Propriété intellectuelle en péril : le dangereux plaidoyer de Musk et Dorsey

Propriété intellectuelle en péril : le dangereux plaidoyer de Musk et Dorsey


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« Supprimer toute la loi sur la propriété intellectuelle. » Ce tweet lapidaire de Jack Dorsey, relayé par Elon Musk, prône l’abolition du droit de la propriété intellectuelle. Une proposition choc qui, selon les experts, menacerait l’innovation et les créateurs, au profit des géants de la tech. Une telle proposition, si elle était prise par les décideurs politiques, pourrait saper l’innovation, fragiliser la créativité humaine.Les géants de la tech militent depuis des années pour une suppression du droit d’auteur, notamment pour former leurs intelligences artificielles.

Derrière cette provocation en apparence libertaire se cache un calcul économique : fragiliser les protections existantes pour mieux asseoir l’hégémonie des plateformes technologiques. Un scénario cauchemardesque pour les industries créatives et la recherche.

L’industrie technologique contre les créateurs

Le week-end dernier, Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, a posté un message lapidaire sur la plateforme X (anciennement Twitter) : « Supprimer toute la loi sur la propriété intellectuelle ». À première vue, une provocation de plus dans l’univers des milliardaires tech. Mais la déclaration a immédiatement pris une autre ampleur lorsqu’Elon Musk, propriétaire actuel de X et proche de Donald Trump, lui a apporté son soutien.

Les géants de la tech militent depuis des années pour un affaiblissement du droit d’auteur, notamment pour former leurs intelligences artificielles.

Selon Ed Newton-Rex, ex-cadre de Stability AI, le duo Musk-Dorsey invoque un idéal d’« open innovation », mais leur argumentaire néglige un paradoxe : ces milliardaires ont bâti leur fortune sur des brevets (Tesla) et des algorithmes protégés (Twitter/X). Il a déclaré:

« C’est une suggestion ridicule émanant d’entreprises déconnectées des créateurs »

La propriété intellectuelle, rappelle-t-il, reste le socle de la rémunération des artistes et inventeurs.

Vers une IA sans créativité?

Derrière cette tentative de « démolition législative », les intérêts économiques des magnats de la tech sont évidents.

« Il n’est pas surprenant que deux hommes qui profiteraient directement de l’absence de lois sur la propriété intellectuelle prônent leur suppression »,

note Carissa Véliz. Sans cadre incitatif, les œuvres originales se raréfieraient, contraignant les IA à s’auto-alimenter – un risque de dégénérescence algorithmique. Pire : cette logique pourrait s’étendre aux brevets pharmaceutiques ou industriels, avec des conséquences géoéconomiques imprévisibles.

Au Royaume-Uni, des réformes sont à l’étude pour permettre aux entreprises d’utiliser des œuvres protégées à des fins d’entraînement algorithmique, sans le consentement explicite des auteurs. Cependant, des sondages montrent un rejet massif de cette vision : près de 80 % des Britanniques estiment que les entreprises d’IA devraient payer des redevances pour l’utilisation de contenus protégés. Aux États-Unis, selon une enquête de YouGov, quatre Américains sur 10 pensent que l’IA devrait être beaucoup plus réglementée qu’elle ne l’est actuellement.

Outre les questions juridiques, le démantèlement des protections intellectuelles pourrait avoir un effet pervers sur l’intelligence artificielle elle-même. Si les IA ne peuvent plus s’entraîner que sur du contenu généré par d’autres IA — faute de droits sur les créations humaines —, leur qualité pourrait décroître rapidement.

« On risque une boucle de médiocrité, où l’IA régurgite du contenu insipide, cloné sur elle-même «

avertit Véliz.

L’appel d’Elon Musk et Jack Dorsey à abolir la propriété intellectuelle ne doit pas être minimisé. Ce n’est pas une simple provocation de milliardaires fantasques : c’est un signal inquiétant, révélateur d’une volonté de modeler l’avenir numérique sans garde-fous ni respect pour les droits fondamentaux des créateurs. En affaiblissant les lois qui protègent l’innovation, ils risquent de compromettre l’essence même de ce qu’ils prétendent défendre : le progrès.


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