Depuis le mois de février, la guerre en Ukraine fait la une des médias. Certaines chaînes de TV y consacrent plusieurs heures d’émission quotidiennes, transformant leurs plateaux en une sorte de forum avec la participation d’anciens militaires (souvent des généraux, hiérarchie militaire du savoir oblige...). Il s’en dégage un « consensus » (mot très à la mode et qui coupe court à toute objection, destiné à cliver l’humanité entre ceux qui pensent bien - ceux du consensus - et les autres), qui manifestement à déjà proclamé la victoire de l’Ukraine sur la Russie.
L’argumentation principale est que le plan de Poutine a lamentablement échoué puisqu’il a renoncé à prendre Kiev et a dû reculer. Depuis, ce recul de l’armée russe n’a jamais cessé et donc, conséquence logique, c’est l’Ukraine qui va envahir la Russie avant de la terrasser.
De Gaulle, qui était très réaliste, a dit : « Il n’est pire déformation de l’esprit que de voir les choses non pas telles qu’elles sont, mais telles qu’on voudrait qu’elles soient ».
Au delà de l’événement et de son intérêt « médiatique », le quidam qui, comme moi, essaie de s’intéresser à la marche du monde, ne peut s’empêcher de s’interroger sur cette focalisation de l’actualité. Et, pour aller au fond des choses, cette monopolisation sur un sujet particulier, aussi important puisse-t-il être par ailleurs, n’est-elle pas justement l’arbre qui cache la forêt ?
Un événement fortuit mais prévu de longue date
Or, sans être inscrit dans un calendrier précis, cet affrontement résultait d’une logique. Probablement animée par le CFR, la diplomatie américaine, malgré les assurances données aux dirigeants russes après la disparition de l’URSS, n’avait pas renoncé à, sinon la destruction pure et simple, du moins un affaiblissement majeur de la Russie dans ce que Zbignew Brzezinski appelait la « stratégie du containment ».
Les événements de la place Maidan survenus en 2014 s’inscrivaient dans cette politique. A vrai dire, le conflit aurait même dû éclater avant 2022 mais c’est vraisemblablement l’élection de Donald Trump, opposant déterminé à l’état profond américain, qui l’a décalé dans le temps.
Pourquoi l’Etat profond voulait-il ce conflit ?
La géopolitique mondiale a beaucoup changé depuis 50 ans. L’Occident qui représentait en 1970 25% de la population mondiale et dont le PIB s’élevait à 90% des richesses créées dans le monde a vu son influence diminuer constamment. Aujourd’hui, les chiffres respectifs ne sont plus que 12% pour la population et 40% pour le PIB. Et tout indique que cette tendance lourde va se poursuivre, sinon se renforcer. Dans l’ensemble occidental, les États-Unis ne représentent que 4% de cette population mondiale. On ne voit pas comment leur leadership, incontestable à la fin de la seconde guerre mondiale, pourrait se maintenir très longtemps face à des pays qui émergent et qui estiment, après l’avoir subi durant des décennies, que cette hégémonie n’avait plus lieu d’être.
Un des instruments essentiel de cette domination américaine est le dollar. Cette monnaie, qui n’a aucune valeur intrinsèque depuis 1971, s’est imposée au monde entier car elle avait le monopole des échanges internationaux depuis les accords de Bretton Woods en juillet 1944. Mais son statut initial, qu’elle a conservé, fait également d’elle la monnaie domestique américaine. C’est évidemment très commode pour les États-Unis et ceux qui les dirigent car ils peuvent ainsi exercer un pouvoir de contrôle sur l’économie mondiale, tout en faisant payer la dette publique américaine par le reste du monde. De Gaulle avait résumé cela par une phrase dès 1965 : « Ces dollars, qu’il ne tient qu’à eux d’émettre ».
Un nombre de plus en plus grand de pays, et non des moindres sur le plan économique, contestent aujourd’hui ce monopole du dollar. Or, la fin de ce monopole entraîne mécaniquement la fin de l’hégémonie américaine, et la perte du pouvoir exorbitant exercé par ce qui est appelé le « deep state » et qui est à la fois un lobby financier et industriel très puissant, dont les intérêts sont défendus par un « gouvernement de l ‘ombre » qui s’est progressivement installé depuis ces dernières décennies. Les acteurs de ce deep state sont parfaitement conscients du danger et n’entendent visiblement pas se résigner à une telle issue.
