins ordonnent actuellement de ces spécialités au rythme de 48 millions de prescriptions par an. »
Société du contrôle
On contrôlera donc l’opposition politique par les tranquillisants :
« Les masses ne risqueront pas de créer la moindre difficulté à leur maître. Seulement, dans l’état actuel des choses, les tranquillisants peuvent empêcher certaines personnes de créer assez de difficulté, non seulement à leurs dirigeants, mais à elles-mêmes. »
On peut même gagner la guerre par les tranquillisants :
« Lors d’une récente conférence sur le méprobamate, à laquelle je participais, un éminent biochimiste proposa en riant que le gouvernement des U.S.A. envoyât gratuitement au peuple soviétique 50 milliards de doses du plus populaire des tranquillisants. La plaisanterie avait son côté inquiétant. »
Pour une fois amusé, Huxley évoque un exemple de publicité subliminale qui réussit mieux que le sea, sex and sun des Américains :
« … un véritable chef-d’œuvre de propagande commerciale. C’était le calendrier distribué par un fabricant d’aspirine. Au bas de l’image, on voyait la marque familière sur le tube familier de comprimés blancs. Au-dessus, pas de paysage de neige ou de forêt automnale, ou d’épagneul, ou de girl bien en chair – non, l’Allemand, rusé, avait associé son analgésique à un tableau extrêmement coloré et vivant de la Sainte Trinité sur un cumulus, entourée de saint Joseph, de la Vierge, d’un assortiment de saints et d’anges en foule. Les vertus miraculeuses de l’acide acétylsalicylique étaient ainsi garanties, dans les esprits simples et profondément religieux des Indiens, par Dieu le Père et toutes les célestes phalanges. Ce genre de persuasion est de ceux auxquels le procédé de projection subliminale semble se prêter particulièrement bien. »
La “suggestibilité” humaine
Chez Huxley comme chez La Boétie le fond du problème n’est pas la malignité de la science ou des élites sinon la médiocrité de la nature humaine démontrée ici par la science…
« Les idéaux de la démocratie et de la liberté se heurtent au fait brutal de la suggestibilité humaine. Un cinquième de tous les électeurs peut être hypnotisé presque en un clin d’œil, un septième soulagé de ses souffrances par des piqûres d’eau, un quart suggestionné avec rapidité et dans l’enthousiasme par I’hypnopédie. À toutes ces minorités trop promptes à coopérer, on doit ajouter les majorités aux réactions moins rapides dont la suggestibilité plus modérée peut être exploitée par n’importe quel manipulateur connaissant son affaire, prêt à y consacrer le temps et les efforts nécessaires. »
Quant au futur, no comment :
« La liberté individuelle est-elle compatible avec un degré élevé de suggestibilité ? Les institutions démocratiques peuvent-elles survivre à la subversion exercée du dedans par des spécialistes habiles dans la science et l’art d’exploiter la suggestibilité à la fois des individus et des foules ? »
Le retour de la pensée magique
Après quelques pages moins denses, Huxley renoue avec un problème important aux siècles modernes : le retour ou le maintien de la pensée magique (Russiagate, complotisme, Fake news ?) :
« C’est ainsi que, il n’y a pas longtemps encore, on croyait très généralement que le mauvais temps, les maladies du bétail et l’impuissance sexuelle pouvaient être et, dans bien des cas, étaient effectivement l’œuvre de magiciens malveillants. Attraper et tuer ces êtres dangereux était donc un devoir – devoir divinement tracé d’ailleurs dans le second livre de Moïse : ‘Tu ne souffriras pas que vive un magicien.’ Les codes de morale et de lois fondés sur cette conception erronée ont été la cause (durant les siècles où les hommes au pouvoir les ont pris le plus au sérieux) de maux effrayants. Les orgies d’espionnage, de lynchage et d’assassinat légal que ces idées fausses sur la magie ont rendues logiques et obligatoires n’ont pas été égalées jusqu’à ce que, de nos jours, les morales communiste et nazie, fondées sur des vues aberrantes, l’une dans le domaine économique, l’autre dans le domaine racial, aient ordonné et justifié des atrocités sur une échelle plus grande encore. »
Reconnaissons d’ailleurs que cette croyance au magicien malveillant (les nonagénaires Soros-Schwab-Biden entre autres) frappe un peu tous les milieux… Et que les gens en sont ni si bêtes ni si manipulés que cela. La propagande médiatique est une honte en France, mais seul un Français sur six a voté pour le parti de l’autre, qui avait ses bonnes raisons, Macron étant le président des plus friqués. Pas besoin de subliminal et de suggestibilité pour établir cette vérité. Toussenel n’avait pas besoin du neuro-piratage pour dénoncer la France vouée aux intérêts des banquiers.
