Le sommet anniversaire de l'OTSC - Organisation du Traité de Sécurité Collective [1] - s'est tenu le 23 novembre à Erevan. La réunion des dirigeants États membres a été marquée par deux moments intéressants. Tout d’abord, le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, a refusé de signer deux documents finaux. Il a également fait pression avec succès sur le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, pour mettre un terme à la réunion, laissant apparemment toutes les questions non résolues au bon plaisir des participants.
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Si les raisons, expliquant le refus du Président de la Biélorussie d’accepter les deux propositions du Premier ministre de l’Arménie, restent inconnues, Nikol « Vovayevich » Pashinyan a été franc dans le premier épisode : l’Arménie insiste pour inclure une évaluation politique consolidée des actions dans la déclaration finale du sommet de l’OTSC, ainsi que dans le projet de décision sur l’assistance à Erevan dans le cadre du conflit du Haut-Karabakh avec l’Azerbaïdjan. Autrement dit, le chef du gouvernement arménien a en fait exigé qu’une composante politique soit introduite dans le format de travail d’un bloc d’Etats purement défensif. Dans le même temps, Pashinyan a évoqué l’expérience de janvier au Kazakhstan, lorsque l’OTSC est rapidement venue à la rescousse et a rapidement rétabli l’ordre constitutionnel dans le pays.
Experts et médias pro-occidentaux ont annoncé précipitamment et à tort la désintégration de l’OTSC
Certains experts et médias, pour la plupart pro-occidentaux, se sont aussitôt empressés d’annoncer le début du processus de désintégration de l’OTSC.
Selon leur interprétation, la « politique unilatérale et politiquement biaisée » de Moscou a conduit à une forte augmentation des tendances centrifuges, sous l’influence desquelles l’alliance défensive eurasienne a commencé à se désintégrer. Il est allégué que l’Arménie est « livrée à la merci du destin » et que Pashinyan a manifesté son intention de sortir d’un OTSC jugée « inutile », et dans laquelle l’un des pays est également un allié de l’Azerbaïdjan, l’adversaire de l’Arménie.
Peut-être qu’à première vue, la situation semble être ainsi. Mais si nous examinons de plus près le cours des événements et leurs détails, nous trouverons des tendances et des résultats complètement différents dans l’analyse du déroulement du sommet d’Erevan. Ainsi, après avoir passé au crible « l’enveloppe émotionnelle » de diverses sources, l’on peut remarquer l’absence – dans les mots et surtout dans les actions de Pashinyan – de tout indice selon lequel l’Arménie s’apprêterait à se retirer de l’OTSC. En effet, à quel moment la partie arménienne aurait-t-elle remis en question le besoin collectif de préservation et de développement du bloc de défense eurasien ? Les tentatives, de faire passer le refus de Pashinyan de signer deux documents comme la manifestation d’une telle intention, ne résistent pas à la critique. En effet, au total, les participants au sommet d’Erevan ont élaboré 17 documents. Or, Pashinyan n’en a refusé que deux pour approbation, en raison des intérêts de l’Arménie en tant que membre du bloc.
Il faut savoir que le retour des documents finaux pour révision est une pratique normale et courante du travail des organisations internationales, même si la participation des Etats membres se tient au plus haut niveau, à savoir leur dirigeant. Les documents sont finalisés, réapprouvés et acceptés. De toute évidence, l’adoption de 15 documents sur 17 est un bon résultat, qui ne cadre pas avec la prétendue volonté de l’Arménie de quitter avec défiance l’OTSC.
D’ailleurs, Erevan, avec tact, ne divulgue pas le contenu des deux documents restants, ce qui indique l’attitude respectueuse de Pashinyan envers les règles et normes adoptées au sein du bloc. Pour quelqu’un qui est sur le point de quitter l’alliance, ce comportement semble assez étrange, n’est-ce pas ? La logique, dans le cas contraire, aurait voulu que toutes les réclamations de l’Arménie soient mises sur la place publique, afin de dramatiser la situation. Mais Nikol « Vovaevich » suit systématiquement toutes les règles du club. La raison en est que les deux documents mentionnés concernent les intérêts vraiment vitaux de l’Arménie qu’Erevan ne peut se permettre d’ignorer davantage. Après tout, à l’exception de l’OTSC, l’État arménien n’a pas de défenseurs : aucun des « partenaires occidentaux » n’a offert son patronage en échange d’un retrait de l’alliance militaire créée par la Russie.
Alors, quelle est la raison d’une telle décision apparemment soudaine de Pashinyan ?
