par Brian Fabregue - Le Courrier des Stratèges a suivi de près pour ses lecteurs la querelle entre Bruxelles et Varsovie sur la primauté du droit national ou du droit européen. Nous vous mettons aujourd'hui à disposition une analyse juridique approfondie. Comme l'explique l'auteur, actuellement chercheur à l'Université de Zurich: "Il faut savoir raison garder lorsqu’on analyse les différentes prises de position au sujet de la décision du Tribunal Constitutionnel polonais. Certes, celui-ci remet en effet en question la primauté du droit européen, et il est loin d’être le seul au sein de l’Union Européenne : mais en plus, le refus d’une entière primauté juridique européenne est une opinion juridique largement partagée". Pourrait-on refuser à la Pologne ce qu'on accepte de la France, de l'Italie ou de l'Allemagne?
Note de l’auteur:
L’affiliation d’une personne à un parti est présentée par l’abréviation du parti (premières initiales), puis l’appartenance européenne dudit parti (deuxième série d’initiales).
Le contexte
La décision du Tribunal Constitutionnel polonais du 7 octobre 2021, faisant suite à une question prioritaire de constitutionnalité posée par le Premier ministre Mateusz Morawiecki, a provoqué de vives réactions à travers l’Europe entière. La décision en question, qui affirme la suprématie du droit national polonais sur le droit européen – du moins sur les domaines qui ne concernent pas les traités – a été condamnée par de nombreux dirigeants européens de premier plan. L’essentiel des critiques formulées se concentre autour du concept de primauté du droit européen sur le droit national. Ce mot quelque peu énigmatique renferme un concept simple : il consiste pratiquement dans la « primauté », c’est-à-dire une valeur supérieure, une prééminence, du droit issu des institutions européennes sur le droit issu des parlements des états membres.
À l’été 2021, la question de la relation entre droit européen et droit national s’est de nouveau retrouvée sous le radar de la CJUE en raison d’une réforme judiciaire entreprise en Pologne quelques mois auparavant. Cette réforme concernait les modalités de gestion des carrières des magistrats judiciaires : dans un arrêt du 14 juillet, la Cour européenne a ainsi affirmé que cette réforme n’était « pas conforme » au droit européen, en raison notamment d’atteintes à l’état de droit. Dès le lendemain, le porte-parole du gouvernement polonais a réagi en affirmant que « l’organisation du système de la justice [relevait] des compétences des pays membres » : Bruxelles outrepasserait ainsi ses compétences. Le Tribunal Constitutionnel polonais a finalement arrêté dans la décision du 7 octobre que certains articles des traités européens, utilisés pour abroger judiciairement la loi sur les carrières des magistrats, étaient incompatibles avec la Constitution nationale de la Pologne. La présidente du Tribunal Constitutionnel Julia Przyłębska avait alors déclaré que les institutions européennes agissaient « au-delà du champ de leurs compétences ».
Immédiatement les critiques ont fusé. Des critiques venant de partout, en commençant par le président du Sénat polonais, membre de l’opposition de Gauche, Tomasz Grodzki. « Seule l’Europe peut sauver la démocratie en Europe ». Davide Sassoli (PS – PES), président du Parlement Européen, a déclaré à La Repubblica, « Le droit européen prévaut sur le droit national : la Hongrie et la Pologne doivent le respecter. » Le commissaire européen à la justice Didier Reynders s’est pour sa part dit préoccupé par la décision polonaise et a expliqué que l’UE utiliserait « tous les outils » à sa disposition pour protéger la primauté du droit européen qui se trouve « au cœur de l’Union ». Un point de vue que partage pleinement le premier ministre libéral néerlandais Mark Rutte (VVD-RE), qui a alors obtenu une motion de la Chambre des députés néerlandaise (Tweede Kamer) en faveur d’une « ligne dure » vis-à-vis de la Pologne. Pour le député vert néerlandais Tom van der Lee (GroenLinks – EGP), la Commission européenne doit « agir aussi fort que possible » dans cette affaire, tandis que le chrétien-démocrate Mustafa Amhaouch (CDA-EPP), estimait que « quand vous faites partie d’un club, vous suivez les règles de ce club ».
Cette opinion n’est pas partagée par les membres du gouvernement polonais, comme Pawel Jablonski, vice-ministre des affaires étrangères : « derrière ces arguments légaux, se cachent clairement des motivations politiques, liées au fait que nous sommes un gouvernement conservateur, isolé au milieu d’une Union où dominent les libéraux, la gauche et le centre droit. La Hongrie, qui est dirigée par un autre gouvernement conservateur, est d’ailleurs elle aussi visée par Bruxelles ».
