Bercy a une dent contre l’emploi à domicile. La polémique qui prend corps sur la question des exonérations de cotisations patronales pour les aidants de personnes âgées de plus de 70 ans l’illustre. Ce changement de règles sur un sujet sensible est un nouvel avatar de l’instabilité fiscale et juridique que le ministère des Finances, et singulièrement la direction de la législation fiscale, font régner en France au gré des budgets et des chasses à la cagnotte. Cette instabilité touche particulièrement l’emploi à domicile, grande variable d’ajustement des gouvernements successifs depuis une dizaine d’années, au point que la fiscalité de ce secteur est devenue incompréhensible pour les particuliers.
Ce lundi, les Échos annonçaient l’intention du gouvernement pour trouver 350 millions en 2020 : limiter les exonérations de cotisations patronales pour les contribuables âgés de plus de 70 ans aux seules personnes dépendantes. Les autres devraient s’en passer à l’avenir. On mesure immédiatement l’impact sur l’emploi de ce type de mesure, annoncée à la mi-septembre pour entrée en vigueur au 1er janvier. Elle débouche forcément sur des arbitrages en catastrophe.
Ceux qui ne sont pas confrontés au sujet pensent forcément qu’il s’agit de caprices ou de soucis de riches, et selon la détestable mentalité ambiante, le glissement vers l’accusation d’évasion fiscale n’est pas loin. De l’autre côté de la barrière, la problématique est évidemment différente. Compte tenu des rigueurs du marché du travail, recruter une personne digne de confiance pour intervenir au domicile d’une personne âgée est tout sauf simple. Ceux qui ne pourront plus financer cette solution souvent laborieusement trouvée devront se reporter sur leurs enfants… ou choisir une installation en EPHAD.
Le grand désordre de la fiscalité en matière d’emploi à domicile
Toute la cruauté de la fiscalité en matière d’emploi à domicile est là. D’un côté, il y a des grandes masses, des chiffres, des décisions bureaucratiques. De l’autre côté, il y a une foule de destins qui changent brutalement selon les décisions qui sont prises à Bercy.
Et dans ce domaine, les changements répétés ont un impact colossal sur la vie quotidienne des classes moyennes.
La suppression des exonérations pour les personnes de plus de 70 ans va fragiliser des fins de vie qui s’approchent souvent de la dépendance, mais qui ne rentrent pas dans les critères administratifs. C’est par exemple le cas de la petite mamie de quatre-vingts ans, épuisée par une vie de paysanne, recluse dans sa ferme au fond d’un hameau, à plusieurs kilomètres de la première pharmacie ou de la première épicerie. Aujourd’hui, elle tient parce qu’elle peut rémunérer une voisine pour les quelques heures qu’elle effectue chez elle. Mais demain? Son départ pour la maison de retraite s’annonce, parfois loin de chez elle, compte tenu de la pénurie de structures et des tensions sociales qui y règnent.
Mais les familles savent aussi que l’instabilité fiscale règne sur les avantages accordés pour les gardes d’enfants à domicile. Si, provisoirement, ceux-ci ne sont pas remis en cause, la mise en place du prélèvement à la source les a fortement compliqués. Jusqu’au prélèvement à la source, les familles n’avaient pas à faire l’avance des crédits d’impôt. Depuis cette année, les familles ne sont remboursées de leurs avances que plusieurs mois après avoir payé leur personnel.
Une mesure qui cible les classes moyennes qui travaillent
Ces changements de pied et ces décisions à courte vue sont doublement pénalisantes pour les forces vives du pays. D’une part, elles touchent en priorité ceux qui travaillent selon des amplitudes horaires larges. Concrètement, les cadres qui s’époumonent à rester tard au bureau pour améliorer autant que faire se peut le fonctionnement d’entreprises de plus en plus concurrentielles doivent désormais payer plein pot la garde de leurs enfants pendant qu’ils sont au travail. D’autre part, leur capacité à changer de mode de garde est compliquée par des changements permanents de règles, alors que les salariés qui organisent leur vie autour de 35 heures de travail hebdomadaires, voire autour des minima sociaux, peuvent largement anticiper leur organisation personnelle.
Peut-on imaginer meilleure façon de décourager l’initiative ? Emmanuel Macron et sa majorité parlent beaucoup du mérite et de la reconnaissance au travail. Mais leur politique en matière de travail à domicile démontre le contraire.
Une trappe à travail dissimulé
La conséquence de ces choix est bien connue. Beaucoup de familles n’ont guère le choix et nie disposent pas de marge en matière d’organisation. Qu’il s’agisse de l’aide aux aidants, que le gouvernement veut pénaliser, ou de la garde de jeunes enfants, les couples de cadres sont coincés, d’ordinaire, par le forfait-jour et les débordements horaires imposés par l’entreprise. Pour beaucoup, les suppressions d’exonérations ou le report des crédits constituent une terrible saignée difficile à arbitrer.
Quel est le choix alors? Celui, massif, de « ne pas déclarer » les personnes qui interviennent au domicile. Plutôt que de changer l’organisation complète de son existence, le plus simple est de prendre le risque de payer son employé au noir, lui faisant du même coup perdre l’avantage d’une protection sociale et d’une stabilité de l’emploi. À moins que le ministère du Travail ne se découvre brutalement les moyens de doter les inspections du travail et les URSSAF de contrôleurs susceptibles de traquer ces emplois clandestins isolés, peu rémunérateurs, l’évidence est que beaucoup de ces employés vont basculer dans l’économie souterraine.
Arrêtez d’emm*** les Français avec les emplois à domicile
S’il existe bien un domaine où la fiscalité est empoisonnante, c’est celui de l’emploi à domicile. En théorie, celui-ci permet de sortir du chômage des travailleurs peu qualifiés, qui peinent à trouver un emploi en dehors des tâches de la vie quotidienne. En refiscalisant ou resocialisant massivement ces emplois, Bercy les condamne, alors même que le gouvernement prétend lutter contre le chômage de longue durée.
Une fois de plus, les calculs à courte vue de Bercy expriment une préférence pour le chômage plutôt que pour l’emploi, pour la maladie et la dépendance plutôt que pour la prévention et la santé, pour la fraude plutôt que pour la transparence. On y verra la permanence des valeurs propres à un gouvernement profond qui entend bien contrer, quoi qu’il arrive, les volontés de changement des gouvernements élus.