La préparation du coup d’État en Allemagne : des détails intéressants, par Ekaterina Sazhneva

Cet article initialement publié en russe sur mk.ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.

Ainsi, ces personnalités voulaient changer le gouvernement fédéral par un coup d’État. En tout cas, tous les médias allemands le proclament aujourd’hui. Mais qui sont-ils vraiment ? Décembristes allemands ? Rêveurs berlinois ? Peut-être que les forces de sécurité allemandes d’extrême droite ont été envahies par la folie à cause de la théorie du complot mondial ? Ou sont-ils de vrais patriotes, qui croient devoir sauver l’Allemagne de la crise profonde dans laquelle elle est tombée ?

La plupart des Allemands respectueux des lois sont en état de choc absolu. Ils se sont juste endormis dans le monde familier et se sont réveillés dans un monde parallèle. Les Allemands ont peur d’en discuter. Par téléphone et mail aussi. Ils ont peur des persécutions politiques. Les messages sont supprimés, bien que certains disent que « ces conspirateurs ne sont pas si fous », qu’il y a un « minimum de bon sens dans une grande partie de ce qu’ils voulaient faire », et qu’il est encore « impossible de vivre comme ça » … Un échec complet dans l’économie, la politique, la médecine, la hausse des prix, la baisse du niveau de vie, une adhésion populaire très faible à l’actuelle coalition au pouvoir : tout ceci confirme qu’en général, les conspirations ne naissent pas de rien.

Beaucoup de questions pour un fiasco attendu

Mais ce qui n’est pas très clair, cependant, c’est sur quoi les conspirateurs comptaient ? Comment pensaient-ils maintenir secret leur projet jusqu’au « jour X », alors qu’actuellement, l’espace d’information est totalement contrôlé ? Pourquoi ne voulaient-ils pas changer le gouvernement de manière légale, à la suite d’élections à l’image de ce qui s’est passé récemment au Royaume-Uni, lorsque le nouveau Premier ministre n’a même pas duré deux mois au pouvoir. Pourquoi étaient-ils si pressés ?

Naturellement, cette conspiration a conduit à un échec prévisible. La divulgation des plans des conspirateurs résulterait du fait que des membres de l’organisation secrète entretenaient des liens avec le groupe « United Patriots », dont les membres ont été arrêtés en avril pour avoir planifié l’enlèvement du ministre fédéral de la Santé, Karl Lauterbach ( SPD). Mais comment peut-on mener un complot à son terme si le groupe de conspirateurs est composé de plus de 20.000 membres actifs ? Et ce d’autant plus qu’aucune de ces personnes, semble-t-il, ne s’en cachait vraiment …

Entre contestation de la politique du gouvernement et adhésion aux théories complotistes

Comme l’a rapporté le procureur général de la Cour fédérale d’Allemagne, l’organisation elle-même a été créée au plus tard fin novembre 2021. Le timing est en effet significatif. A la fin de la deuxième année de la pandémie, avec ses restrictions et ses exigences exorbitantes, la patience de nombreux organismes chargés de l’application des lois – et pas seulement en Allemagne – a commencé à lâcher. Beaucoup ont supposé que les autorités allaient dans la mauvaise direction. Alors, qui doit-on considérer comme le coupable ?

En outre, les conspirateurs étaient eux-mêmes convaincus par un certain nombre de théories portant sur l’existence d’une « conspiration mondiale » : la démocratie n’existe pas, et sous son apparence, le monde des États-Unis est contrôlé par un groupe profondément conspirateur de satanistes et de pervers. C’est ce que l’on appelle l’idéologie « QAnon ». Les membres du groupe adhéraient à ces idées. « Ils croient fermement que l’Allemagne est actuellement gouvernée par des membres du soi-disant « État profond », a déclaré le procureur général dans un communiqué. En d’autres termes, ils sont partis du principe que l’Allemagne est, dans les coulisses, sous le contrôle étranger d’un monde profondément conspirateur.

Fondamentalement, les conspirateurs étaient des partisans de l’idéologie des « Citoyens du Reich » : ils voulaient ramener l’Allemagne aux frontières avant 1937, la réintégration d’une partie de la Hongrie, de la Pologne et, pour être honnête, de la Prusse orientale. Si on les compare à quelque chose, leurs idées rappellent quelque peu les rêves de certains de nos militants fous qui se disent encore citoyens de l’URSS, ne reconnaissent pas les passeports russes et les frontières de la Fédération de Russie après 1991 (en particulier les radicaux avant 1917).

