Le moment islamophobe du mopping-up køvídien, par Modeste Schwartz

Ce qu’on entend par mopping-up[1], c’est, au cours d’une période de maturation des acquis de telle ou telle séquence radicale, la progressive intégration dans l’ensemble de l’édifice social[2] des acquis qui, au cours de la séquence radicale, ne deviennent, à vrai dire, évidents que pour une minorité active suffisante au sein des élites, elle-même recrutée dans la partie du personnel élitaire qui a échappé à la Terreur.

Le moment (au sens hégélien) terroriste de la séquence radicale ouverte en 1991 n’ayant pas encore eu lieu, il est difficile de déclarer cette séquence close, si bien que le mopping-up dont il est ici question est en réalité d’un autre type : c’est un mopping-up « à court terme », interne à la séquence radicale – et qui en prépare peut-être la transition vers un moment de Terreur.

Constat

Constatant (contrairement à ses habitudes) une vérité de bon sens, E. Macron a récemment parlé du lien (au demeurant aisément vérifiable) qui unit immigration de masse et criminalité. A cette occasion, des commentateurs de gauche font à juste titre remarquer que Macron cède en ce moment à la tentation d’enlever le pain de l’islamophobie de la bouche de son alter-égo E. Zemmour.

En France, les fusibles du Great Reset, promis à la vindicte populaire[3], envisagent en effet probablement de jouer, comme dernière carte de diversion, celle de ce qu’A. Soral a judicieusement appelé l’antisémitisme du lâche, dirigé en premier lieu contre la population dite « arabo-musulmane ». Ce dernier emprunte d’ailleurs à la version précédente[4] une part croissante de ses thèmes – ceux dont l’efficacité mythique est bien antérieure à la société bourgeoise : la prédestination génétique au crime, le crime rituel impliquant l’infanticide etc..

Un détail de cette fresque au demeurant assez franco-algérienne (c’est-à-dire, en bout de course, franco-française) présente néanmoins plus d’intérêt que d’autres, en jetant une lumière crue sur un aspect de la psychologie socio-historique française extrapolable au reste de l’Occident.

Interprétation à la lumière de Køvíd

Quand il s’agit de donner l’absolution du concept à une croisade qui (en paroles, du moins) vise avant tout l’étranger racial, on vous explique que ce qui rend l’Islam[5] totalement « incompatible avec les valeurs de la République »[6], c’est le peu de cas qu’il ferait du « statut de la femme »[7]. Dans cette société où la libéralisation (par des banlieusards désireux de se déplacer en automobile à moteur horribili dictu thermique) d’une station-service sous embargo étatique est décrite, par les médias du régime, comme une « privatisation »[8], cet accent mis sur l’autodétermination radicale (naturellement impossible) de la marchandise « femme » est plus que révélateur : sans qu’on le dise, tout a déjà été collectivisé, sauf le corps de la femme, à la fois objectivé par la civilisation du porno et réputé inappropriable du fait du dogme féministe.

L’anthropologie nous apprend en effet que c’est la privatisation de la femme qui a, historiquement, fourni son modèle à celle des biens meubles inanimés – possessions que la société bourgeoise/chrétienne sortie des ruines de l’Empire romain[9] allait entourer du sacré spécifique de la propriété privée, dont le garant théologique est l’âme individuelle du bourgeois. Ce dernier, au jour du Jugement, sera en effet jugé à la même aulne que les princes du sang – ces derniers disposent donc de sa vie politique, mais ne peuvent pas l’exproprier sans commettre un péché : « tu ne voleras point ».

En 1806, Hegel proclame, par sa Phénoménologie de l’esprit, l’abandon du théisme par les élites occidentales. Tout au long du mopping-up de cet épisode radical[10], peu à peu, la légitimité culturelle de la propriété privée, logiquement, s’érode donc, jusqu’à son abolition officielle de mars 2020. A partir du Premier Confinement, l’état d’urgence (de toute évidence permanent) débouche aussi, logiquement, sur la confiscation de facto[11] de la plupart des commerces (dont les tenanciers deviennent les employés en chômage technique imposé de la Banque centrale), des foyers dont le caractère privé n’est plus respecté (c’est le gouvernement qui décide combien on peut être à table) et des véhicules (dont, longtemps avant les plénuries, le rayon de déplacement à l’intérieur même des frontières nationales devient objet de lois et décrets).

