Mardi dernier, nous signalions qu’au Sénat, deux amendements portés par le sénateur LR Bizet, remettaient en cause la liberté d’entreprendre pour le 1,5 millions d’entreprises françaises comptant des salariés. En l’espèce, il s’agissait de rétablir un système, aboli en 2013, de choix imposé par les branches d’un assureur monopolistique en protection sociale complémentaire. Nous avions vivement regretté que Les Républicains se fassent les porte-voix de ces dispositifs illégaux, contraires au droit européen, et contrariants pour les entreprises. Au demeurant, ce dispositif défendu par des syndicats comme FO sont, de notoriété publique, destinés à financer en sous-main les organisations syndicales. Finalement, ils ont été retirés.
Certains ont vivement réagi à mon propos de mardi, où j’appelais à sanctionner la liste LR aux européennes après ces amendements ahurissants où un parti qui se réclame du libéralisme proposait de ressusciter un dispositif anti-concurrentiel dénoncé par l’Autorité de la Concurrence en 2013. Preuve que la morsure médiatique peut être efficace: LR retirait ces amendements dans la journée.
Sur le fond, l’occasion nous est donnée de préciser un ou deux points aux lecteurs. D’abord, le Courrier des Stratèges se revendique sans ambiguïté d’un authentique libéralisme, c’est-à-dire d’une vraie liberté d’entreprendre (pas celle du capitalisme de connivence qui, selon nous, étrangle notre pays de façon de moins en moins supportable). Notre appel à sanctionner des listes non libérales n’a rien de surprenant. Deuxièmement, l’expérience montre que, pour être lu, il vaut parfois mieux être mordant que consensuel. C’est le dur paradoxe de la réalité…
Ce faisant, nous savons gré aux dirigeants de LR d’avoir fait le bon choix en retirant immédiatement leurs amendements urticants. C’était une mesure salutaire… la vie des entrepreneurs est suffisamment compliquée comme ça. Nous présentons donc nos cordiales salutations à Laurent Wauquiez et à François-Xavier Bellamy.
Suite à votre brûlot du 30 avril contre les Républicains, j’ai demandé et reçu les explications suivantes sur les « amendements Bizet », via la sénatrice de l’Eure Nicole Duranton.
Tout d’abord rappelons que chaque sénateur est libre de déposer les amendements qu’il souhaite, sans avoir à en rendre compte à son parti, et heureusement pour la vie démocratique.
Lors des débats sur la loi PACTE, le sénateur Jean BIZET avait appuyé plusieurs amendements en faveur de l’ouverture à la concurrence, dont un amendement qui visait à la suppression des clauses de désignation pour les accords de branche d’épargne salariale mais également par extension les retraites, pour garantir une libre concurrence.
Si le sénateur BIZET a rédigé les amendements visés par le Courrier des Stratèges, ce n’est pas parce qu’il serait favorable aux monopoles, mais parce qu’il avait été séduit au premier abord par l’argument d’harmonisation des législations au niveau européen, plusieurs instances européennes ayant fait savoir qu’il existait une contradiction entre la jurisprudence européenne et la décision du Conseil Constitutionnel du 13 juin 2013 sur l’interdiction des clauses de désignation au nom de la liberté contractuelle.
En effet, cette décision omettait le fait que la validité de la clause de désignation est subordonnée à la poursuite d’un objectif de solidarité.
De plus, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a considéré comme licite (3 mars 2011, Boulangerie artisanale française) une clause de désignation lorsqu’est poursuivi un objectif de solidarité qui confère à l’organisme choisi la conduite d’une mission d’intérêt général (cf. Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne).
Enfin, le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS, 26 novembre 2018) considère que la prohibition des clauses de désignation porte atteinte au droit à la négociation collective et à la solidarité. Même si les partenaires sociaux peuvent, en matière de prévoyance, fixer la nature et le
niveau des prestations, leur interdire de poursuivre un objectif de solidarité est une entrave au principe fondamental et constitutionnel de la négociation collective.
Ainsi, la jurisprudence supranationale incite à réintroduire dans la loi française les clauses de désignation afin que l’objectif de solidarité soit pleinement effectif. C’était l’objectif visé par ces amendements.
Néanmoins, dans le souci de ne pas rouvrir cette polémique, le Sénateur Jean BIZET a jugé plus sage de retirer ses amendements avant le vote en séance.
Je ne saurais trop conseiller aux influenceurs, en ces temps politiques où le simplisme et l’anathème tiennent trop souvent lieu de débat, de faire l’effort d’écouter les différents points de vue, de croiser les informations, de prendre du recul.