Plusieurs lignes d’actions simultanées
Tout d’abord, ralentir la croissance mondiale. Devenue faible dans les pays occidentaux en raison de leur désindustrialisation progressive, cette décroissance devrait toucher prioritairement les pays les plus producteurs. L’activité industrielle étant, pour une grande partie, dépendante à la fois des sources d’énergie et de matières premières, c’est sur ces sujets que l’attaque devait porter. Une des sources d’énergie les plus abondantes étant le charbon, il fallait commencer par lui. Il s’en suivit, sous couvert d’une lutte contre le réchauffement climatique dû à l’activité humaine, une véritable diabolisation de tout ce qui était combustible fossile. Cependant, le développement de l’énergie d’origine nucléaire pouvait représenter un danger aussi, car de mieux en mieux maîtrisée et de plus en plus rentable. Cette source d’énergie devait, sinon disparaître, du moins ne plus se développer avant de s’éteindre graduellement.
Concernant les matières premières, l’exemple japonais de la fin des années 1930 était dans tous les esprits et chacun était conscient de l’absolue nécessité de sécuriser ses sources d’approvisionnement tant qu’ils pouvaient le faire.
Ensuite, empêcher l’émergence d’une monnaie internationale qui pouvait progressivement supplanter le dollar en lui faisant perdre son monopole et tous les avantages qui en résultaient.
Le coup d’envoi fut donné lors de la réunion annuelle des banquiers centraux à Jackson Hole (Wyoming) en août 2019. Ce fut le gouverneur de la Banque d’Angleterre Marc Carney, qui tira la première salve. Il proposa de mettre en œuvre rapidement une monnaie électronique basée sur la pollution produite et qui serait entièrement contrôlée par le système des banques centrales.
Hasard ou plan concerté, l’épidémie du Sars-Cov-2 apparue deux mois plus tard, mettant un sérieux coup de frein à l’activité mondiale.
Cela contribua également à dégrader un climat mondial dans lequel les suspicions réciproques commençaient à poindre. Nombre de peuples réalisèrent alors combien la politique réputée « libérale » et basée sur un libre-échange asymétrique les avaient rendus dépendants pour des domaines aussi importants que la santé et également l’importance financière démesurée des grands laboratoires internationaux dont la position était devenue dominante.
Enfin, empêcher l’émergence d’un nouvel ordre mondial qui ferait passer d’un monde unipolaire dominé par les États-Unis à un monde qui se « régionaliserait » autour des continents. Ce monde « multipolaire » réhabiliterait la puissance du pouvoir politique, progressivement remplacée au fil du temps et des concentrations par la puissance des sociétés multinationales. Celles-ci avaient vocation à se substituer au pouvoir politique pour former l’ossature du futur gouvernement mondial, but ultime d’un projet qui s’était poursuivi depuis plus d’un siècle, générant au travers des guerres du 20ème siècle plusieurs dizaines de millions de morts.
Qui se bat et contre qui ?
À en croire nos médias « d’information » (qui sont plus devenus des médias « d’opinion ») la guerre en Ukraine n’est que l’affrontement d’un pays « conquérant » (la Russie) face à un pays luttant pour son indépendance et sa souveraineté (l’Ukraine). Belle image cependant un peu réductrice.
Cela permettait de commenter à longueur de journée sans pour autant élargir le champ de vision de ce qui se produisait réellement.
A en croire certaines voix américaines, notamment celle de Noam Schomski, ou celle du colonel Mac Gregor, tout a été fait pour provoquer cet affrontement, depuis le non-respect des paroles données, des traités signés jamais respectés et d’un bombardement régulier des populations du Dombass faisant des milliers de victimes.
Apparemment, les choses avaient été anticipées des deux côtés car les sanctions occidentales qui frappèrent la Russie furent établies en un temps record. Elles allaient se révéler beaucoup plus critiques pour l’Europe que pour la Russie, mais personne ne s’en souciait réellement. La riposte russe ne se fit guère attendre et pouvait paraître relativement modeste dans un premier temps. Il s’agissait d’exiger le paiement en roubles des produits énergétiques livrés par la Russie. Cette décision n’avait rien de spontanée et révélait une réflexion de long terme, dans le droit fil de ce combat de titans livré en apparence par la Russie, mais en réalité par un ensemble de pays, parmi lesquels des mastodontes comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, entre autres, contre une hégémonie qui se voudrait encore occidentale, mais purement anglo-américaine en réalité. Les pays de l’Union Européenne ne sont intervenus qu’au titre de l’OTAN, et les raisons qui ont fait que de Gaulle avait décidé de retirer la France du haut-commandement de l’OTAN sont toujours présentes. L’OTAN n’est que l’apparence d’une force internationale qui, dans sa réalité, est entièrement aux ordres de l’état profond américain.