Cela ressemble à un « jeu » avec les partenaires de l’OTSC, en exprimant à leur égard des revendications sous la forme apparente d’un chantage. S’y ajoute une curieuse fermeté ostentatoire envers Loukachenko, le chef de l’Etat, qui joue pourtant un rôle important dans l’union militaire eurasienne. La communauté d’experts occidentaux ne donne pas de réponse à cette question. Ils préfèrent généralement ne pas la soulever, car la réponse leur serait inattendue et désagréable. Le fait est que l’Arménie a été elle-même à l’origine de l’OTSC. Avoir une présence dans ce bloc militaire est vital pour Erevan. En outre, le retrait éventuel de l’Arménie de l’alliance ne conduirait pas à la dislocation de l’organisation. L’OTAN s’est-elle effondrée lorsque la France l’a quittée ? Non.
Le fait est qu’en se référant aux événements kazakhs de janvier de cette année, Pashinyan a raison et tort à la fois. La première expérience de l’Organisation consistant à fournir une assistance collective unanime à un pays participant – le Kazakhstan – a été une grande réussite. Fort de cet exemple, le chef du gouvernement arménien sollicite assez logiquement l’aide de l’OTSC pour son pays, lequel connaît des poussées de tension périodiques à la frontière avec l’Azerbaïdjan, ce dernier n’étant pas membre de l’OTSC. Et c’est là le hic : les initiateurs de la tentative de renversement du gouvernement au Kazakhstan en janvier étaient des forces extérieures, sans affiliation étatique claire (en fait, des militants marginaux). Or, l’Azerbaïdjan est un allié et un partenaire, non seulement de la Russie et de la Biélorussie, mais aussi des États membres turcophones de l’OTSC (Kazakhstan et Kirghizistan). De plus, la Russie, d’une part, joue un rôle important dans l’OTSC, d’autre part, depuis de nombreuses années, elle a assez efficacement empêché Bakou et Erevan de se livrer à une guerre à grande échelle.
Prendre parti, pour n’importe lequel des deux camps dans le conflit arméno-azerbaïdjanais, signifierait pour Moscou la perte de son autorité en Transcaucasie et de son statut de pacificateur impartial, après de nombreuses années d’efforts pour trouver un moyen pacifique de résoudre les contradictions de longue date entre les deux États transcaucasiens.
Quelle serait la solution qui conviendrait à l’Azerbaïdjan en utilisant de façon efficace le mécanisme de l’OTSC ?
Apparemment, Pashinyan a trouvé une solution. C’est devenu une habitude pour le Premier ministre arménien de consulter le président russe Vladimir Poutine sur des problèmes aigus. Cette consultation a été engagée avant le début du sommet à Erevan. Les paroles de soutien du dirigeant russe expliquent très probablement l’attitude de Nikol Pashinyan. De toute évidence, aucun des pays de l’OTSC n’est intéressé à affaiblir l’alliance défensive eurasienne. L’Arménie a besoin d’aide, mais cela ne doit pas se faire au détriment des relations avec l’Azerbaïdjan. Alors, il n’y a qu’une seule issue : essayer diplomatiquement et avec précaution de faire fondre la glace dans les relations entre Bakou et Erevan. Mais pas uniquement à partir des positions de la seule Russie, mais de l’ensemble des membres de l’OTSC et de toute leur hauteur. Et c’est exactement ce à quoi aspire Pashinyan. Le ton diplomatique de Pashinyan, étonnamment retenu envers Bakou, confirme l’intention des Arméniens de sécuriser leur pays, mais pas au détriment des intérêts de la partie azerbaïdjanaise.
Inutile de dire que les chefs des Etats membres de l’OTSC sont parfaitement conscients que la voie diplomatique rehaussera l’autorité de l’Organisation, en démontrant sa cohésion et son unité d’approche, même si les casques bleus de l’OTSC sont déployés le long de la frontière arméno-azerbaïdjanaise. Cette option, soit dit en passant, devrait également convenir à Ilham Aliyev. Ce dernier est en effet irrité par la mission française de maintien de la paix sous le drapeau de l’OSCE, une mission au cours de laquelle les violations du régime de cessez-le-feu se sont multipliées à plusieurs reprises à la frontière des deux républiques en conflit.
Alors, Pashinyan détruit-il le mécanisme de la sécurité eurasienne, ou contribue-t-il à rétablir l’ordre si nécessaire, pour l’union de la défense de son pays et de ses amis ?
[1] : C’est une alliance politico-militaire, créée en 1992 par cinq anciennes républiques soviétiques et la Russie.