Il reste que le futur, en 1957, c’est cent millions de couillonnes sur Instagram admirant Kylie Jenner. Huxley :
« Et l’uniformisation des êtres était encore parachevée après la naissance par le conditionnement infantile, l’hypnopédie et l’euphorie chimique destinée à remplacer la satisfaction de se sentir libre et créateur. Dans le monde où nous vivons, ainsi qu’il a été indiqué dans des chapitres précédents, d’immenses forces impersonnelles tendent vers l’établissement d’un pouvoir centralisé et d’une société enrégimentée. La standardisation génétique est encore impossible, mais les Gros Gouvernements et les Grosses Affaires possèdent déjà, ou posséderont bientôt, tous les procédés pour la manipulation des esprits décrits dans ‘Le Meilleur des Mondes’, avec bien d’autres que mon manque d’imagination m’a empêché d’inventer. »
Le monde, une prison, concluent avec Hamlet Rosencrantz et Guildenstern.
On n’apprend pas aux enfants à se défendre
Huxley poursuit cruellement par les banalités d’usage sur l’éducation qui nous rendrait résistant :
« Si nous voulons éviter ce genre de tyrannie, il faut que nous commencions sans délai notre éducation et celle de nos enfants pour nous rendre aptes à être libres et à nous gouverner nous-mêmes. »
Cette éducation (cf. la chasse aux fake news) peut aisément être recyclée en ce que l’on sait !
Il rappelle ce truisme :
« Les effets d’une propagande mensongère et pernicieuse ne peuvent être neutralisés que par une solide préparation à l’art d’analyser ses méthodes et de percer à jour ses sophismes. »
Huxley rappelle à temps que personne ne veut de contre-propagande :
« Et pourtant, nulle part on n’ enseigne aux enfants une méthode systématique pour faire le tri entre le vrai et le faux, une affirmation sensée et une autre qui ne l’est pas. Pourquoi ? Parce que leurs aînés, même dans les pays démocratiques, ne veulent pas qu’ils reçoivent ce genre d’instruction. Dans ce contexte, la brève et triste histoire de l’Institute for Propaganda Analysis est terriblement révélatrice. Il avait été fondé en 1937, alors que la propagande nazie faisait le plus de bruit et de ravages, par M. Filene, philanthrope de la Nouvelle-Angleterre. Sous ses auspices, on pratiqua la dissection des méthodes de propagande non rationnelle et l’on prépara plusieurs textes pour l’instruction des lycéens et des étudiants. Puis vint la guerre, une guerre totale, sur tous les fronts, celui des idées au moins autant que celui des corps. Alors que tous les gouvernements alliés se lançaient dans ‘la guerre psychologique ‘ cette insistance sur la nécessité de disséquer la propagande sembla quelque peu dépourvue de tact. L’Institut fut fermé en 1941. »
Huxley rappelle les raisons de cette timidité :
« L’examen trop critique par trop de citoyens moyens de ce que disent leurs pasteurs et maîtres pourrait s’avérer profondément subversif. Dans sa forme actuelle, l’ordre social dépend, pour continuer d’exister, de l’acceptation, sans trop de questions embarrassantes, de la propagande mise en circulation par les autorités et de celle qui est consacrée par les traditions locales. »
La prison sans barreaux
Dans son maigre énoncé des solutions (il n’y en a pas), Huxley évoque alors la prison sans barreau (‘the painless concentration camp’ mis en doute par certains pro-systèmes !) :
« Il est parfaitement possible qu’un homme soit hors de prison sans être libre, à l’abri de toute contrainte matérielle et pourtant captif psychologiquement, obligé de penser, de sentir et d’agir comme le veulent les représentants de l’État ou de quelque intérêt privé à l’intérieur de la nation. »
Huxley recommande de protéger les lieux publics et la télévision. Or on ne peut protéger les lieux publics et la télévision qui ne sont là que pour vendre et pour puer : il faut donc les éviter. Si ton œil est l’objet de tentation…
Il note justement que « les formes libérales serviront simplement à masquer et à enjoliver un fond situé aux antipodes du libéralisme » et que le futur n’est guère plus joyeux que le présent de Bernays : « Entre-temps, l’oligarchie au pouvoir et son élite hautement qualifiée de soldats, de policiers, de fabricants de pensée, de manipulateurs mentaux mènera tout et tout le monde comme bon lui semblera. »
Transformer la ville?