L’émancipation radicale de la femme, qui prive le post-citoyen du premier des biens que l’histoire lui ait reconnu comme propre, est donc réaffirmée avec éclat (que ce soit par la croisade islamophobe ou par l’extension astronomique du « droit d’avortement ») au moment même où ledit post-citoyen a déjà été dépouillé de tous ses acquis historiquement ultérieurs à la privatisation des femmes. Comme dans tout processus involutif, les acquis les plus récents sont aussi les premiers à disparaître, tandis que les plus fondamentaux résistent jusqu’au bout. Or ce bout, nous l’avons atteint en mars 2020. Après la boutique, la maison et la bagnole, le moment est venu de s’occuper du « statut de la femme ».

Dans cette perspective (celle de Køvíd), la diversion islamophobe actuellement en cours était donc prévisible bien au-delà des idiosyncrasies de l’histoire et de la politique françaises[12]. Dans Køvíd, j’ai en effet fait remarquer que la seule opposition actuellement efficace au Reset vient de ceux que j’appelle les « réactionnaires » : ceux qui (comme F. Philippot en France), tout en partageant les présupposés essentiels des Davosiens (à commencer par le féminisme), sont trop attachés au moment que constitue (saisi dialectiquement) le « 3^e Occident »[13] pour accepter son dépassement par les partisans (davosiens) de l’hypothétique 4^e Occident (grand-réinitialisé dans le cerveau malade de Schwab & Cie). Depuis sa réélection en demi-teinte du printemps 2022, les thèmes de cette opposition dominent en partie un débat public que l’appareil vert-rose d’E. Macron ne contrôle plus suffisamment – et le dominent bien au-delà de l’audience politique propre d’un Philippot. Pour neutraliser ces thèmes, un retour au « tronc commun » de l’Occident démocratique (c’est-à-dire au rejet du théisme[14]) est donc nécessaire, à titre d’étape dans le mopping-up de la séquence radicale 1991-2020. C’est à ce retour qu’on assiste en ce moment.

[1] Sur ce concept, voir aussi les explications données tout au long de mon cycle d’articles consacrés à la figure d’A. Kojève – notamment cf. https://www.egaliteetreconciliation.fr/Kojeve-69407.html

[2] Selon le processus du ruissellement, ou encore – pour prendre un terme cher à E. Verhaeghe – de la percolation.

[3] Et ce, d’ailleurs, dans tous les cas : que ledit Great Reset réussisse localement (compte tenu des derniers développements américains, a priori : en Union Køvídiste Européenne, au mieux) ou échoue complètement – la durée de vie des fusibles issus du parlementarisme étant, par définition, faible en comparaison de celle de leurs donneurs d’ordres de Davos.

[4] C’est-à-dire à la judéophobie européenne moderne, hégémonique jusqu’en 1945.

[5] Au passage, on fait comme si les immigrés étaient tous musulmans, et comme si les appétences de mission islamique étaient au premier plan des préoccupations du migrant moyen – hypothèses largement démenties par l’expérience la plus quotidienne, mais passons.

[6] Chose que l’Islam intègre est en effet à mon avis – naturellement pour sa plus grande gloire.

[7] Alors même que, resituée dans son contexte historique spécifique, la révolution mahométane avait plutôt constitué une sorte de révolution proto-féministe des mœurs de l’Arabie – mais, là encore, passons.

[8] Expression observée par l’auteur sur le site Internet d’une radio française d’actualités.

[9] Il s’agit ici de la vision que propose Hegel des rapports historiques entre Empire romain, Christianisme et Occident bourgeois (au sens médiéval du terme). Ma vision (plus marquée par celle d’O. Spengler) s’en écarte certes, mais d’une façon qui ne remet pas en cause la démonstration en cours : ce qui, dans le christianisme médiéval, est malgré tout resté d’Auguste, de Constantin et d’Augustin a, de tout évidence, contribué (de 5 à 10 siècles plus tard) à la physionomie de l’Occident naissant (c’est-à-dire de la chrétienté scolastique).

[10] Mopping-up qui devait finalement s’étendre jusqu’en 1991.

[11] Précision presque tautologique en l’occurrence, le « de iure » ayant en réalité perdu son sens en mars 2020.

[12] Ou, en l’occurrence, franco-algériennes.

[13] Soit, rappelons-le, l’Occident démocratique ouvert par la séquence 1789-1806.

[14] Rejet concrétisé en 1793 par la décollation du Roi – dont les « partisans » (en réalité : les nostalgiques) se rangent d’ailleurs en ce moment, assez curieusement, derrière cette ultime croisade maçonnique qui a accouché du zemmourisme, mais passons –, décollation qui symbolise l’abolition du principe dynastique, et donc, implicitement, aussi celle de la famille (de la famille consanguine, tout du moins) comme unité élémentaire de la société. En ce sens, l’avortement à neuf mois est tout entier contenu dans la journée du 21 janvier.