Le geste de Viktor Orban en faveur de l'équipe de football hongroise s'est transformé en scandale international. L'Ukraine et la Roumanie ont été choquées qu'Orban apparaisse avec une écharpe de supporter représentant les frontières de l’ancienne « Grande Hongrie ». Quelles sont les véritables raisons d'une telle réaction et quelles conséquences ce geste d'Orban peut-il entraîner dans les relations de la Hongrie avec ses voisins ?
Cet article initialement publié en russe sur Politika-ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.
Le ministère ukrainien des Affaires étrangères a l’intention d’appeler l’ambassadeur hongrois « sur le tapis », c’est-à-dire pour le réprimander. La raison tient au fait que Viktor Orban, lors du match de football de l’équipe nationale hongroise contre la Grèce, est venu dans une écharpe à l’image de la « Grande Hongrie » : un pays dont le tracé des frontières, avant 1920, comprenait des territoires appartenant actuellement à l’Ukraine, à la Roumanie, à la Croatie, à l’Autriche, à la Serbie et à la Slovaquie …
Une manifestation du révisionnisme hongrois ?
Parmi les pays voisins cités, certains ont vivement réagi à la vue du foulard « provocateur ». Kyiv, qui a considéré ce geste comme une « propagande du révisionnisme », mais aussi la Roumanie, dont le ministère des Affaires étrangères a exprimé sa désapprobation à l’ambassadeur de Hongrie à Bucarest. Orban estime quant à lui que le football n’est pas de la politique : « Ne voyons pas ce qui n’est pas là. L’équipe nationale hongroise est l’équipe de tous les Hongrois, où qu’ils vivent » !
Cependant, tant à Budapest que dans les capitales voisines, l’on estime que la manifestation des frontières de la « Grande Hongrie » – Nagy-Magyarorszag – est liée, sinon à la politique actuelle, du moins à une partie importante de l’idéologie et de la mythologie hongroises. « Depuis 1990, les nationalistes utilisent l’image des frontières du Royaume de Hongrie à leurs fins politiques », rappelle Laszlo Kemeny, professeur de sciences politiques à l’université de Budapest. « Ils perçoivent la Hongrie comme quelque chose de plus qu’un État, puisque les Hongrois vivent non seulement à l’intérieur des frontières du pays, mais aussi partout à l’extérieur ».
Au printemps, des opinions s’étaient exprimées pour qu’Orban, en cas d’effondrement de l’État ukrainien, place sous sa protection les Hongrois vivant dans la région de Transcarpatie. « La plupart d’entre eux ont depuis longtemps la nationalité hongroise », souligne Kemeny. « Bien souvent, seuls les personnes âgées et les enfants sont restés là-bas, mais les autres sont allés travailler en Europe ».
Début novembre, le président Vladimir Poutine a rappelé qu’à la suite des résultats de la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre de territoires d’Ukraine occidentale avaient été enlevés de force à la Pologne, à la Roumanie et à la Hongrie. Cependant, du point de vue de l’historiosophie nationale locale, la Hongrie a perdu ses terres ancestrales bien plus tôt, en 1920.
Entre « pays de patchwork » et « honte du traité de Trianon » : un rappel historique nécessaire
Au tournant des IXe et Xe siècles, les Magyars (le nom propre des Hongrois) arrivèrent des steppes de l’actuelle Russie du Sud et de l’Oural jusqu’à la plaine pannonienne d’Europe orientale. Ils commencèrent immédiatement à conquérir les peuples environnants. Le premier roi chrétien, « Istvan le Saint » – début du XIe siècle – enleva les terres slovaques de la Pologne et établit le pouvoir hongrois à Oujgorod. Au début du XIIe siècle, le royaume de Hongrie annexa la Croatie et captura la Dalmatie aux Vénitiens sur la côte adriatique.
Ensuite, la Hongrie traversa des moments difficiles : au XVI-XVIIème siècles, la partie centrale du pays fut occupée par l’Empire ottoman. Après une série de guerres et la répression des soulèvements, les terres hongroises historiques furent définitivement consolidées sous le règne des Habsbourg. Mais même dans le cadre de la monarchie autrichienne, les Hongrois conservèrent largement leurs anciens droits et privilèges, en particulier leur domination sur la Croatie. Puis la révolution anti-Habsbourg de 1848-1849 apporta aux Hongrois presque la restauration de l’indépendance et la suprématie sur les peuples voisins.
