Les réserves « gelées » de la Banque centrale russe ont disparu au sein des banques occidentales – par  Ludmila Alexandrova

Les réserves « gelées » de la Banque centrale russe ont disparu au sein des banques occidentales – par Ludmila Alexandrova


Partager cet article

L'Occident a perdu des milliards russes qui avaient été bloqués au printemps par les mesures de sanctions. Selon Charles Lichfield, député chef du Centre de géoéconomie au Conseil de l'Atlantique, sur les 300 milliards de dollars de réserves d'or et de devises de la Russie, moins d'un tiers, soit environ 100 milliards de dollars, ont été effectivement trouvés et bloqués. Pour le reste, les 200 milliards de dollars, les responsables des pays « hostiles » ignorent où ils sont localisés. La Banque centrale de Russie pourra-t-elle ramener dans son port d'attache cette partie des réserves placées à l'étranger ?

Cet article initialement publié en russe sur Politika-ru (par  Ludmila Alexandrova) n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.

Après le début de l’opération spéciale, les pays du G7 ont décidé de bloquer les réserves d’or et de devises russes situées à l’étranger. La Fédération de Russie a immédiatement qualifié de « vol » cette saisie des avoirs. Selon l’analyse tirée des données de la Banque centrale sur les réserves publiées avant même le début de l’« opération spéciale », environ 300 milliards de dollars ont été gelés sur des comptes étrangers à la suite des sanctions.

A ce stade, il faut bien comprendre que les réserves placées à l’étranger ne sont pas comme une boîte remplie de billets et cachée dans un coffre-fort. Il s’agit de fonds conservés sur les dépôts et autres comptes des banques étrangères, ainsi que des titres de la dette publique. Les réserves d’or et de devises (internationales) sont, grosso modo, la « cache » monétaire du pays pour un jour de pluie. Elles sont composées majoritairement de titres des autres États. Bien que des informations sur le gel de 300 milliards de dollars de réserves russes soient apparues au printemps, et que la partie russe ait également fait des opérations sur ces données, il est maintenant devenu clair que les pays occidentaux – si l’on en croit le Conseil de l’Atlantique – n’ont réussi qu’à identifier et bloquer seulement moins de 100 milliards de dollars ! Désormais, les responsables occidentaux tentent de trouver les réserves restantes, ou du moins de comprendre les structures financières qui les détiennent.

Faute de savoir où sont logés les actifs « gelés », les pays occidentaux ne peuvent appliquer leurs sanctions

La Banque centrale russe a publié pour la dernière fois un rapport sur la structure de ses réserves en tout début d’année. Depuis, elle n’a pas mis à jour ce bilan. Selon ces déclarations au 1er janvier, les réserves s’élevaient à 612,9 milliards de dollars répartis par pays comme suit : 15,7 % en Allemagne, 9,9 % en France, 9,3 % au Japon, 6,4 % aux États-Unis, 5,1 % au Royaume-Uni, 2,7 % au Canada et 2,5% en Australie. Soit un total de 51,6 % représentant un peu plus de 300 milliards de dollars. Dès lors, les pays occidentaux ne peuvent donc pas appliquer leurs propres sanctions.

Valery Yemelyanov, expert en bourse chez BCS World of Investments en donne la raison : la Banque centrale a une structure de propriété d’actifs assez étendue qui ne sont pas strictement enregistrés auprès d’elle. « Certains titres peuvent appartenir à tel ou tel ministère ou fonds, mais ils se trouvent en fait sur des comptes étrangers du régulateur. Certains peuvent être prêtés à d’autres porteurs nominaux, le plus souvent à des banques commerciales. Tout cela est tout à fait légal et normal dans une vie « paisible », souligne l’expert. Or, dans les conditions actuelles, c’est difficile à démêler, car certaines banques sont sous sanctions de blocage comme la Banque centrale, d’autres qui sont seulement déconnectées des systèmes de paiement et de transfert, conservent les actifs, et le reste des établissements n’est pas sous le coup de sanctions. Puisque la Russie ne signale pas quels actifs étrangers appartiennent finalement à quelles structures, les autorités américaines elles-mêmes et bien sûr leurs alliés, ne peuvent pas les identifier.

Pour autant, la Banque centrale de Russie ne pourra pas récupérer ses fonds

Cependant, Emelyanov, considère qu’il est peu probable que la Banque centrale soit en mesure de reprendre possession de tous les actifs non trouvés par l’Occident : « En fait, ils sont simplement enregistrés auprès de banques ou d’entreprises qui ne peuvent toujours pas les retirer, car ils restent sous le régime des sanctions ».