La réalité de cette guerre en Ukraine est bien un affrontement entre des pays émergents en train de s’organiser pour combattre, à priori sur un plan économique, cette position hégémonique américaine mais les combats en Ukraine sont là pour rappeler que souvent la guerre économique n’est que le prélude à une guerre militaire. Ces pays représentent près de 80% de la population mondiale et ne peuvent être ignorés. La démocratie ne pourrait-elle s’étendre jusqu’à eux ?
Pourquoi cet assourdissant silence de la classe politique française ?
Que les médias « mainstream » ne parlent pas de la réalité de ce conflit mondial est déjà très étonnant, mais que pratiquement aucune personnalité politique française ne l’évoque non plus devient très inquiétant. Comment Emmanuel Macron justifie-t-il l’appui que nous apportons à l’Ukraine ? Après tout, aucune traité ne nous lie à ce pays, qui n’est membre ni de l’OTAN, ni de l’Union Européenne. On peut imaginer qu’il le fait en raison de valeurs telles que la liberté, la démocratie, le droit des peuples ou toute autre valeur dont l’Occident s’est fait le chantre, mais personne ne semble lui poser la question. Pourquoi ?
Personne ne peut douter que ces valeurs sont éminemment respectables, mais les évoquer pour, in fine, mettre en place une autorité mondiale qui, elle, n’entend pas s’en préoccuper, voilà qui est singulier, pour ne pas dire trompeur. Le remplacement du pouvoir politique par le pouvoir économique au niveau mondial s’accompagnera-t-il du respect de ces valeurs ?
On voit mal comment. Le pouvoir dans une entreprise est-il vraiment démocratique ? Avouez qu’on peut en douter ! A fortiori lorsqu’il s’agit de sociétés multinationales qui, souvent, optimisent leurs bénéfices en s’implantant là où les droits sociaux sont réduits, voire inexistants.
Combien de temps encore pourrons-nous faire l’économie de ce débat ?
Car, au-delà de ces questions, il y en a une qui les surplombe toutes et nous concerne au premier chef : quel avenir pour l’Union Européenne et surtout quel avenir pour la France ?
Nous risquons, dans ce suivisme suicidaire qui nous pousse à nous écarter, voire à combattre la Russie, de tout perdre. Notre industrie se réduit comme une peau de chagrin et nous manquons d’énergie et de matière première. Le nucléaire, dans lequel nous avions une maîtrise et une avance significatives semble dorénavant hors de notre portée. Des lois suicidaires comme celle dite « de la transition énergétique » nous conduisent vers la disparition du peu d’industrie qui nous reste.
L’automobile, si florissante pour notre pays durant des décennies, est directement menacée par des décisions politiques aberrantes, telle que l’arrêt des moteurs thermiques.
Tout ceci fait peser sur notre pays une menace qui, sans exagération, peut être qualifiée d’existentielle.
Je ne peux qu’acquiescer cette analyse.
Mais tant que les foyers de France continueront d’avaler les couleuvres de nos médias généralistes grassement subventionnés (enveloppe de 500 millions passée à deux milliards depuis deux ans !) il en sera ainsi.
Je suis effaré par le manque de curiosité des français alors que l’ensemble des familles possède un ordinateur où l’on trouve d’autres approches du monde.
Pareil pour moi ! La crise du COVID a mis en évidence l’absence d’esprit critique et le peu d’amour pour la liberté d’une écrasante majorité de nos concitoyens…
Résultat de 40 ans de socialisme qui finit par donner une confiance aveugle en l’Etat, tandis qu’en parallèle, la qualité de ses hommes ne cessait de décroître…
Tocqueville nous avait pourtant prévenus…
« Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sut leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? » (1840)
70 ans d’état providence, cela finit par produire des effets.
Il n’y a pas que la paresse intellectuelle des journalistes qui empêche de mettre sur la place publique le vrai conflit derrière la guerre en Ukraine. Le contrôle médiatique commence très tôt comme le laisse entendre ce témoignage:
https://www.ojim.fr/ecoles-de-journalisme-un-temoignage-de-la-pression-sur-les-eleves/
Dans ce contexte de verrouillage de l’information, peut-on imaginer un politicien prononcer un discours expliquant clairement les enjeux? Poutine l’a fait en Russie, en France on peut toujours attendre…
J’ai le droit de dire que ce suis totalement pas d’accord avec cet article si ce n’est la phrase de DeGaulle que vous devriez prendre pour vous ?
Yo man, toi sûr tout comprendre?