En 1867, un accord entre les Allemands d’Autriche et les Hongrois divisa l’empire en deux moitiés. François-Joseph de Habsbourg devint le souverain de la double Autriche-Hongrie, portant les titres d’empereur d’Autriche et de roi de Hongrie. L’empire fut surnommé « le pays patchwork », ce qui était vrai en termes de composition ethnique. Mais politiquement, le pouvoir était strictement divisé en deux : la « Cisleithanie » avec l’Autriche et La « Transleithanie » – ou la moitié magyare de l’empire (Hongrie). Cette dernière se composait du Royaume de Hongrie qui comprenait la Slovaquie, la Transylvanie, la Voïvodine serbe et même l’actuelle terre autrichienne du Burgenland, ainsi que le Royaume de Croatie et de Slavonie. Le Royaume de Hongrie avait accès à l’Adriatique et donc à la mer Méditerranée. Il est d’ailleurs significatif que le futur dirigeant d’un pays indépendant, Miklós Horthy, ait atteint le rang de vice-amiral de la marine impériale et royale dans l’empire : il ne refusa pas ce titre, même après la perte de l’accès de la Hongrie à la mer.
Pendant la Première Guerre mondiale, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne furent alliées et réunies ensemble dans la défaite. Le 4 juin 1920, un accord fut signé au Grand Trianon du Château de Versailles qui sépara l’Autriche de la Hongrie et organisa pour cette dernière le dépeçage suivant : la Slovaquie et la Russie des Carpates furent cédées à la République tchécoslovaque, la Croatie et la Voïvodine furent cédées au Royaume des Serbes, les Croates et Slovènes rattachés à la future Yougoslavie et la perte de la Transylvanie au profit de la Roumanie. Les frontières issues du « Traité de Trianon » privèrent le pays de la plupart de ses ressources naturelles, ainsi que 72 % du territoire et 64 % de la population. Près de trois millions de Hongrois de souche restèrent derrière la nouvelle frontière, dans le sud de la Slovaquie, à l’ouest de la Transcarpatie, en Voïvodine et dans la région roumaine de Szekely.
Les changements liés à la Seconde Guerre mondiale et le retour au « Traité de Trianon »
Le régime de l’amiral-régent Horthy, devenu à la fin des années 1930 un allié du Troisième Reich, prit pendant un certain temps une revanche territoriale sur la « honte de Trianon ». A la suite de l’accord de Munich sur la division de la Tchécoslovaquie, le 29 septembre 1938, l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste validèrent le « premier arbitrage de Vienne » qui permet à la Hongrie de récupérer le sud de la Slovaquie et la partie sud-ouest de la Russie subcarpathique (Transcarpatie) avec la ville Uzhgorod.
En mars 1939, les troupes de Horthy vainquirent en une journée environ les nationalistes ukrainiens locaux dans le reste de la Transcarpatie, qui tentaient de proclamer « l’État de Carpatho-Ukraine sous la protection du Reich allemand ». Au fil du temps, Horthy prit le contrôle du nord de la Transylvanie et de la Voïvodine.
Mais après la Seconde Guerre mondiale, les pays de la coalition antihitlérienne décidèrent de ramener la Hongrie aux frontières du « Traité de Trianon », ce qui fut acté par le « Traité de Paris » de 1947.
Joseph Staline et Vyacheslav Molotov aidèrent la Tchécoslovaquie à transférer la Transcarpatie à la République socialiste soviétique d’Ukraine. Dans le cadre du camp socialiste et du Pacte de Varsovie, il n’était pas question d’une quelconque révision des frontières d’après-guerre en Europe de l’Est.
L’irrédentisme hongrois ne fait que se renforcer
La Hongrie moderne reconnaît de jure les frontières établies en 1920, mais l’irrédentisme – le désir de restituer des terres historiques perdues – ne fait que se renforcer dans la période post-communiste. Rappelons que de 1,2 à 1,4 million de Hongrois de souche vivent encore en Roumanie, au moins 450.000 dans le sud de la Slovaquie, plus de 250.000 dans le nord de la Serbie et plus de 150.000 personnes en Transcarpatie !
En 2010, le gouvernement conservateur de droite de Viktor Orban déclara le 4 juin (jour de la signature du « honteux » Traité de Trianon) Journée de l’unité nationale. Dix ans plus tard, en mai 2020, Orban publia une carte de la « Grande Hongrie » sur l’un des réseaux sociaux, ce qui provoqua le mécontentement des présidents de Croatie et de Roumanie.
