Les plans de l'Union européenne ne se sont pas réalisés : le retrait forcé du charbon russe du marché européen ne pouvait pas nuire aux revenus de la Russie. Les mineurs de charbon russes ont pu rediriger les flux vers d'autres pays et gagner davantage, malgré la nécessité d'offrir une remise aux acheteurs. Pourquoi la « souffrance européenne » s'est-elle révélée ainsi dénuée de sens ?
Cet article publié en russe par le site k-politika.ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.
La Russie a été contrainte de se retirer du marché européen du charbon en août dernier, lorsque l’UE a imposé un embargo. Cependant, cela ne s’est pas avéré être un problème pour l’exportation russe. Au contraire, la Russie a atteint des volumes record de livraisons de charbon à d’autres pays. Ainsi, en octobre, elle a livré près de 16,6 millions de tonnes à l’étranger. Ce n’est qu’un niveau légèrement en dessous de celui de juin, le record depuis 2017. Il s’agit de données provenant du cabinet d’analystes Kpler et elles n’incluent pas les exportations de charbon russe par chemin de fer qui ont également augmenté. Au cours des neuf premiers mois de 2022, les exportations de charbon d’Extrême-Orient via le « Far Eastern Railway » ont augmenté de 14 %, soit à 18 millions de tonnes par rapport à la même période de l’an dernier.
Qu’est-ce qui a aidé la Russie à remplacer « sans douleur » et si facilement les clients européens ?
Premièrement, la demande mondiale de charbon a augmenté dans son ensemble parce que le charbon est une alternative moins chère que le gaz naturel dont le prix atteint des niveaux record. Dans le même temps, le charbon et le gaz sont souvent des ressources interchangeables, contrairement au pétrole.
Deuxièmement, dans le contexte de la crise énergétique, l’Europe a « oublié » l’agenda environnemental… Elle ferme les yeux sur la façon dont les pays de l’UE brûlent de plus en plus de charbon. Ainsi, pour la première fois en 30 ans, le Royaume-Uni a même autorisé la construction d’une nouvelle mine de charbon. Or, il y a un an, Londres menait une initiative pour réduire l’utilisation de ce combustible et communiquait largement sur les réseaux sociaux pour vanter la fermeture de ses mines. A la mi-2021, une « renaissance du charbon » a commencé en Europe lorsque le gaz, dont le prix avait fortement augmenté, a été remplacé par le charbon et le mazout. En 2021, la production de charbon en Europe avait déjà été en hausse de 18 % et en 2022, elle augmentera de plus d’un tiers. Par conséquent, l’Europe ne peut en aucun cas contraindre les pays asiatiques avec son agenda environnemental. Ainsi, la Chine a non seulement commencé à acheter davantage de charbon importé, mais elle a également sérieusement augmenté sa propre production de ce type de combustible.
Troisième point : en septembre, l’UE a défini plus précisément les règles d’application de l’embargo sur le charbon. De nombreux opérateurs craignaient que les Européens ne soient pas seulement incapables d’acheter du charbon russe, mais aussi de le transporter vers d’autres pays. Mais Bruxelles n’a pas franchi une telle étape : les entreprises européennes peuvent fournir du charbon de Russie à des pays tiers. Toutefois, les Européens n’ont pas fait de telles concessions dans l’intérêt de ces pays tiers. En réalité, cette décision procure un avantage direct pour les Européens. Pour l’expliquer, prenons un exemple : si la Chine n’a pas la possibilité d’augmenter ses importations et sa propre production de charbon, elle a alors besoin de plus de gaz. Mais cela aboutit à une demande supplémentaire de GNL. En fait, grâce à la Chine, qui a partiellement remplacé le gaz par du charbon, un volume de GNL « excédentaire » est apparu sur le marché dont les européens ont profité. De plus, les restrictions covid en Chine, en réduisant la demande chinoise de ressources énergétiques, ont fait le jeu de l’UE.
Une autre raison du succès des exportations russes de charbon est son prix. Selon le premier vice-Premier ministre Andrey Belousov, les mineurs de charbon russes sont obligés d’accorder une remise de 50 à 60 %. Mais même dans de telles conditions, l’exploitation reste rentable, car le prix du charbon, comme toutes les ressources énergétiques, a également augmenté. La semaine dernière, le charbon sur le marché spot d’un port australien valait plus de 436 dollars la tonne, soit près de trois fois plus qu’à la même période l’an dernier (indice OPIS).
Dans le même temps, les exportations de charbon de la Russie ont quadruplé en valeur, note Artem Deev, responsable du département analytique chez AMarkets « Depuis juillet de cette année, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de l’embargo, les entreprises russes ont considérablement développé leurs exportations de charbon vers les pays asiatiques et, ainsi, presque complètement remplacé les volumes européens qui se sont effondrés. La Chine a augmenté ses commandes de 42 %, et l’Inde, de 60 %. Au total, les exportations ont crû de 2,8 millions de tonnes, soit presque le même volume qui a été fourni à l’UE. En octobre-novembre, la tendance à la croissance des approvisionnements en charbon vers l’Asie s’est poursuivie ».
Vladimir Chernov, analyste chez Freedom Finance Global note de son côté que la Russie redirige tous les flux d’exportation de charbon principalement vers les pays asiatiques – l’Inde et la Chine – mais elle voit aussi augmenter les approvisionnements vers la Turquie et le Moyen-Orient. « Et les pays européens ont multiplié leurs importations de charbon d’Afrique du Sud et de Colombie et tentent d’augmenter les volumes d’Australie. Cependant, le charbon de Colombie et d’Australie est pire que le Kuzbass russe, car il a une teneur en soufre plus élevée, et donc il a un impact plus fort sur l’environnement » précise Chernov.
Des limitations infrastructurelles et logistiques aux exportations russes
En fait, la Russie pourrait exporter davantage de charbon vers l’Asie et en tirer encore plus d’argent. Mais il existe des limitations infrastructurelles et logistiques à ses exportations.
Premièrement, la capacité insuffisante actuellement du chemin de fer. La Russie a en effet besoin d’un deuxième BAM et du transsibérien, et les autorités travaillent déjà dans ce sens. La Russie commence à étendre ces voies de transport. Le charbon est également exporté à partir des ports russes en eau profonde. « Ici aussi, il y a un manque d’infrastructures adéquates pour augmenter l’approvisionnement, c’est-à-dire la capacité du chemin de fer, des terminaux et des points de transbordement », note l’expert déjà cité, Artem Deev. Des travaux pour y remédier sont également prévus dans les prochaines années. En outre, toujours selon cet expert, les clients actuels de charbon russe, qui l’achètent au rabais, réduiront probablement leurs commandes. « Mais pas de beaucoup : le charbon de Russie ira constamment en Asie. Cependant, les fluctuations des revenus et des bénéfices des entreprises seront déjà déterminées par les prix mondiaux des matières premières et l’ampleur de la remise sur les produits russes ».
Pour autant, il ne faut pas exclure à l’avenir une situation plus compliquée pour l’exportation du charbon russe. « Les pays occidentaux continuent de discuter et d’introduire de nouvelles restrictions et interdictions contre la Fédération de Russie, y compris celles liées à la logistique, au fret et à l’assurance du fret, etc. Pour le moment, il y a des tolérances, et donc les exportations de charbon ont augmenté, mais la confrontation liée aux sanctions est très probable et ce n’est pas encore fini », prévient Chernov.