Les polonais ne sont pourtant pas seuls dans cette voie, puisque d’anciens membres des institutions européennes ont déclaré leur soutien à la Pologne, à l’instar de Michel Barnier, ancien Commissaire européen au Marché intérieur et aux Services. En France, l’ensemble des candidats à la présidentielle de l’année prochaine des Républicains (EPP) sont favorables à la position polonaise, Xavier Bertrand proposant même d’introduire dans la Constitution française « un mécanisme de sauvegarde des intérêts supérieurs de la France. Lorsque ceux-ci sont en jeu, la souveraineté populaire doit primer ». À gauche, le candidat de la « remontada », Arnaud Montebourg (ex-PS-PES), juge que « la défense de la souveraineté nationale des États membres est fondamentale ».
Sans beaucoup de surprise, la Pologne est soutenue par presque l’ensemble des gouvernements du centre et l’est de l’Europe. C’est ainsi que la Hongrie s’est immédiatement rangée aux côtés de la Pologne. Le Premier ministre Viktor Orbán a signé samedi 16 octobre une résolution gouvernementale envoyée à la Commission Européenne saluant l’arrêt du Tribunal Constitutionnel polonais. Dans cette résolution, le gouvernement hongrois demande aux institutions de l’UE de respecter la souveraineté des États membres, c’est du moins ce qu’a déclaré le chef de presse du Premier ministre, Bertalan Havasi, au journal MTI. La ministre hongrois de la Justice, Judit Varga, a déclaré à ce sujet : “Pour nous, c’est une étape très importante […] dans l’histoire de l’UE. Il faut dire ouvertement qu’il y a des domaines où l’Union ne peut pas s’ingérer et qu’elle doit toujours respecter l’identité constitutionnelle des États membres, leurs propres traditions culturelles et leur système constitutionnel”.
Une ligne de rupture s’est constituée principalement sur un axe droite-gauche : sans surprise, en Italie, les deux plus gros partis de droite, Ligue et Frères d’Italie ont également pris position pour la Pologne, et en Espagne, c’est également le cas du le parti conservateur Vox. De l’autre côté de la barricade, à ce jour, tous les partis du groupe GUE/NGE (Gauche Européenne/Verts du Nord) ont condamné la position hongroise.
La primauté du droit européen, une doctrine pluri-décennale
La position des représentants de l’Union Européenne est cohérente et légitime. En droit européen, la primauté du droit de l’Union sur les droits nationaux est absolue. Elle bénéficie à toutes les normes de droit européen, qu’elles soient primaires ou dérivées, et ce depuis les arrêts de la Cour de Justice du 15 juill. 1964, Costa c/Enel, aff. 6/64, avec une constance qui n’a pas faibli. (CJCE 17/12/1970, Internationale Handelsgesellschaft, aff. 11/70 ; CJCE 9/03/1978, Simmenthal, aff. 106/77 ; CJCE 19/06/1990, Factortame, aff. C—213/ 89 ; CJCE 19/11/2009, Filipiak, aff. C—314/ 08 ; CJUE 8/09/2010, Winner Wetten, aff. C—409/ 06) Par ailleurs, cette question est séparée en droit européen de la question de la non-applicabilité directe de certaines formes du droit européen, réglée par la jurisprudence de 1962, elle aussi encore d’actualité (NV Algemene Transport — en Expeditie Onderneming van Gend & Loos contre Administration fiscale néerlandaise aff. 26/62 ; CELEX 61964J0006).
En doctrine juridique européenne, la primauté s’exerce à l’encontre de toutes les normes nationales, sans exception. Ainsi, qu’il émane d’une juridiction, du pouvoir exécutif, du législateur ou du constituant, le droit national devra respecter celui de l’Union. La portée générale de ce principe conduit ainsi à considérer que le droit de l’Union s’impose à l’ensemble du droit national, y compris à ses normes les plus élevées, c’est-à-dire constitutionnelles, et qu’elles soient antérieures ou postérieures à la règle de droit de l’Union.
La position de la Commission est à ce titre cohérente avec la doctrine historique de l’UE. Le commissaire à l’énergie Kadri Simson, cité par wPolityce, a résumé le point de vue de Mme von der Leyen : “La présidente [de la Commission] a souligné que notre objectif doit être de garantir que les droits des citoyens polonais soient protégés et que chacun puisse profiter des avantages de l’Union européenne, comme tous les autres citoyens. Elle a expliqué qu’une analyse approfondie de cet arrêt était toujours en cours, mais qu’après une évaluation préliminaire, de sérieux problèmes liés à la primauté du droit européen pouvaient être constatés”.
Allant beaucoup plus loin, le président de la Commission des Affaires constitutionnelles au Parlement européen, Antonio Tajani, a même déclaré dans La Repubblica : « La primauté du droit communautaire sur le droit des États individuels est inscrite dans les traités. Ce sont les parlements nationaux qui ont voté pour ce transfert de souveraineté ».
Une doctrine contredite par les tribunaux nationaux : l’exemple français
Pourtant, la déclaration de M. Tajani est au moins partiellement fausse, autant en Allemagne, en France et en Italie. En premier lieu, le principe de primauté n’a jamais été officiellement consacré dans les traités. Seule une déclaration annexée au traité de Lisbonne de 2007, portant le numéro 17, le mentionne à peu près explicitement : or, les déclarations annexées aux traités ne sont de fait pas opposables et restent de simples déclarations de principe.
