Quelques leçons à tirer de l’échec du RN, par Yves-Marie Adeline

Il ne s’agit pas de donner des leçons, mais d’en tirer. D’ailleurs, un échec relatif, quand on réalise que ce parti est passé, d’une législative à l’autre, de 89 députés à 143, une progression inconnue dans les autres partis…

French far-right Rassemblement National (RN) party President and lead MEP Jordan Bardella (R) speaks next to leader of Les Republicains (LR) right-wing opposition party Eric Ciotti (L) attend a meeting with French employers' association Movement of the Enterprises of France (MEDEF) gathering party and coalition leaders ahead of legislative elections, in Paris on June 20, 2024. (Photo by JULIEN DE ROSA / AFP)

Contrairement à ce qu’on avait cru, il existe encore un plafond de verre, certes pas aussi solide que jadis, mais tout de même : avoir réussi à convaincre des électorats aussi différents que ceux de Macron et de Mélenchon à agir ensemble contre leur ennemi commun montre bien que le plafond est moins épais, mais n’est toujours pas brisé : en l’absence de leurs candidats au second tour, 43% des électeurs macronistes ont voté Front populaire, 72% des électeurs Front populaire ont voté macroniste, et 70% pour un candidat LR.

Dédiabolisation du RN

Il faut garder à l’esprit que la politique est avant tout le royaume de l’imaginaire. Pour ne donner que deux exemples, tirés des luttes sociétales de la gauche (qui, nous le savons, a abandonné le social pour le sociétal), il est surprenant que durant l’entre-deux tours, on nous ait dit qu’une victoire du RN nuirait à la cause homosexuelle, alors même que le RN est le parti le plus homosexuel de France, tout au moins parmi ses instances dirigeantes ; de même qu’à la cause de l’avortement, alors que l’immense majorité de ses députés de la législature précédente ont voté docilement la constitutionnalisation du droit à l’avortement. On a aussi entendu les plaintes habituelles sur les chambres à gaz, les camps de concentration, les panzerdivizionnen , etc. : aussi incroyable que cela puisse paraître, beaucoup d’électeurs y croient encore.

Est-ce à dire que la dédiabolisation entamée de longue date par Marine Le Pen n’a pas réussi ? Bien sûr que si, ce n’est pas pour rien qu’elle réalise des scores incomparablement supérieurs à ceux de son père. En outre, l’importation de la guerre israélo-palestinienne sur notre sol, où vivent une dizaine de millions de musulmans, lui a permis de nouer des alliances avec une partie de la population juive française, affolée par le phénomène au point que certains de ses représentants, jadis favorables ou même artisans de cette immigration, comme Julien Dray, manifestent aujourd’hui un soutien plus ou moins discret que l’on retrouve souvent sur les plateaux TV. Il n’empêche que « l’imagination au pouvoir » est une réalité en démocratie, et que ceux qui possèdent les moyens de la créer, par la culture, les médias, l’école, etc., même le sport ! ont un avantage certain sur leurs adversaires. Bref, la dernière législative a été probablement volée au RN, sans qu’il y ait pu grand’chose.

Erreurs stratégiques du RN

Face à ces contraintes extérieures, on s’étonne que depuis toujours, ce parti croit qu’il peut gagner seul, malgré la règle élémentaire de l’action politique : on ne gagne jamais seul, la politique est l’art de l’addition, pas de la soustraction, et quand on fait de la politique, on ne rencontre jamais personne qui pense exactement comme soi, mais seulement des gens qui agissent dans le même sens que soi. M. Bardella semble nourrir les mêmes illusions que celles du fondateur Jean-Marie Le Pen, qu’il n’a pourtant pas connu. Or, l’union – pas la fusion, l’union - des droites est la seule voie possible, surtout dans un régime fondamentalement de gauche, qui avantagera toujours, dans son principe même, les valeurs de la gauche [1] . L’accord électoral passé avec Eric Ciotti, qui probablement entraînera de lourdes conséquences pour les cadres républicains majoritairement hostiles à l’union, lui ouvre sans doute un axe de progression ; en revanche, la façon dont le RN a accordé, en se bouchant le nez, cinq candidatures d’union seulement aux marionistes –trois sur cinq ont pourtant conduit à leur élection – alors que Marion Maréchal venait de réaliser – contre les pronostics du RN - 5,5% aux européennes, a impressionné défavorablement des électeurs à droite.Il faut probablement attribuer cette erreur au poids que pèsent au Bureau exécutif de nombreux cadres opposés à la position de Marion Maréchal sur les questions LGBT et plus généralement sociétales : or, il s’agissait de gagner des sièges avec des alliés, pas de convertir ces alliés aux convictions de quelques cadres : ici, comme chez les LR, le Bureau exécutif a joué contre les électeurs.

Mais il n’y a pas que les contraintes extérieures. Le RN souffre aussi d’anémie intérieure, en manquant cruellement de cadres compétents, visibles, médiatisables. A part Marine et Bardella, on compte sur les doigts de la main d’autres intervenants charismatiques possibles, ce qui n’est pas normal pour un parti déjà ancien, et le premier de France.

Il est indispensable que de fortes personnalités fassent vivre ce parti. Mitterrand et Chirac étaient entourés de lieutenants brillants, qui ont pu parfois leur faire de l’ombre, voire à l’occasion menacer leur leadership (on pense à Rocard contre Mitterrand à la veille de 1981, à Pasqua, Balladur, Sarkozy, contre Chirac à la veille de 1995) mais la force de ces deux partis résidait dans la présence de nombreux ténors, incarnant les uns et les autres des sensibilités différentes qui s’additionnaient. Le RN n’a aucun ténor à proprement parler autre que Marine Le Pen, présidente du groupe parlementaire, et Bardella, président du parti ; c’est très insuffisant. Il est possible que Marine Le Pen ait été traumatisée dans sa jeunesse par la scission provoquée en 1999 par Bruno Mégret – qui emporta avec lui les meilleurs cadres du mouvement - mais il lui faudra bien un jour surmonter ce traumatisme, qui aujourd’hui la conduit à se méfier exagérément des personnalités trop trempées. Souvenons-nous de M. Macron appelant au gouvernement ceux qui le critiquaient le plus durant la présidentielle de 2017 : Le Maire, Bayrou, Sarnez, même Edouard Philippe… Mitterrand disait que pour faire de la politique, il faut avoir une peau d’éléphant.

En tout état de cause, voilà deux axes de progression du parti.

https://www.youtube.com/watch?v=q8Jtd3EFLvw

[1] Lire La Droite impossible , ou encore La Droite où l’on n’arrive jamais .

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