Les réserves d’or et de change ne sont probablement pas sur les comptes de la Banque centrale elle-même, estime Mark Goykhman, analyste en chef chez TeleTrade, ce qui empêche les pays occidentaux de procéder à des recherches. « Il est tout à fait possible qu’une partie de ces ressources, par exemple, dans le cadre de certains accords, soit concentrée dans les comptes d’autres structures russes, notamment les banques publiques. Et la Banque centrale la reconnaît comme « gelée », puisque les banques qui détiennent ces avoirs tombent aussi sous le coup de sanctions, ce qui entraîne le blocage de leurs comptes. En réalité, ni la Banque centrale ni les banques publiques ne peuvent les utiliser. Il ne sera alors possible de reprendre la disponibilité de ces fonds que lorsque les sanctions contre la Russie seront levées. »

Par ailleurs, « la question de la restitution des fonds « gelés » n’a pas encore été » soulevée », explique Vladislav Antonov, analyste financier de BitRiver. « Il est impossible de travailler avec des ressources financières bloquées, mais ce que l’on sait, c’est que la partie russe travaille déjà sur des options pour libérer une partie des actifs », souligne-t-il. « C’est un chemin très long et difficile, car dans l’histoire contemporaine financière de la Russie, il n’existe aucun précédent ».


Partager cet article
Commentaires

S'abonner au Courrier des Stratèges

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter pour ne rien manquer de l'actualité.

Abonnement en cours...
You've been subscribed!
Quelque chose s'est mal passé
Libérons le capitalisme de l’Etat pour sauver la liberté!

Libérons le capitalisme de l’Etat pour sauver la liberté!

Le diagnostic dressé en février 2023 par Martin Wolf, célèbre éditorialiste au Financial Times,dans The Crisis of Democratic Capitalism, est d’une lucidité brutale, mais il se trompe de coupable : oui, le mariage entre capitalisme et démocratie bat de l'aile ; oui, les classes moyennes se sentent trahies par la mondialisation ; mais non, le capitalisme n’est pas intrinsèquement responsable de cette dérive vers l’autoritarisme. Ce qui tue la démocratie libérale aujourd'hui, ce n'est pas l'excès


FLORENT MACHABERT

FLORENT MACHABERT

Patrick Cohen vire complotiste devant les députés, par Veerle Daens

Patrick Cohen vire complotiste devant les députés, par Veerle Daens

C’était un moment de télévision d’une pureté soviétique, un instant suspendu où la réalité a fait une pirouette avant de s’écraser sur le marbre froid de l’Assemblée nationale. Nous avons assisté, émus aux larmes (payées par nos impôts), au calvaire de Patrick Cohen. Imaginez la scène : un employé de l’État, payé par la puissance publique, assis au cœur d'une institution publique, expliquant avec le plus grand sérieux que l'indépendance, la vraie, la seule, c'est celle qui est subventionnée. Et


CDS

CDS

La loi spéciale ou l'autopsie du "cadavre exquis" gaulliste

La loi spéciale ou l'autopsie du "cadavre exquis" gaulliste

Il aura fallu attendre l'hiver 2025 pour que la fiction juridique de la Ve République s'effondre enfin sous le poids de sa propre obsolescence. Le spectacle tragi-comique auquel nous assistons — ce rejet du budget, cette valse des Premiers ministres (Barnier, Bayrou, Lecornu) et ce recours humiliant à la "loi spéciale" — n'est pas une crise. C'est une clarification. C'est la preuve définitive que le logiciel du "parlementarisme rationalisé", conçu en 1958 pour museler la représentation natio


Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Ukraine, Mercosur, fédéralisme : l'UE revient à la case départ, par Elise Rochefort

Ukraine, Mercosur, fédéralisme : l'UE revient à la case départ, par Elise Rochefort

Si les sommets de décembre sont traditionnellement ceux des bilans, celui qui vient de s'achever sous la houlette d'António Costa (son premier "vrai" grand oral d'hiver) a surtout ressemblé à une veillée d'armes budgétaire et géopolitique. Le document final, sobrement intitulé « Conclusions », se lit moins comme une liste de cadeaux de Noël que comme un inventaire lucide des défis qui attendent l'Union en 2026. Attention aux 3 sujets mortifères du Conseil européen, par Thibault de VarenneAutou


Rédaction

Rédaction