Une vraie préparation militaire

Toujours selon le procureur général allemand, le groupe de conspirateurs considérait qu’il était de leur devoir de combattre les institutions ainsi que les représentants de l’État, et donc de prendre le pouvoir. Dans le même temps, l’« unité militaire » du mouvement était censée procéder à des « changements systémiques à tous les niveaux ». Cela voulait dire : éliminer les éléments d’un État de droit démocratique, y compris dans les communes et les arrondissements. Les déclarations des accusés montreraient également que de nécessaires « assassinats politiques » auraient pu se produire à la suite de cela, mais sous approbation. Comme toujours, « la fin justifie les moyens ». L’essentiel est de considérer votre objectif comme le seul correct et vital.

Certains conspirateurs militaires présumés ont servi dans la Bundeswehr. D’autres détenaient tout à fait légalement des armes, comme un juge bien connu qui siégeait auparavant au Bundestag. En outre, le groupe prévoyait de recruter d’autres membres de la Bundeswehr et de la police. Des membres de « l’unité militaire » auraient déjà effectué des reconnaissances des casernes de la Bundeswehr en Hesse, Bade-Wurtemberg et Bavière « pour tester leur aptitude au déploiement de leurs propres troupes après le coup d’État ». Le procureur général allemand estime que le groupe a passé au moins un an à se préparer de plus en plus intensément au « Jour X », en achetant du matériel et en s’entraînant au tir.

Pas de connexion avérée avec le pouvoir en Russie

Les conspirateurs avaient également élaboré un plan sur ce qu’il fallait faire après leur arrivée au pouvoir : la formation d’un gouvernement militaire de transition afin de négocier un nouveau régime étatique avec les puissances alliées victorieuses de la Seconde Guerre mondiale. Soit dit en passant, en politique étrangère, les membres du groupe auraient très probablement cessé de fournir une assistance militaire à l’Ukraine, car ils étaient convaincus que c’étaient des « satanistes pervers » aux Etats-Unis qui soutenait ce pays… 

L’un des présumés Fuhrers – dirigeants du mouvement – le prince Heinrich XIII Reuss (surnommé égalent le prince Royce) – est désormais en état d’arrestation. Avec l’aide d’une certaine citoyenne russe, Vitalia B., Henry XIII a eu accès à des documents classifiés et aurait tenté de prendre contact avec des représentants de la Fédération de Russie. Cependant, pour le moment, et selon le procureur général allemand, il n’y a aucune preuve de l’existence d’une telle connexion avec les structures du pouvoir en Russie.

Il est indiqué que le prince Royce a présidé le « Conseil », nom de l’organe directeur du groupe et que celui-ci s’est réuni régulièrement au cours des douze derniers mois pour planifier les structures gouvernementales et préparer l’avenir en général. Il a dirigé – comme pour le gouvernement actuel – les différents secteurs et départements chargés des affaires étrangères, de la justice et de la santé. Selon le procureur fédéral, si les conspirateurs réussissaient leur coup d’Etat, Royce lui-même, 71 ans, se serait alors vu confier le rôle de chef de l’État. L’ancienne députée de l’AfD (le parti d’extrême droite « Alternative pour l’Allemagne »), Birgit Malsack-Winkemann, devait également devenir ministre de la Justice. Un fait intéressant est à noter : les membres du groupe en détention ont été conduits avec beaucoup de douceur et de prudence, et même sans menottes. On suppose que la plupart des personnes actuellement détenues seront libérées dans un avenir très proche avec l’aide d’avocats.

Est-ce que tout est terminé ?

De nombreux Allemands viennent seulement d’apprendre l’existence d’une certaine élite qui veut que tout le monde vive bien et heureux, et non soumis à un gouvernement autoritaire. Nul ne peut dire que ce mouvement n’a pas de nombreux et nouveaux partisans, ceux qui rejettent la vie telle qu’elle est devenue aujourd’hui.

Que peut-on ajouter d’autre sur tout ce qui se passe ? Oui, de l’extérieur, cela ressemble à une sorte de roman tabloïd, et de qualité assez médiocre. Il serait naïf d’espérer que, dans un Etat européen moderne et qui a tous les signes d’une démocratie élective, on puisse simplement organiser un coup d’Etat pour prendre le pouvoir … N’y avait-il vraiment pas d’autre moyen ? Il semble que les Allemands aient toujours été très intelligents. Et leurs forces de sécurité sont probablement les plus pragmatiques parmi les pragmatiques.

Quand des citoyens ordinaires, qui ont trop regardé la télé, parlent de la domination du monde en coulisses, avec des « reptiliens » et des « satanistes », ils sont généralement soignés dans des lieux spécialement dédiés. Or, nous voici avec une « élite » conspirationniste en décembre 2022, à l’image de la conspiration de « décembristes russes » de l’année 1825. Mais comme l’a dit Lénine, « Ils étaient terriblement loin du peuple, et donc ils ont souffert » …