Le débat sur les retraites s’ouvre à Rodez par une rencontre entre Emmanuel Macron, Jean-Paul Delevoye et 500 personnes. La formule reprend la technique employée durant le Grand Débat de cet hiver, où le Président de la République a multiplié les interventions fleuves destinées à améliorer sa popularité. Si l’animation d’un débat sur les retraites était prévue de longue date, et paraît salutaire pour conscientiser l’opinion sur les enjeux de la réforme, on peut s’interroger sur la portée de ce qui s’apprête à y être dit. Les conditions d’une vraie délibération démocratique ne semblent pas réunies.
Le débat sur les retraites qu’Emmanuel Macron ouvre à Rodez sera-t-il un simple écran de fumée ou relèvera-t-il de la délibération démocratique qu’une République saine devrait tenir sur une réforme aussi fondamentale ? Au-delà des polémiques sur le “sens de la communication” du président de la République, qui peut agacer, une vraie question se pose: jusqu’où une délibération démocratique avec le peuple entier est-elle possible et raisonnée sur un sujet aussi technique ?
Les retraites, ce sujet si mal traité par les Français
Cette question est particulièrement vraie en France, où la notion de retraite fait l’objet, depuis de longues années, d’un profond détournement de sens, que certains pourraient qualifier de démagogique.
Dans son sens originel, la retraite n’est en effet rien d’autre qu’une rente servie à des personnes au terme d’une période plus ou moins longue de cotisations. Dans un système par capitalisation, la cotisation se fait pour soi-même, et consiste à reverser sous forme de rente mensuelle le produit d’un contrat d’épargne. Dans un système par répartition, la distribution est immédiate et mutualisée: les cotisations des uns servent à financer les rentes des autres.
Dans tous les cas, ce système impose un “différé” de temps entre le moment où l’on cotise et le moment où l’on reçoit. Et ce différé constitue une prise de risque : personne ne peut garantir ce que sera la situation économique au moment où les cotisants passeront du côté des rentiers. Que le système soit en répartition ou en capitalisation, le pire peut toujours survenir.
L’hypocrisie, ou la démagogie, ou le populisme, ou le grand malentendu, chacun utilisera le mot de son choix, réside bien là. En France, chacun croit qu’il existe un droit imprescriptible à la retraite, et qu’il existerait une technique actuarielle cachée qui permettrait d’être sûr que les droits ouverts à une génération seront garantis pour la génération suivante. C’est évidemment faux. Un système, qu’il soit par répartition ou par capitalisation, est forcément précaire et soumis aux aléas des conjonctures économiques.
Le rêve français de droits intangibles
Toute la difficulté, en France, tient à ce tabou fondamental, savamment entretenu par la politisation démagogique de notre système de retraite.
En réalité, que la retraite soit gérée par un système étatique et monopolistique ou par des assureurs privés, les termes du débat sont identiques. Il faut drainer une épargne vers des bénéficiaires de rente. Ce métier est celui de l’assureur-vie. Qu’il soit public ou privé, monopolistique ou concurrentiel, les mêmes principes actuariels s’appliquent, avec des tables de mortalité et des calculs de droit impliquant des prévisions à long terme et des provisions techniques. Là encore, que ces provisions soient immobilisées (comme dans la capitalisation) ou non (comme dans la répartition), l’assureur-vie qui gère les retraites doit prévoir, au moment où il ouvre un droit, où il l’annonce, qu’il aura les moyens, le moment venu, de délivrer la promesse.
Pour des raisons démagogiques, cette tambouille incontournable, qui s’impose aux cotisants et aux retraités avec la même obstination que des faits s’imposent à de doux rêveurs, est systématiquement occultée par les pouvoirs publics. Depuis plusieurs décennies, et particulièrement depuis que François Mitterrand a de façon irresponsable abaissé la retraite à 60 ans sans expliquer les conséquences pratiques (et coûteuses) de ce choix, les politiques qui gèrent les retraites font croire aux Français qu’il existe un droit à la retraite totalement détachable de la capacité du pays à le financer.
Comme si un assureur-vie public échappait aux contraintes de toute assurance-vie. Comme si on pouvait parler ici de droits abstraits, intemporels, et non de lois économiques de l’épargne.
Un mensonge savamment entretenu par Macron
La concertation menée depuis plusieurs mois par Jean-Paul Delevoye et cautionnée par Emmanuel Macron n’a guère échappé à cette logique de dissimulation. Pourtant, les partenaires sociaux qui ont participé aux “rounds” plus ou moins opaques de 2018 et 2019 savent parfaitement que la retraite est un sujet simple, au fond: la France a-t-elle ou non les moyens de financer autant de rentiers? et si oui, à quel prix? Nous consacrons déjà 14% de notre PIB à cette dépense, ce qui fait de nous des recordmen européens de l’oisiveté. Veut-on ponctionner encore plus la richesse nationale pour financer ce système, ou, à dépenses égales, veut-on changer les règles du jeu pour répartir ces 14% autrement?
