Comment le Japon renforce-t-il son influence au Turkménistan ? par IA-centr

Le Japon est l'un des acteurs les moins visibles d'Asie centrale, mais il accroît régulièrement son influence dans la région. Achgabat intéresse beaucoup Tokyo, avec laquelle les Japonais développent des investissements et une coopération technologique.

Le Premier ministre Fumio Kishida recevant l'ancien président turkmène Gurbanguly Berdymukhamedov le 27 septembre 2022.

Cet article publié en russe par le site ia-centr.ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.

Les objectifs et les tactiques de la diplomatie et des affaires japonaises au Turkménistan ont été analysés par une étudiante de troisième cycle de la Faculté des processus mondiaux de l'Université d'État de Moscou, Nicole Sukiasyants, dans un article pour la revue scientifique « Caspian Region: Politics, Economics, Culture ».

Le Turkménistan est un nouveau marché pour Tokyo

Après l'effondrement de l'URSS, le développement et l'exportation d'hydrocarbures sont devenus la base de la stratégie économique étrangère d'Achgabat. Le Turkménistan a pris soin de trouver de nouvelles voies d'exportation, ainsi que d'attirer des technologies et des investissements étrangers dans l'industrie.

Parallèlement, de grands acteurs asiatiques, dont Tokyo, ont manifesté leur intérêt pour le marché turkmène. Fin 1992, la China National Petroleum Corporation (CNPC), en collaboration avec le japonais Mitsubishi Corp, ont développé le projet de gazoduc Turkménistan-Chine-Corée du Sud-Japon, connu sous le nom de « Route de la soie de l'énergie ». En 1993-1996, avec la participation de la société pétrolière américaine Exxon Mobil, une étude de faisabilité du projet a été réalisée. Toutefois, les résultats ont montré que le long pipeline était non rentable : la Chine serait le seul bénéficiaire du projet.

Malgré tout, le Japon a conservé son intérêt pour les matières premières du bassin caspien. Depuis 1994, le Japon promeut le programme de coopération en matière d'éducation et de technologie JNOC-TRC dans la région, financé par Tokyo. En 1996, des représentants d'Achgabat ont participé au programme pour la première fois, et depuis 1997, le Japon et le Turkménistan ont échangé des visites de délégations officielles.

A un stade aussi précoce des relations bilatérales, l'implication du Turkménistan dans les projets japonais restait minime, le premier président, Saparmurat Niyazov, s'étant opposé au renforcement de l'influence étrangère dans le pays. Ce n'est qu'en juin 2005 que la mission diplomatique du Japon a été ouverte à Achgabat et que l'ambassade turkmène à Tokyo est apparue en 2013.

Investissements et technologies pour Achgabat

Fin 2006, Gurbanguly Berdimuhamedov est devenu le président du Turkménistan et a conduit une diplomatie et une politique d'ouverture économique à l'étranger. Ces changements ont coïncidé avec la modernisation de la doctrine de la politique internationale au Japon, axée sur la recherche de nouveaux partenaires en politique étrangère.

En août 2004, Tokyo avait lancé le dialogue « Asie centrale + Japon », dans lequel il proposait, aux cinq pays de la région - le Kazakhstan , le Kirghizistan , le Tadjikistan , l' Ouzbékistan et le Turkménistan - une solution à un certain nombre de problèmes régionaux basée sur la technologie et l'expérience de fabrication japonaise. En 2006, le ministre japonais des Affaires étrangères, Taro Aso, présentait la doctrine de « L'Arc de la liberté et de la prospérité », qui supposait le renforcement des contacts politiques et économiques avec les États d'Eurasie. En 2009-2013, Tokyo et Achgabat conclurent un certain nombre d'accords de partenariat dans les domaines de la coopération technique, de l'exploitation du gaz naturel, des affaires, de l'éducation et de la santé. Le Japon commença à envoyer des experts commerciaux au Turkménistan et organisa des cours d'économie.

En outre, Tokyo est constamment un donateur majeur de programmes d'aide publique au développement (APD) en Asie centrale. Ces programmes impliquent des prêts concessionnels, des subventions pour le développement économique et la coopération technologique pour les pays en développement. En 2010, le Japon, en collaboration avec le Fonds d'affectation spéciale des Nations Unies pour la sécurité humaine (UNTFHS), a mené un programme de soutien aux réfugiés et de prévention de la traite des êtres humains au Turkménistan. De plus, Tokyo a alloué environ 4 millions de dollars à Achgabat pour la modernisation et l'informatisation du réseau ferroviaire.

Selon le ministère japonais des Affaires étrangères, à la fin des années 2010, le Japon avait envoyé au Turkménistan environ 40 millions de dollars en prêts bonifiés et 5,5 millions de dollars en subventions d'APD, 11,5 milliards de dollars en partenariats techniques. Cependant, au regard du soutien des États-Unis et de l'UE, l'influence financière de Tokyo sur Achgabat est encore relativement faible.