Sur notre futur monopolistique, Huxley ne se fait guère d’illusions (qui s’en fait encore ?) :
« Mais c’est un fait historique aujourd’hui que les moyens de production sont rapidement centralisés et monopolisés par les Grosses Affaires et les Gros Gouvernements. Par conséquent, si vous avez foi en la démocratie, prenez des mesures pour distribuer les biens aussi largement que possible. »
Huxley, beaucoup moins méchant que ce que pensent pas mal d’antisystèmes, propose une solution de révolution médiévale digne de Chesterton et Belloc :
« Par conséquent, si vous souhaitez éviter l’appauvrissement spirituel des individus et de sociétés entières, quittez les grands centres et faites revivre les petites agglomérations rurales, ou encore humanisez la ville en créant à l’intérieur du réseau de son organisation mécanique, les équivalents urbains des petits centres ruraux où les individus peuvent se rencontrer et coopérer en qualité de personnalités complètes, et non pas comme de simples incarnations de fonctions spécialisées. »
Mais rien n’y fait (on est à l’époque du génial Mumford) :
« Nous savons que, pour la plupart de nos semblables, la vie dans une gigantesque ville moderne est anonyme, atomique, au-dessous du niveau humain, néanmoins les villes deviennent de plus en plus démesurées et le mode de vie urbano-industriel demeure inchangé. »
Huxley, qui finit par citer Dostoïevski et son grand inquisiteur, ne se fait guère d’illusions, sondages à l’appui :
« Aux U.S.A. – et l’Amérique est l’image prophétique de ce que sera le reste du monde urbano-industriel dans quelques années d’ici – des sondages récents de l’opinion publique ont révélé que la majorité des adolescents au-dessous de vingt ans, les votants de demain, ne croient pas aux institutions démocratiques, ne voient pas d’inconvénient à la censure des idées impopulaires, ne jugent pas possible le gouvernement du peuple par le peuple et s’estimeraient parfaitement satisfaits d’être gouvernés d’en haut par une oligarchie d’experts assortis, s’ils pouvaient continuer à vivre dans les conditions auxquelles une période de grande prospérité les a habitués. »
Les jeunes sont soumis, les ados sont pires que les autres, comme je l’ai constaté dans ma jeunesse et comme le montrera le succès mondial de culture sexe, drogue, rock. Huxley :
« Que tant de jeunes spectateurs bien nourris de la télévision, dans la plus puissante démocratie du monde, soient si totalement indifférents à l’idée de se gouverner eux-mêmes, s’intéressent si peu à la liberté d’esprit et au droit d’opposition est navrant, mais assez peu surprenant. »
Il évoque les oiseaux…
« Tout oiseau qui a appris à gratter une bonne pitance d’insectes et de vers sans être obligé de se servir de ses ailes renonce bien vite au privilège du vol et reste définitivement à terre. »
La suite est lyrique !
« Le cri ‘Donnez-moi la télévision et des saucisses chaudes, mais ne m’assommez pas avec les responsabilités de l’indépendance.’ fera peut-être place, dans des circonstances différentes à celui de ‘La liberté ou la mort.’ ».
Et le maître conclut :
« Il semble qu’il n’y ait aucune raison valable pour qu’une dictature parfaitement scientifique soit jamais renversée. »
Sources principales :
Huxley – Le meilleur des mondes ; retour au meilleur des mondes (1957), sur archive.org
Nicolas Bonnal – Internet nouvelle voie initiatique (les Belles Lettres – réédité par Avatar en 2018) ; la culture comme arme de destruction massive (Amazon.fr)
https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/09/29/demons-du-web_3713686_1819218.html
Umberto Eco – Vers un nouveau Moyen-âge (1972)
Bertrand de Jouvenel – Du Pouvoir (Pluriel)
Vince Packard – Hidden persuaders
Armand Mattelart – Histoire de l’utopie planétaire (la Découverte)
Chesterton – What I saw in America (Gutenberg.org)
Shakespeare – Mesure pour mesure ; Hamlet ; La tempête (inlibroveritas.net)
La Boétie – Sur la servitude volontaire (Wikisource)
Tocqueville – De la démocratie en Amérique (classiques.Uqac.ca)
Debord – Commentaires
MERCI à Nicolas Bonnal qui nous éclaire toujours par ses pertinentes analyses.
Mais à partir de ces analyses, que faisons-nous? On se contente d’être les contemplatifs de la situation?
Si on y regarde de plus près, quand on ne veut pas qu’un peuple ait faim, on l’éduque à produire sa nourriture. Pendant la seconde guerre mondiale, les anglais ne sont pas morts de faim car le royaume leur a permis de pratiquer le potager DANS LES JARDINS PUBLICS. Il serait très appréciable qu’en tant de paix, des espaces potagers existent afin que les peuples gardent leur dignité.