Cette question basique: les actifs souhaitent-ils diminuer leur part de richesse pour les retraités? n’a jamais été posée, au nom du tabou bourgeois que les élites parisiennes adorent, selon lequel les vérités ne sont tellement pas bonnes à dire qu’il faut passer son temps à mentir et à dissimuler.
Au lieu de mettre ce sujet fondateur, carré, sur le tapis, Delevoye et consorts maintiennent un mensonge par ambiguïté. On fait croire aux Français qu’il existerait une solution miracle, appelée retraite par points, qui permettrait de financer éternellement des droits justes. Nul ne serait donc besoin de débattre des moyens accordés aux retraites. Il faudrait seulement débattre de droits abstraits, détachés de tout contexte économique. Et sur la base de ces droits, on rebattrait les cartes dans un esprit de justice aveugle et désintéressée.
C’est évidemment une imposture totalement populiste. Quel que soit la méthode technique retenue pour calculer les droits, les retraites baisseront si les ressources consacrées au système ne sont pas adaptées aux prestations promises. Et cette affirmation simple continue à être contestée de façon totalement puérile par un Delevoye qui la joue sur le mode du “mais dormez tranquille, tout cela n’arrivera pas”.
Les Français face à la vérité des chiffres
Tout le monde a bien compris que la France, ce peuple imprégné par la mentalité des cultivateurs qui font front ensemble face aux intempéries et aux menaces qui planent sur le village, cherchait à travers le non-débat sur les retraites à retrouver des certitudes dans un monde qui change. Avec la complicité des politiques, l’enjeu n’est pas de bâtir un système raisonnable, mais de maintenir l’illusion que le papa-Etat sera éternellement capable d’empêcher le ciel de nous tomber sur la tête.
Malheureusement, la vie est bien plus précaire que cela, et le bon sens est de commencer à l’admettre. Si, comme nous le promet le GIEC, les catastrophes naturelles se multiplient à cause du réchauffement climatique, si des millions d’Africains se réfugient en Europe pour échapper aux famines, si l’air devient irrespirable et vicié d’ici à 2040 comme tous les collapsologues le promettent, bref, si le destin du monde bascule, Macron pourra bien mener tous les débats qu’il veut sur les retraites. Le cataclysme s’imposera aux Français et il ne sera plus temps de parler de droits définis vingt ans plus tôt.
Ce rappel-là, ces questions cruciales, les douces illusions dans lesquelles, par un souci populiste, les politiques de droite (le numéro de claquette de Xavier Bertrand sur France 2 l’a rappelé) comme de gauche maintiennent les Français, les occultent obstinément. Mais à force de repousser le choc de la réalité, il sera d’autant plus brutal.
La seule délibération démocratique qui peut avoir lieu sur les retraites porte sur ces deux sujets limpides: voulons-nous augmenter la ponction sur la richesse nationale pour préserver le niveau actuel des retraites? sommes-nous tous bien d’accord que, dans vingt ans, les droits définis aujourd’hui sont susceptibles d’être réduits comme peau de chagrin?
Le reste n’est qu’enfumage.
L’application du discours pro-climatique aux retraites est l’argument contradictoire au raisonnement servi. On peut penser que cette fatalité quasi-climatique, tsunami (pour le coup) de la pensée civilisationnelle, donc englobant largement les sociétés actuelles, est un exercice de courte-échelle d’un certain nombre de parties prenantes, qui nous jouent la carte du cauchemar pour mieux nous déposséder petit à petit avant disparition.
Le modèle de la cotisation volontaire pour sa part obligatoire a été une condition du choix économique du salariat public ou privé, les indépendants ayant constitué leurs propres outils de couverture. Ce choix de sujétion initial, élément du contrat social, aurait été biaisé vu l’incapacité ou le refus de l’Etat (aussi sous sa forme employeur) à respecter aujourd’hui les trajectoires prévues.
Le courage politique ne me semble pas d’enseigner les constructions algébriques de sachants auto-proclamés mais bien plutôt de respecter les engagements pris, qui devraient concourir au maintien du socle de la retraite en temps que droit effectivement inaliénable. Mais non seulement, on a laissé s’envoler une minorité de rémunérations pour accompagner des classes influentes palliant pour ses bénéficiaires et eux seuls, la hausse continue du coût de la vie, mais on a réaffecté au budget général de l’Etat les réserves constituées par le COR, pour prendre en compte les conjectures économiques.
Rien ne nous garantit après cela un traitement non biaisé des données lors de cette énième consultation, nouvelle forme de la fabrique du consentement, et c’est bel et bien un aléa mais politique celui-là. Il n’en est qu’à voir le manque d’enthousiasme des 4 garants du grand débat de début d’année à défendre le sérieux de leur rôle, le jour faste et glorieux de sa restitution, pour ne pas nous rassurer sur l’auto-défense de notre protection et de nos intérêts.