Regardons les choses en face : c’est l’Europe qui subira les conséquences d’une déstabilisation durable au Moyen-Orient, où se déroulent des conflits impliquant Israël, la Syrie, le Liban, l’Iran et peut-être aussi l’Irak, l’Égypte, la Jordanie, etc. Cela représente potentiellement une bombe sociale et économique gigantesque pour l’Europe … Et curieusement, le seul dénominateur commun de ces conflits réside dans le rôle des États-Unis, qui est aussi la force qui en tire le plus de bénéfices et celle qui a le plus de capacité à influencer les médias internationaux. C’est l’analyse que nous propose l’italien, Andrea Shok. Elle donne à réfléchir à nous, européens…
Cet article initialement publié sur le site observatoriocrisis.com n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.
La phase historique que nous traversons est marquée par une crise profonde, peut-être terminale, de l’empire américain. Avec le reflux de la mondialisation économique et le déclin du contrôle des Etats-Unis sur le monde, les processus d’intervention, de chantage et de déstabilisation stratégique promus par les centres de pouvoir américains se sont accélérés.
Le tournant néo-libéral de l’UE avec Maastricht
Puisque les pays du bloc de l’alliance américaine sont tous des démocraties libérales, le problème du contrôle de l’opinion publique est central. C’est ainsi qu’a commencé une bataille fondamentale pour les âmes des populations occidentales. Et cette bataille a son épicentre, non pas aux États-Unis, mais en Europe, où la tradition d’une culture critique et plurielle était bien plus vigoureuse qu’aux États-Unis.
Le premier pas dans cette direction a été la soumission de l’Union européenne à la chaîne de commandement américaine. Une soumission éprouvée par l’événement pandémique et désormais achevée. Rares sont ceux qui se souviennent que le projet européen est né sous les auspices de la représentation d’un contrepoids à la puissance américaine, d’un troisième pôle organisé qui évitait non seulement le modèle soviétique, mais aussi celui des alliés américains. Ce rôle autonome, inspiré de l’expérience des États-providence européens d’après-guerre, est entré en crise avec la transformation de la Communauté européenne en Union européenne, avec le tournant néolibéral du traité de Maastricht, et n’est aujourd’hui qu’un lointain souvenir.
Quelques exemples pour comprendre la « bataille pour les âmes »
Pour comprendre les extrêmes de la bataille actuelle pour les âmes, jetons un coup d’œil, à titre d’exemple, à quelques événements récents liés au conflit israélo-palestinien.
Ces derniers jours, l’UE a demandé à META de supprimer de ses plateformes tout contenu considéré comme de la « désinformation », sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial. Le commissaire européen Thierry Breton est officiellement intervenu auprès d’Elon Musk pour lui demander d’intervenir afin de prendre mesures de contrôle et de censure sur la «désinformation » sur Twitter en raison du conflit palestino-israélien.
La loi sur les services numériques approuvée par l’Union européenne en 2022 est la première intervention législative institutionnalisant la censure sur les plateformes médiatiques européennes. Bien sûr, ce qui est stigmatisé comme « désinformation » et « fausses nouvelles », ce sont toujours les thèses qui perturbent le récit actuel des autorités. Et le contrôle exercé sur les agences de « vérification indépendante des faits » garantit que les bonnes analyses sont continuellement détectées afin de mieux les détruire.
Pendant ce temps, le manège des modifications et des corrections des pages Wikipédia, au contenu inconfortable a repris, dans la même veine que celle que l’on a vue dans le cas du Covid et de l’Ukraine.
En Italie, pour prendre ce pays où je vis, l’appareil des « matraques médiatiques » permanentes, qui peuplent la télévision et les journaux, a activé les désormais habituelles « expéditions punitives » contre les dissidents ayant une visibilité publique importante. Ainsi, Alessandro Orsini et Elena Basile sont devenus l’objet (largement empreint de ridicule d’ailleurs), d’embuscades médiatiques et de fatwas. Le pauvre Patrick Zaki, en tant qu’idole du grand public, est immédiatement tombé en disgrâce lorsqu’il a concouru pour les candidatures européennes et divers avantages pour avoir naïvement dit ce qu’il pensait d’Israël et de la Palestine. Moni Ovadia, pour qui les médias ne peuvent pas recourir à l’équation habituelle « antisioniste égale antisémite », a été prié de quitter son poste de directeur du théâtre municipal de Ferrare.
Le contrôle plus ou moins accepté des journalistes
Au niveau international, tout journaliste qui ne se limite pas à copier systématiquement les documents de l’appareil américain court le risque d’être accidentellement touché par une mitrailleuse. C’est ce qui est arrivé hier aux journalistes de Reuters et d’Al Jazeera. Et la liste des journalistes tués par l’armée israélienne ces dernières années est longue …
Dieu merci, il y a des journalistes comme les nôtres en Italie, assis dans la salle à manger romaine, faisant tournoyer les drapeaux et pratiquant la ventriloquie pour leur ami américain. Autrement nous ne saurions pas où transmettre les bénéfices et la reconnaissance. Dans cette phase, l’intérêt américain se porte entièrement sur la multiplication des centres de conflit, car cela lui permet de tirer parti de ses deux derniers atouts résiduels : la prééminence continue dans le domaine des armes conventionnelles, et l’isolement géographique qui rend les États-Unis immunisés contre les attaques, et donc les conséquences immédiates des conflits que les Américains ravivent.
