Cédant à la mode qui veut faire des artistes les arbitres de crises sociales, le trompettiste Ibrahim Maalouf s’est cru obligé de conseiller aux racailles de tenter leur chance dans la musique – sous la forme d’un Tweet suffisamment ridicule pour l’obliger, peu après, à effacer son compte Twitter.
Conséquence prévisible du primat de la sensibilité qui (merci Rousseau) mine notre culture depuis la fin du XVIIIe siècle : Maalouf, dont personne ne conteste le sens de l’harmonie, de la mélodie ou du contretemps, s’estime aussi habilité à conseiller la société et son gouvernement face à une crise dont les ressorts relèvent pourtant plutôt de l’économie, de la sociologie et de la science politique.
Faut-il, comme le conseille Eric Verhaeghe, intégrer les banlieues par le travail productif ? Que nenni. Comme à peu près tout le monde à gauche, Maalouf propose, pour l’essentiel, de rajouter une couche aux politiques ratées des dernières décennies : averse d’argent public sur un tissu associatif prétendant trouver dans une infinité de loisirs improductifs (le sport, la « culture » – comprendre : les arts bourgeois, dans une version affadie par le gauchisme, etc.) la solution à un mal qui s’enracine pourtant clairement dans l’improductivité.
Le pipeau au prix de l’amour : qui c’est qui paie ?
Du point de vue de la stricte légalité, on ne peut certes pas assimiler les rarissimes réussites sociales obtenues par ce biais (footballeurs, musiciens…) à l’enrichissement fulgurant de certains dealers.
Et pourtant, le ressort culturel est bien le même – parfaitement typique de la mentalité qui, un peu partout dans le monde, contribue à la stagnation des lumpen-prolétariats : une conception à la fois individualiste et fataliste de la réussite (« beaucoup d’appelés, peu d’élus »), reposant plus sur la prédestination biologique ou métaphysique (baraka) que sur le travail et la coopération.
Dans le même registre des bons conseils du grand-frère parvenu, Maalouf pourrait aussi suggérer aux beurettes les plus accortes et les plus désinhibées des carrières fulgurantes d’escorts de luxe : c’est un soin qu’il laissera a priori plutôt à tel ou tel artiste/expert mieux versé en provo, comme le féministe Beigbeder.
Après tout, est-il réellement plus indigne de satisfaire les fantaisies érotiques d’hommes d’affaires de Chine ou du Golfe que de naviguer sur les eaux troubles d’un marché de l’art vérolé par le copinage et la subvention ?
Comment promouvoir le travail quand il y a l’argent facile de la drogue ?