Bonjour Yo
Pourriez-vous nous en dire un peu plus?
Au passage, la phrase de de Gaulle est une paraphrase de Bossuet : « le plus grand dérèglement de l’esprit est de voir les choses telles qu’on voudrait qu’elles soient, et non telles qu’on a vu qu’elles sont en effet. »
Merci de cette précision. Elle ne rend que plus historique la phrase de de Gaulle
Très très bon billet. Une Feuille d’un En-dehors. Rare.
Bon article. Bonnes questions.
Une des réponses est la juxtaposition de microcosmes narratifs. Dès le collège et le lycée l’enseignement parle du communisme soviétique et du libérateur américain. Les bombes atomiques ‘lancées positivement’ par les américains ont cristallisé, vitrifié les pensées en Occident et dans le monde entier. On commence seulement à juger cette audace américaine comme surprenante, déplacée, arrogante, pathologique si on omet d’y glisser l’explication liée à la volonté impériale hégémonique de stupéfier le monde. Les élites de l’oligarchie qui jouit en nowhere du Système des otanisés veulent que leurs enfants pensent dans ce microcosme de propagande quasi hollywoodienne. Que ce soit en école de journalisme ou ailleurs, c’est cette doxa qui sert à reproduire le modèle ambiant de ‘réussite’ et à s’y insérer.
Et surtout il faut employer, comme un cabri, le mot mantra qu’est ‘démocratie’ pour ‘dire le bien’ en postdémocratie. Le camp du bien est démocratique, bien sûr. Démocratie et virilité humaine ne font pas bon ménage. C’est évident que des régimes politiques virils sont honnis. Mais d’où vient cet égalitarisme citoyen ? De l’apostasie. La bonté vivifiante d’Ephésien 5, 22 est incompréhensible dans ce nihilisme égalitariste dévirilisé. L’Eglise elle-même prête le flanc à cette dévirilisation des hommes, elle est contaminée. Synodons à outrance ! La contraception est ce tremplin mortifère et satanique qui sert à la castration des chefs et des chefs politiques. Le chef d’Etat Macron, le bonimenteur du BHV, en est le prototype stérile, homme déboussolé qui finira comme Zelenski dans les poubelles de l’histoire écrite par des hommes virils venus d’ailleurs. C’est l’apostasie qui est la guerre profonde, la deep war, qui se cache sous les Himars protestants déportés sur le Dniepr.
Très juste analyse de Jean Goychman, fondée sur le temps long. Les rapports de force réels ne peuvent apparaître qu’à travers ce type de mise en perspective.
Au risque de gâcher le plaisir de certains lecteurs, je me permets de soulever une contradiction dans le parcours de l’hyperpuissance anglo-saxonne:
Lorsque la plus grande dictature de l’histoire de l’humanité a intégré l’OMC, et ce quelques années seulement après un des plus effroyables carnages de la fin du XX° siècle, j’étais à la fois en rage et affolé. Ainsi donc le crime paye, puisqu’on n’a exigé aucune condition en matière de respect de droits de l’homme, mais en prime nous nous condamnions au chômage massif permanent.
Aujourd’hui l’hyperpuissance en question réalise qu’elle a armé un rival qui, en pratique, est déjà en meilleure posture. On sait sur quoi le Raminagrobis planétaire a parié pour rouler dans la farine la caste dominante mondialisée: l’addiction aux profits, avec son corollaire: la haine de tout ce qui protège les salariés de sa rapacité.
Lénine l’avait prédit: le capitaliste vendra la corde avec laquelle on le pendra.
Il vient de s’en rendre compte. Alors il se débat en jouant la politique du pire.
Comme d’habitude votre analyse est incontestable. Mais nous sommes arrivés au point de non-retour,conduit par un traître travaillant pour les puissances financières des USA, comme Sarkozy & Hollande avant lui. La phase actuelle est celle de l’affrontement avec les FDO, qui sont en train de céder à de nouveaux avantages, comme une année de retraite gratuite supplémentaire. Cette corruption en cours de négociation secrète, alors que pour les autres Français, elles sont suspendues, compromet grandement les chances d’une alliance des FDO avec le Peuple. Nous approchons donc de la phase suivante, fruit des assauts des nervis payés par le Pouvoir, comme pour les Gilets Jaunes, qui sera l’implication de la masse des manifestants pacifiques dans un conflit avec les FDO, avec des morts par les 90 auto-mitrailleuses de la Gendarmerie…Ce sera alor la Guerre Civile !!! Une seule solution la destitution de Macron & son jugement !!!