En ce qui concerne la démographie, si on fait comprendre aux peuples que si celle-ci devient EXPLOSIVE, leurs enfants seront des affamés, les femmes accepteront la contraception, à condition qu’elle soit gratuite. (la contraception est trop cher pour les pauvres)
Pour pratiquer cela il faut éprouver de l’estime pour l’humain. Ce dont ne sont pas dotées nos élites mondialistes qui préfèrent toujours pratiquer le grand nettoyage, en somme des holocaustes par les guerres. Parce que faire des humains conscients et dignes met en danger leur pouvoir et leur enrichissement lié à l’esclavage des peuples. Nos élites sont arrivées à un tel mépris de l’humain, que leur nouveau plan a quelque chance de réussir. Sauf si ces élites sont arrêtées, ce dont on peut douter, car elles ont de précieux alliés dans tous les corps d’état du monde. A moins que ce ne soient ces derniers qui mériteraient d’être arrêtés car leur soutien permet l’existence de ces élites.
Sauf que la masse justement se plait à vivre de manière guidée en s’en rendant compte parfois mais parfois même pas
Les élites entre guillemets éveillées car il faut l’être pour pouvoir rester aux manettes font partie pour certains d’une malfaisance humaine bien connue mais au sein de la populace. Et d’être au sommet pour ceux-là c’est le paradis sur terre, malgré tout j’imagine que cela doit leur demander un investissement d’argent et de temps de tout les diables.
Il doit y en avoir d’autres qui pensent réellement faire le bien en prenant le contrôle : je ne sais pas ils font pour y croire quand on voit comment tourne le monde (peut-être que ceux-ci ne sont pas si éveillés)
Après il y en a dans la populace qui ont conscience de cela mais que peuvent-ils faire sans moyen de propagande en retour pour faire entendre le message (un certain paradoxe qui plus est) ; faire de la contre-propagande pour lutter contre une propagande asservissante cela peut paraître contradictoire
Quand j’en vois certains aller manifestés je me dis ils y croient vraiment qu’ils vont changer les choses en faisant cela ? Cela fait 50 ans que ce pays manifeste et on a vu où ça mène. Mais que ce serait-il passer si personne n’avait manifesté ? Ça aurait peut-être été pire encore, donc peut-être merci à eux
De mon côté je n’arrive à me satisfaire du foot et de la bière mais je n’arrive à me décider à me battre pour changer quelque chose qui ne change finalement pas génération après génération, d’un côté là peut de gâcher sa vie pour rien
La faiblesse humaine qui est très diverse, variée et complexe avec des inter-actions dans le temps, l’espace et la multitude est l’instrument avec lequel l’invisible obscur se sert de cette énergie contre ses propres émetteurs comme une toile d’araignée.
C’est pourquoi, il convient (à moi aussi) de se souvenir des paroles de celui qui a porté la croix pour nous et a lavé les pieds de ses disciples, ce qui n’est pas une incitation à être des larbins mais de tuer cette orgueil pour les plus puissants qui conduit à la prédation et à un pouvoir et une immortalité matérielle terrestre qu’ils regretteront amèrement.
Le suicide, vous dis-je ! C’est l’histoire d’un mec qui prend l’Apocalypse de Jean pour argent comptant… Il y en a un ici.
Et d’autres écoutent religieusement BFM tv et LCI et se croivent plus intelligents que les autres. J’en ai repéré un aussi.
Le Français a un compteur Linky à la place du cerveau.
https://nicolasbonnal.wordpress.com/2022/10/08/soumission-et-penurie-le-francais-a-un-compteur-linky-a-la-place-du-cerveau-on-peut-meme-dire-quil-est-ne-depuis-1793-avec-donc-les-flics-pendant-que-les-migrants-envahissent/
Très bien les video de Café Noir. ???????? L’embrigadement est certes de plus en plus sophistiqué mais pas nouveau et jamais fatal. Pourquoi? Parce que les embrigadeurs se suivent, ne se ressemblent pas et surtout-surtout (EZ) se contestent; cf. le grand Vladimir Poutine qui se dresse contre les intoxiqueurs neocon du Deep State… et réussit. Alors oui nous sommes tous des moutons dociles mais nous changeons vite de berger. La versatilité toujours contrarie les programmateurs. Un exemple en rapport avec Aldous Huxley: les jeunes américains dressés par la télévision de guerre froide que sont ils devenus? Hippies d’abord bobo octogénaires pour finir. Loin du programme de la génération GI.
Illustration musicale par l’immense Donald Fagen: https://youtu.be/Ueivjr3f8xg