Produisant une sorte de cas intermédiaire entre conservation des industries en Europe et migration vers l’Asie, les joint-ventures entre constructeurs occidentaux et partenaires en Europe de l’est sont intéressants, dans la mesure où les sociétés concernées sont comparables.
Quelle leçon tirer, par exemple, du fait que la Dacia Sandero vient, en chiffres de vente en France, de passer devant la Renault Clio ? Le paramètre-clé est, bien entendu, le coût de la main d’œuvre. Mais, sachant que l’Europe occidentale subit une crise de la main d’œuvre qualifiée, et que la Roumanie appartient depuis presque vingt ans à l’Union européenne, comment expliquer qu’on trouve encore, pour construire la Sandero à un coût inférieur à celui de la Clio, des travailleurs roumains qui n’ont pas émigré ? Il faut croire que, en dépit du discours d’autodépréciation qui domine le débat public des pays post-communistes, en Roumanie, il fait encore bon vivre.
Paye ton féminisme !
Les facteurs sont multiples, mais on aurait tort de faire l’impasse sur un aspect que, paradoxalement, le discours féministe radical est le seul à souligner : bien que mal payé, le travailleur industriel productif (généralement masculin) d’Europe de l’est jouit encore des bénéfices de ce travail reproductif généralement assuré par les femmes : quand on est sûr de trouver un dîner cuisiné à son retour de l’usine, on est moins soumis à l’impératif d’optimisation salariale qui (en tout cas face à l’Asie) condamne l’industrie européenne. Ce qui amène à soulever une autre question agaçante : les tendances « illibérales » des sociétés est-européennes sont-elles réellement la conséquence d’une sorte de rhétorique des valeurs comme celle que tentent, à l’ouest, de promouvoir des tribuns du type Zemmour ? Ou plutôt la résultante d’une structure sociale qui ne tend pas encore complètement vers l’élimination du travail productif ? D’où, aussi, une question bien gênante pour ceux qui pensent pouvoir et devoir s’opposer à l’utopie « verte et inclusive » de Davos : ont-ils bien mesuré le coût culturel de la conservation du paradigme productif qui avait, jusqu’à la fin des Trente Glorieuses, assuré la pérennité du modèle des États-nations démocratiques ?