Alors que les budgets de la nation sont en cours d’examen – ou plutôt de détricotage – au Parlement, la Cour des Comptes vient, fort opportunément, de publier deux rapports relatifs à des enjeux de protection sociale : l’un concernant “la situation financière de la Sécurité sociale” telle qu’esquissée par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 et l’autre concernant la fiscalité de l’épargne retraite.
Dans une configuration politique notamment marquée par le caractère pour le moins complexe des perspectives budgétaires de la France, ces deux rapports de la Cour des Comptes viennent annoncer des lendemains qui déchantent pour la protection sociale des citoyens.
La “capi” dans le viseur de la Cour des Comptes
S’agissant de la retraite par capitalisation, ou épargne retraite, la Cour des Comptes propose d’abord un retour critique sur la mise en œuvre de la loi Pacte de 2019 – qui a notamment réorganisé les dispositifs issus de la réforme des retraites de 2003. D’abord, et ceci n’étonnera guère nos lecteurs, elle constater que la retraite par capitalisation n’occupe qu’une place “modeste” dans le financement des retraites en France : ” l’épargne retraite ne représentait en 2022 que 5,1 % des cotisations retraite et 2,3 % des prestations servies”. Ensuite, et ceci n’étonnera pas davantage nos lecteurs, elle met en avant le fait que l’épargne retraite s’adresse surtout ” aux catégories socio-professionnelles aisées, aux épargnants âgés et aux contribuables soumis à des taux d’imposition élevés”, à la recherche de solutions “d’optimisation fiscale”. Enfin, elle déplore le fait que l’absence d’effet spécifique de l’épargne retraite, par rapport notamment à l’assurance-vie, sur le financement de l’économie – les TPE/PME, en particulier, bénéficiant peu de ses fonds.
Or, malgré les limites importantes de la retraite par capitalisation dans l’atteinte des objectifs qui lui sont fixés, son coût pour le budget est non négligeable. “L’évaluation réalisée par la Cour montre que les déductions fiscales dont bénéficie l’épargne retraite représentent un coût pour les finances publiques estimé à au moins 1,8 Md€ en 2022 (sans tenir compte de l’épargne retraite collective obligatoire)” indique la rue Cambon. Partant de là, et étant donné la situation budgétaire délicate de la France, elle appelle explicitement à revenir sur ses avantages fiscaux : “La faiblesse de l’impact de l’épargne retraite sur les investissements en fonds propres des entreprises et la concentration de sa distribution sur les ménages aisés justifient, dans un contexte budgétaire très contraint, un resserrement de l’avantage fiscal attaché à ce produit”. Ceci pourrait notamment passer par la révision des “possibilités de report des plafonds de déduction d’une année sur l’autre” et par celle du “montant des plafonds annuels de déduction”.
A la Sécurité sociale, “une trajectoire des déficits non soutenable de 2026 à 2028”
A côté de premier rapport sur l’épargne retraite et son traitement fiscal, la Cour des Comptes s’est penchée sur le cas de la situation financière de la Sécurité sociale, telle que décrite dans le PLFSS 2025. Si la Cour salue “l’effort de maîtrise des déficits prévus en 2025”, force est toutefois de constater que son propos repose surtout sur une énumération de déficits vertigineux : “18 Md€ en 2024”, “non seulement en dégradation par rapport à 2023 (10,8 Md€) mais […] aussi un dépassement de 7,5 Md€ par rapport à la prévision initiale en loi de financement de la sécurité sociale pour 2024”, puis “16 Md€ en 2025”, sous diverses réserves. Surtout, et comme nous l’avions souligné à l’occasion de la publication du PLFSS 2025, à plus long terme, les perspectives financières de la Sécurité sociale apparaissent intenables. “D’ici à 2028, l’accumulation des déficits annuels atteindrait près de 100 Md€ ce qui revient à la reconstitution d’une dette sociale pour laquelle il n’y a pas de solution de financement de long terme” s’inquiète les magistrats de la rue Cambon.
Dans une configuration aussi dégradée que celle-ci, ils tirent la sonnette d’alarme. “Une stratégie pluriannuelle de redressement des comptes sociaux est indispensable”, juge-t-il. Elle doit d’une part passer par des mesures d’économies sur les dépenses – nommées plus pudiquement “mesures d’efficience permettant des économies”. Ces mesures doivent “porter en priorité sur la branche maladie”, qui contribuerait en effet le plus au fort creusement du déficit de la Sécurité sociale. D’autre part, pour la Cour des Comptes, la stratégie d’assainissement des comptes de la protection sociale des Français doit passer par une progression des recettes de la Sécurité sociale – autrement dit par un alourdissement du coût de la main d’œuvre. Dans la droite lignée de la proposition gouvernementale contenue en la matière dans le PLFSS 2025, elle préconise en l’occurrence le “nécessaire réexamen des exemptions et des allègements de cotisations sociales”. Ainsi donc, pour la Sécurité sociale, la Cour des Comptes recommande une potion amère à base de baisse des dépenses et de hausses des recettes.
La protection sociale vers l’austérité durable
En l’état, ces préconisations de la rue Cambon demeurent, certes, de simples recommandations, dont le gouvernement peut, librement, s’inspirer ou non dans le cadre de la détermination de la politique budgétaire du pays. Dans la mesure, pourtant, où il fait face à de fortes contraintes dans cet exercice, il est tentant de penser que ces préconisations esquissent de futures pistes de réflexions et d’actions gouvernementales. Que ce soit de manière légale, c’est-à-dire débattue au Parlement, ou de manière plus unilatérale, il y a tout lieu de penser que, dans les prochaines semaines et les prochains mois, le gouvernement – qu’il s’agisse de l’équipe en place ou d’une autre qui en viendrait à lui succéder – va devoir prendre des mesures de dégradation tous azimuts des principaux régimes de protection sociale : retraite, y compris supplémentaire et assurance maladie comme y invite la Cour des Comptes dans ses deux derniers rapports, mais également allocations familiales ou encore assurance chômage.
Lorsqu’il a surgi en France dans le débat public, dès les années 1980, le thème du vieillissement de la population a essentiellement donné lieu à des considérations, puis des décisions publiques, relatives à ses conséquences sur les régimes de retraite. En réalité, alors que ce vieillissement est entré dans sa phase la plus notable depuis une dizaine d’années maintenant – avec l’atteinte du seuil des 70 ans par les premiers baby-boomers – on s’aperçoit que le poids de ce vieillissement se fait ressentir dans bien d’autres domaines que celui de la retraite : assurance maladie, en premier lieu, mais également action sociale ou encore prévoyance. Or, cet alourdissement des charges pesant sur les régimes de protection sociale survient dans une période économique pas vraiment marquée par une dynamique forte – bien au contraire. De fait, les conditions du financement, à court et long termes, des régimes de protection sociale n’apparaissent plus réunies. Des réductions de périmètres des mutualisations de protection sociale, opérées sur la nature ou le niveau des prestations qu’ils prennent en charge, pourraient bien s’avérer de plus en plus difficilement évitables.