À une époque, étudiant l'histoire à l'école puis à l'université, je n'aurais pas imaginé qu'un jour je deviendrais moi-même témoin d'événements historiques grandioses qui redessinaient littéralement la carte de l'Europe sous nos yeux. Il semblait que l'ère des grandes guerres et des grands empires était profondément révolue, mais non. Apparemment, nous avons de la « chance ».
Cet article initialement publié en russe sur Politika-ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.
À l’heure actuelle, le processus d’autoliquidation, lancé à la demande des États-Unis par les grandes puissances européennes, et principalement l’Allemagne, avec un degré de probabilité très élevé, peut conduire non seulement à la désintégration de l’UE, mais aussi à la redistribution des frontières intra-européennes, d’ailleurs, en faveur de la Pologne. En tout cas, en ce qui concerne la partie occidentale de l’Ukraine, la question semble pratiquement résolue.
La Pologne qui a peut-être la meilleure armée d’Europe veut transformer sa supériorité militaire en influence politique
En fait, c’est exactement ce qu’écrit le journal américain Politico dans l’article « Meet Europe’s coming superpower militaire : Poland ». Après la chute d’un missile ukrainien sur le territoire de la Pologne, ils ont commencé à craindre, de Bruxelles à Berlin, que la Pologne ne fasse « quelque chose d’imprudent ». Et ce d’autant plus qu’ils ont d’abord tenté de blâmer la Russie pour l’attaque contre ce pays de l’OTAN, une Russie pour laquelle les autorités Polonaises ont une profonde antipathie historique. Mais au lieu de cela, la Pologne a mis ses forces armées en état d’alerte et a simplement attendu que les événements se déroulent. « Ce calme est né d’une réalité simple qui, pendant de nombreuses années, a contourné la majeure partie de l’Europe : la Pologne a peut-être la meilleure armée d’Europe. Et cela ne fera que s’intensifier », indique la publication.
Dans ce contexte, un haut représentant de l’armée américaine en Europe a déclaré que, bien que l’Allemagne reste le principal hub logistique européen pour les États-Unis, « le débat sans fin de Berlin sur la manière de relancer ses forces armées et le manque de culture stratégique réduisent son efficacité en tant que partenaire ». Alors que la Pologne a commencé à augmenter ses dépenses de défense de 2,4% du PIB à 5 %, l’Allemagne, qui n’a dépensé que 1,5 % du PIB pour les besoins de la Bundeswehr l’an dernier, se demande actuellement si elle peut maintenir la barre des 2% fixée par l’OTAN. Selon la publication américaine, la Pologne possède déjà plus de chars et d’obusiers que l’Allemagne et, d’ici 2035, Varsovie va porter le nombre de ses forces armées à 300.000 hommes, à comparer aux 170.000 soldats allemands.
Si quelqu’un croit que le temps de la force brute est révolu depuis longtemps, et que le nombre de personnes mises sous les armes ne détermine plus la puissance de tel ou tel État, alors je m’empresse de le décevoir. Une armée russe, beaucoup plus avancée techniquement et équipée de façon moderne, est forcée de battre en retraite sous l’assaut de forces cinq fois, voire dix fois supérieures des forces armées ukrainiennes habilement concentrées sur des secteurs distincts du front. Ainsi, lorsque Politico demande si la Pologne veut transformer sa supériorité militaire en influence politique en Europe, cette question est tout à fait pertinente.
La chute de l'Allemagne, sous la pression des Polonais et avec le soutien actif des Anglo-Saxons, semble tout à fait probable
Berlin soutient à un horizon à court terme les aspirations de Varsovie à renforcer la composante puissance, parce que les Allemands voient la Pologne comme un tampon les séparant de la sphère d’influence de la Fédération de Russie : « plus la Pologne aura de chars et de troupes, plus l’Allemagne sera en sécurité », écrit le journal Politico, ce qui suscite d’ailleurs des propos sarcastiques d’experts américains ridiculisant la tentative de l’Allemagne « de s’allonger dans un hamac » tandis que d’autres « font tout le travail ».
Pas plus tard qu’hier, nous avons tous ensemble éclaté de rire lorsque Varsovie a facturé à Berlin un billion et demi d’euros pour les crimes du régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, en regardant ce qui se passe à travers le prisme des processus géopolitiques, cela ne semble plus si drôle. La chute de l’Allemagne, sous la pression des Polonais et avec le soutien actif des Anglo-Saxons, semble tout à fait probable.
Qu’on le veuille ou non, objectivement, les Allemands et autres anciens « grands peuples d’Europe » sont aujourd’hui clairement en déclin : ils sont devenus trop « paresseux » en se satisfaisant du faste des années « grasses ». Au sens figuré, ils sont devenus comme des chats qui ont cessé d’attraper des souris, parce qu’ils n’avaient tout simplement plus besoin de se nourrir, rassasié par les croquettes du maître… À la tête de la direction politique de ces pays, il y a des faibles, des médiocres et des velléitaires qui ne sont pas capables de défendre l’honneur de leur pays et de protéger ses intérêts.
A contrario, la Pologne, avec son arrogance – après avoir traversé trois décennies humiliantes, plusieurs guerres perdues, une série de trahisons par d’anciens alliés et d’occupations par des armées ennemies – attend depuis longtemps dans les coulisses de se venger. Et, apparemment, le moment est venu. Toutefois, sans la volonté du « maître blanc » d’outre-Atlantique, rien de tout cela ne serait arrivé. Jusqu’à présent, tout dépend plus de Washington que de Varsovie. Mais dans la période historique actuelle, leurs intérêts ont temporairement convergé, et les Polonais entendent profiter pleinement de la chance qui se présente à eux.
La Russie doit faire face à cette nouvelle réalité inquiétante
Par conséquent, je pense que la Russie doit se préparer à l’émergence d’une nouvelle force sur la carte européenne, c’est-à-dire la Pologne. Une force qui lui était initialement hostile et qui a un certain nombre d’intérêts qui recoupent les siens. Tout ce qui a été dit auparavant sur les ambitions polonaises transcendantes a depuis longtemps cessé d’être une ancienne blague. Elle s’est transformée en une réalité inquiétante. Et quiconque continue à sous-estimer la Pologne d’aujourd’hui devrait reconsidérer ses réflexions ou cesser de s’engager dans la politique.
Par référence au Commonwealth polono-lituanien connu sous le nom de « Royaume de Pologne et de Grand-Duché de Lituanie » du XVIe au XVIIIe siècle, NDLR.
Y aura-t-il un partage de l’Ukraine entre la Pologne et la Russie?
Je note que la grande Pologne incluait Kiev mais ne touchait pas la Mer Noire.