« Le Premier ministre Orban a parlé ouvertement à plusieurs reprises de l’injustice des frontières actuelles du pays », a déclaré Vadim Trukhachev, professeur associé au Département d’études régionales étrangères et de politique étrangère de l’Université humanitaire d’État de Russie. « Et lorsque la Hongrie a présidé l’UE, Orban a même apporté à Bruxelles une vieille carte du Royaume de Hongrie, qui comprenait toute la Slovaquie actuelle, l’ouest de la Roumanie, la Transcarpatie, le nord de la Serbie, l’est de l’Autriche ».
Au moins deux partis nationalistes siègent dans la composition actuelle du parlement hongrois : le « Fidesz » d’Orban et le beaucoup plus radical « Notre Patrie ». Le parti « Jobbik », qui est membre de la coalition d’opposition libérale de gauche, se déclare désormais un parti centriste modéré. Mais au milieu des années 2010, il était réputé être d’extrême droite et publiait activement des cartes des « terres perdues de Grande Hongrie ».
« Il n’y a donc rien de nouveau dans ce qu’Orban a fait aujourd’hui », note Trukhachev. Tout comme il n’y a rien de nouveau dans le fait que la Roumanie proteste à ce sujet. La Slovaquie exprimera sûrement encore sa désapprobation. Quant à l’Ukraine, la protestation, ici, prête à sourire. Contrairement à la Roumanie, où la situation des Hongrois n’est pas idéale – ils ont cependant le droit à l’éducation dans leur langue maternelle et à leur propre parti – en Ukraine, les Hongrois sont privés de presque tous leurs droits.
Une situation géographique qui reste instable et compliquée
D’un autre côté, les protestations et le mécontentement de la Roumanie semblent également ridicules, car elle-même essaie d’absorber la Moldavie, considérant, selon ses normes, que c’est normal. « En même temps, ils n’aiment pas le fait que les Hongrois revendiquent leurs terres. Deux poids deux mesures dans les couleurs les plus vives », souligne Trukhachev. Ce dernier estime que « les Hongrois auraient dû être expulsés de Slovaquie en général. Mais en raison de la bonne volonté de l’Union soviétique et des autorités de la Tchécoslovaquie, cela ne s’est pas produit. Par conséquent, en ce qui concerne la Slovaquie, les Hongrois ont probablement les chances les plus minimes d’une confrontation ouverte. Quant à la Roumanie, si elle commence à absorber la Moldavie, alors la Hongrie peut en profiter et motiver ses revendications territoriales contre Bucarest. Mais il n’y aura pas de guerre ici ».
C’est autre chose avec la Transcarpatie ! « Compte tenu du fait que tout est possible en Ukraine, jusqu’au massacre des Hongrois, la Hongrie peut également y envoyer des troupes », prévient Trukhachev. Dans une telle situation, la Russie devrait rester patiente quant aux actions possibles de la Hongrie, mais avec une limite : la déstabilisation par Budapest de la Voïvodine serbe. « Eh bien, en Transcarpatie, ici, nous ne pouvons qu’accueillir la Hongrie », conclut le politologue.
Le professeur Kemeny estime quant à lui qu’il est pratiquement impossible de régler les différends territoriaux : « désormais, la Slovaquie, la Roumanie, la Croatie sont membres de l’UE. La Serbie semble aspirer à l’UE. Dans le même temps, les Hongrois qui y vivent ont non seulement la citoyenneté nationale, mais aussi la citoyenneté hongroise. Cela devient un gros problème pour les Hongrois en Hongrie même, car les citoyens qui ne vivent pas dans le pays participent aux élections locales et ne votent souvent pas comme beaucoup le souhaiteraient ». Ce politologue ajoute que « l’incident et la question territoriale ne sont pas susceptibles d’affecter les relations russo-hongroises. La Hongrie entretient des relations chaleureuses avec la Russie, contrairement à la plupart des pays européens, et je pense que cette politique de Moscou se poursuivra à l’avenir ».
C’est une idée relancé l’empire Austro-hongrois histoire de remettre du piquant…
Le seul qui ait des ‘cacahuètes’ (désolé) dans cette UE de pleutres et de moribonds.
Ah Viktor ton humour n’est pas à la hauteur de l’esprit du commun des mortels européen !