Travailler plus : c’est l’idée sur laquelle Emmanuel Macron compte pour relancer son quinquennat, après sa victoire à la Pyrrhus (non consolidée) face aux Gilets Jaunes. Il devrait annoncer ce beau programme lors d’une conférence de presse jeudi prochain. On s’interroge sur la finalité globale de cette entreprise qui ne peut que cliver un peu plus un pays déjà au bord de l’effondrement, et déjà saturé de haine. Même son entourage ou ses soutiens peinent à voir les contours du projet que le Président dessine. À ce rythme, le Président ne profitera guère de l’avantage tactique qu’il a repris sur le terrain. Et s’il s’agissait simplement d’une stratégie (maladroite) pour retrouver le soutien des grands patrons qui l’ont mis au pouvoir?
En fait, personne n’est sûr de bien comprendre la trajectoire du chef de l’État, y compris dans son entourage qui, selon certaines sources, émettrait de sérieux doutes sur sa lucidité. Après un vingt-troisième samedi de manifestations, où la police semble avoir repris le dessus sur les manifestants, le Président pourrait savourer sa victoire serrée sur les contestataires. Il pourrait choisir de se montrer grand prince, de fédérer et d’envoyer des signaux empathiques à ceux qui doutent de lui.
Rappelons ici que même les médias les plus favorables au Président n’hésitent pas à souligner son manque de popularité. Mais… selon toute vraisemblance, le Président choisirait de se relancer en faisant l’éloge du « travailler plus sans gagner plus », ce qui paraît une démarche totalement suicidaire politiquement, au point qu’elle soulève de nombreuses questions sur la rationalité des choix désormais à l’oeuvre.
Travailler plus: bien entendu qu’il le faut
Sur le fond, le besoin que la France a de travailler plus est une évidence économique qu’aucun esprit objectif ne conteste. La compétitivité du pays est handicapée par des semaines de travail trop courtes, et des temps passés à la retraite trop long. Augmenter les unes et réduire l’autre ne pose aucune difficulté théorique et relève même du simple bon sens.
Le sujet n’est pas là.
Tout est plutôt dans le bon sens politique des propositions présidentielles au moment où il s’agit de renouer le fil du pays, à la sortie du Grand Débat, et alors que les Gilets Jaunes continuent à manifester chaque samedi.
Un pays déchiré par la haine
La manifestation a confirmé l’ampleur, la profondeur des haines qui se sont installées dans le pays. Le slogan « Suicidez-vous! » proféré à l’encontre des policiers l’a montré. La rupture est si forte que plus personne ne se demande pour quelle raison l’employeur des policiers laisse tant proliférer ces gestes désespérés sans réagir comme le droit du travail l’exigerait d’une entreprise. Seule l’expression de la haine atteint encore une conscience collective tétanisée par les périls auxquels elle s’expose.
Dans ces conditions, on peut se demander si le rôle premier du Président de la République est de surfer sur ces clivages, ou s’il n’est pas plutôt de les surmonter ou de les amoindrir.
Pouvoir d’achat et temps de travail
S’agissant de la durée du travail, Emmanuel Macron s’attaque pourtant à un sujet extrêmement clivant pour les Français qui ont exprimé la dureté de leur vie dans les rues, le samedi après-midi. Beaucoup de Français sont calés sur 35 heures hebdomadaires faute d’une solution de garde économique pour leurs enfants. Tout allongement de la durée hebdomadaire du travail crée une double peine: moins de loisirs, et surtout plus de dépenses pour caler l’organisation du ménage. Autrement dit, travailler plus peut rapidement signifier aussi gagner moins.
Il n’est pas sûr que dans l’impressionnante déconnexion élyséenne, ce paramètre-là soit bien compris.
On dira la même chose des retraites. Beaucoup de sexagénaires sont des aidants (plusieurs millions sans doute) qui ont hâte de disposer de temps pour s’occuper de leurs ascendants malades. Retarder l’âge de départ sera forcément, pour eux, facteur de mécontentement et d’inquiétude.
Des problèmes techniques déjà réglés
Au demeurant, les différentes réformes (dont celles portées par Emmanuel Macron lui-même avec ses ordonnances de début de mandat) qui se sont succédé ces dernières années ont largement réglé les problèmes du « travailler plus ». Les 35 heures sont aujourd’hui très assouplies, et peuvent l’être encore par des accords d’entreprise. Le projet de réforme systémique des retraites permettait à chacun d’arbitrer librement l’âge de son départ à la retraite, en choisissant entre une petite pension versée longtemps, et une pension plus importante versée après 63, 64 ou 65 ans.
Dans ces conditions, pourquoi ouvrir un front là où le pays est déjà à feu et à sang? Le bénéfice que le pays retirerait de ces réformes serait de toute façon très mince.
Retrouver le soutien des puissants
L’explication de cet exercice d’équilibrisme est sans doute ailleurs. Ces dernières semaines, Emmanuel Macron a fait douter les patrons et les puissants de ce pays. L’hypothèse Marine Le Pen a pris corps dans beaucoup d’esprits, insoupçonnables jusque-là. Nombreux sont ceux qui considèrent que le moment Macron est passé et qu’il ne reviendra pas.
En réponse à ces doutes, le Président cherche à revenir dans le jeu et à reprendre la main sur une situation qui lui échappe. L’avenir dira s’il s’y prend de la bonne manière.
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Je me suis permis de poster une fraction. De votre publication d’hier sur ma page Facebook en vous citant.
Je suis tout à fait d’accord avec vous.
Avant Macron, il y avait le clivage droite-gauche, qui était admis, compris, et intégré dans le fonctionnement de la société; laquelle était divisée en deux, mais pas coupée.
La technique Macron est de s’appuyer sur des majorités de circonstances, toujours différentes. Ceci aboutit au fait que chacun a aujourd’hui une bonne raison d’en vouloir à son voisin; et même à chacun de ses voisins, pour une raison chaque fois différente.
La société n’est pas fracturée, elle est fragmentée, en voie de dislocation.
C’est, de très loin, la plus grosse faute de Macron: Voir le pays comme une entité administrative alors que le président doit voir la France comme une nation.