De ce point de vue, nous comprenons ce qui a été révélé hier par la lecture de courriels internes (Huffington Post) : à savoir que le Département d’État américain a découragé les diplomates travaillant sur les questions du Moyen-Orient de faire des déclarations publiques contenant des mots tels que : «désescalade », « cessez-le-feu », « fin des violences », « effusion de sang », « rétablissement du calme». Les ordres de l’équipe sont d’ajouter de l’huile sur le feu.
Dans ce contexte, le contrôle des flux d’opinion publique est crucial
La méthode – il est important de le comprendre – n’est plus celle de la censure systématique que réclamaient les autocrates d’il y a un siècle, mais plutôt celle de la manipulation et de la censure nuancée.
A cet égard, on peut prendre l’exemple de la « nouvelle » d’il y a quatre jours concernant les 40 nouveau-nés décapités par le Hamas. La nouvelle s’est répandue grâce à des rumeurs et le lendemain, elle a fait la une de presque tous les journaux du monde. Hier, la journaliste de CNN Sarah Snider, qui avait initialement rendu l’« information » virale, s’est excusée parce que cette « nouvelle » n’avait pas été confirmée par la suite. Sky News a déclaré aujourd’hui que l’information en question n’avait pas « encore » été confirmée (après quatre jours, à quoi font-ils confiance ? Des experts en effets spéciaux?)
Or, certains diront naïvement que cet aveu de CNN est le signe qu’il existe une liberté de la presse en Occident. Mais, naturellement, l’asymétrie entre les nouvelles sensationnelles qui font la « Une » du monde entier et les doutes qui filtrent ensuite, ici et là entre les lignes, équivaut au plan politique à avoir orienté la majorité de l’opinion publique dans une direction définie ( attaque émotionnelle dédaigneuse contre les meurtriers), même si d’ici quelques mois ou quelques années, on admettra calmement que la nouvelle n’était pas fondée. C’est ce que l’on pourrait appeler la « méthode Colin Powell », ou la méthode « les bons Indiens sont des Indiens morts ».
Premièrement, un dossier suffisant est créé pour diaboliser l’une des parties et cela est fait avec suffisamment de vigueur pour produire une opération d’extermination.
Après quoi, une fois l’opération terminée, on admet chevaleresquement qu’en réalité les choses n’étaient pas exactement comme ça, tout en se vantant de son honnêteté et de sa transparence.
D’abord, des flacons de prétendues armes chimiques sont brandis devant l’ONU, un État souverain, des femmes, des enfants, des chiens et des hamsters sont détruits. Puis, des années plus tard – entre un whisky et un autre – on admet avec un sourire distrait que, « eh bien, c’était un stratagème, ce que nous voulions faire, et peu importe qui l’avait ».
Tout d’abord, la population indigène des Peaux-Rouges est exterminée, les décrivant comme des monstres blancs assoiffés de sang. Puis, lorsqu’ils sont désormais réduits à des attractions folkloriques, commence alors une cinématographie pleine de bons Indiens et de colons consciencieux.
C’est l’Europe qui va payer le prix fort de ces manipulations américaines
Dans le monde contemporain, il n’est pas nécessaire de s’atteler à la tâche complexe mais inutile de bloquer 100 % des informations véritables. Il suffit de manipuler, de censurer, de filtrer sélectivement pour les masses publiques – et ce suffisamment longtemps – pour créer certains dommages irréversibles.
Mais le cynique serait dupe s’il pensait qu’aujourd’hui ce jeu destructeur n’a, en son centre, que quelques millions de « pions palestiniens remplaçables ». Si la situation n’est pas immédiatement gelée et apaisée, les peuples européens sont et seront avant tout au centre de la grande opération de démolition actuelle. C’est l’Europe qui souffre déjà et subira les conséquences de la dévastation de ses relations avec l’Est avec la guerre en Ukraine. Et c’est l’Europe qui subira les conséquences d’une déstabilisation durable au Moyen-Orient, où se déroulent des conflits impliquant Israël, la Syrie, le Liban, l’Iran et peut-être aussi l’Irak, l’Égypte, la Jordanie, etc. Cela représente une bombe sociale et économique gigantesque pour l’Europe, sans parler des risques de participation directe à une guerre.
Et curieusement, le seul dénominateur commun de ces conflits réside dans le rôle des États-Unis, qui sont aussi la force qui en tire le plus de bénéfices et celle qui a la plus grande capacité d’influence sur les médias internationaux. Mais il va sans dire que quiconque relie les points est un théoricien du complot.
Si l’union européenne avait été conçue comme un contrepoids à la suprématie américaine, elle n’aurait pas été cornaquée par des personnages comme Robert Schuman et Jean Monnet acquis à la domination d’une ploutocratie atlantique, et elle n’aurait pas installé sa bureaucratie à cinq cents mètres du siège européen de l’OTAN. L’état actuel de l’Europe est juste conforme au plan initial.
Exactement. Amgot puis Otan puis UE.