Tokyo lie l'industrie du Turkménistan à la sienne

A l'automne 2015, le Premier ministre japonais de l'époque, Shinzo Abe, arriva au Turkménistan. Il s'agissait de la première visite à un niveau aussi élevé dans l'histoire des relations turkmènes-japonaises. Au cours de la visite, les représentants de Tokyo évaluèrent le Turkménistan comme une niche pour la présence économique japonaise, et cherchèrent à identifier le niveau d'influence de la Russie et de la Chine dans le pays et en Asie centrale. À la suite de la visite, des projets conjoints dans les secteurs de la chimie et de l'énergie d'une valeur de plus de 18 milliards de dollars furent convenus.

Dès la première moitié des années 2010, le Japon et le Turkménistan lancèrent une coopération à grande échelle dans des projets industriels. Avec la participation d'entreprises japonaises, un complexe gazochimique pour la production de polymères dans le village de Kiyanly (d'une valeur de 3,4 milliards de dollars), une usine d'ammoniac et d'engrais à Mary (1 milliard de dollars) et une usine de traitement de gaz à Akhal velayat (1,7 milliard de dollars) furent construits. De plus, en 2015, un consortium nippo-turc de Mitsubishi et Gap Inçaat créa une usine de carbamide dans la ville de Garabogaz. Le projet fut financé par la Banque japonaise pour la coopération internationale, qui alloua environ 700 millions de dollars. Après la construction, les usines passèrent sous le contrôle d'entreprises d'État, telles que Turkmengaz et Turkmenhimiya.

Dans le même temps, en plus de l'aide financière, dans la mise en œuvre de tous les projets, Tokyo fournit à Achgabat des équipements innovants et une aide à la formation du personnel. Cela conduisit ainsi à une dépendance et technologique du Turkménistan vis-à-vis du Japon. En janvier 2020, la Turkmengas State Corporation eut besoin d'aide pour gérer une usine de traitement de gaz à Akhal velayat, qui avait été lancée deux ans plus tôt. L'entreprise publique fut contrainte de conclure un accord de services de conseil avec la société japonaise Kawasaki Heavy Industries, qui avait participé à la création du complexe. C’en est arrivé au point qu'en 2021, Gurbanguly Berdimuhamedov retira Turkmengaz de la gestion des usines d'Akhal velayat et de Kiyanly, en les transférant à la Turkmenhimiya State Corporation. Selon le président de l'époque, un travail stable et de haute qualité n'avait pas été réalisé dans les entreprises.

La tendance de ces dernières années a été l'intérêt croissant d'Achgabat pour la coopération dans le secteur agricole. Ainsi, en mars 2019, la délégation turkmène a visité l'usine japonaise de bœufs marbrés (le « wagyû »), étudié des complexes de serres modernes et visité le centre de robotique Kawasaki Heavy Industries. L'accent mis par le Turkménistan sur la coopération dans les secteurs agricoles et autres peut indiquer l'intention d'Achgabat de diversifier les produits d'exportation, réduisant ainsi sa dépendance aux prix de l'énergie.

Quels sont les intérêts du Japon au Turkménistan ?

Aujourd'hui, le Turkménistan intéresse toujours les grands acteurs en tant que pays exportateur d'hydrocarbures. Le principal acheteur de gaz turkmène est la Chine, qui importe 30 à 35 milliards de mètres cubes de carburant par an. En outre, Pékin cherche à inclure Achgabat dans le projet « Route de la Soie ».

Le Japon ne peut pas rivaliser avec la Russie et la Chine dans des projets à grande échelle en Eurasie. Au lieu de cela, Tokyo s'intègre dans les créneaux vacants des marchés régionaux, en proposant des technologies et des investissements uniques. Le Japon cherche à accéder aux pays riches en ressources énergétiques par le biais de projets d'innovation à forte intensité scientifique qui nécessitent la participation de spécialistes japonais compétents.

Renforçant la dépendance humaine et technologique du Turkménistan, le Japon utilise également les moyens de la « diplomatie culturelle ». Tokyo soutient les échanges universitaires et étudiants avec Achgabat en proposant des stages aux étudiants turkmènes. La langue turkmène est enseignée à l'Université des études étrangères de Tokyo : les étudiants diplômés universitaires peuvent postuler pour des bourses d'État auprès du gouvernement du Turkménistan. L'ambassade du Japon à Achgabat organise des cours de japonais gratuits pour les Turkmènes et vulgarise la culture japonaise. Depuis 2018, des festivals de films japonais ont lieu à Ashgabat et Mary.

Les pays entretiennent également un niveau élevé de contacts politiques. Ainsi, en 2019, le président du Turkménistan de l'époque, Gurbanguly Berdimuhamedov, a assisté à la cérémonie d'intronisation de l'empereur Naruhito.

Pour le Japon, non seulement les réserves de matières premières du Turkménistan sont importantes, mais son régime politique stable. Achgabat s'intéresse aux technologies et aux spécialistes japonais, espérant avec leur aide diversifier les exportations et renforcer l'économie, tout en évitant l'augmentation de l'influence des grands acteurs sur le Turkménistan. Dans ces conditions, les pays continueront à renforcer leur coopération.

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