Au contraire, en France la doctrine officielle sur la relation entre droit européenne et le droit national, qu’elle soit issue des tribunaux ou du gouvernement, est bien différente. En matière constitutionnelle, par ailleurs, la suprématie de la Constitution française est implicitement admise dans les articles 54 et 55, qui subordonnent la validité d’une norme internationale en conflit avec la Constitution française à la modification de celle-ci.
En droit français, le droit européen fait directement partie du droit national : c’est ce qu’on appelle la doctrine « moniste » du droit européen. Dans un article de doctrine très connu de Étienne PICARD, — datant de 2008, alors qu’il était Professeur à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) — celui-ci écrivait : « [la suprématie de la constitution est vue] aujourd’hui comme une simple évidence, valable de toute éternité, on mentionnera ici, par exemple, un arrêt du Conseil d’État du 3 décembre 2001, Syndicat national des industries pharmaceutiques. Certes, celui-ci s’inscrit d’une façon générale dans la ligne de la jurisprudence Sarran (note : CE, ass., 30 oct. 1998, Sarran, Levacher et autres, req. n° 200286), bien plus célèbre, mais il la dépasse tout de même ; et, cependant, la doctrine, quand elle mentionne cet arrêt, ne le met pas davantage en exergue tant sa solution apparaît aujourd’hui presque banale, alors qu’il énonce, sans s’en justifier autrement, que “le principe de primauté” du droit communautaire, qui se tient au fondement même de l’ordre juridique communautaire, “ne saurait conduire, dans l’ordre interne, à remettre en cause la suprématie de la Constitution”.”
En France, le droit international est bien supérieur à la loi ordinaire (jurisprudence IVG du 15 janvier 1975 Conseil Constitutionnel), mais seulement à celle-ci. « Mais cette prééminence a été elle-même bientôt doublée d’une prééminence de la Constitution sur l’ensemble des normes juridiques, par l’effet du raisonnement suivant : si les conventions prévalent sur les lois, cela tient à ce que la Constitution le prévoit en son article 55 ; et comme c’est la Constitution qui prévoit cette prééminence des conventions sur les lois, c’est qu’elle est elle-même supérieure, en toutes ses dispositions, aux conventions internationales. Par conséquent, toutes les dispositions constitutionnelles peuvent et doivent primer sur les conventions — ce qui aboutit, lorsque la notion de hiérarchie ou celle de « bloc de constitutionnalité », n’est pas autrement interrogée, à un résultat contraire à l’alinéa 14” (toujours Picard 2008).
Dans un autre article publié chez Dalloz et nommé « Primauté du droit de l’Union européenne », rédigé par Joël MOLINIER, — datant de 2013, alors que M. Molinier était professeur de droit européen à l’Université Toulouse Capitole —, on peut lire :
[…] “[Au sujet de la primauté de la censurabilité du droit européen] le Conseil constitutionnel y a récemment répondu, dans une série de décisions no 2004-496 DC du 10 juin 2004, loi pour la confiance dans l’économie numérique, no 2004-497 DC du 1er juillet 2004, loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, no 2004-498 DC du 29 juillet 2004, loi relative à la bioéthique, et no 2004-499 DC du 29 juillet 2004, loi relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel.” […] Postérieurement à sa jurisprudence de 2004, le Conseil constitutionnel a modifié l’expression alors utilisée par lui en affirmant que « la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti » (Cons. const. 27 juill. 2006, no 2006-540 DC, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, JO 3 août 2006). »
Que ce soit donc en matière administrative (arrêt Sarran cité plus haut), en matière de droit civil (Cass., ass. plén., 2 juin 2000, no 99-60.274, Fraisse, Bull. civ., no 4) ou même de jurisprudence constitutionnelle, la suprématie du droit français, du moins en matière constitutionnelle, ne fait aucun doute en droit français.
L’intégration du droit européen dans la Constitution : une subordination de fait en Italie
En Italie, le droit européen ne fait même pas partie du droit italien, et est très difficile d’application : c’est la conséquence de la théorie dualiste du droit italien, selon laquelle le droit international n’est jamais applicable directement, puisqu’étranger. Les devoirs d’intégration dans le processus européen ont cependant porté la Cour Constitutionnelle à faire des écarts considérables à ce principe, acceptant que le droit européen s’applique directement à travers une solution élégante, mais tout aussi en contradiction avec le principe de primauté du droit européen. En droit italien, l’obligation de respect du droit européen est directement intégrée dans la Constitution.
Ainsi, le principe de nécessité de conformité de l’activité législative de l’État et des régions aux obligations de l’UE a été réaffirmé par l’article 117, paragraphe 1, de la Constitution italienne, tel que réformé par la loi constitutionnelle n° 3/2001. La Cour Constitutionnelle avait déjà accepté cette approche de la relation entre le droit de l’UE et le droit interne dans son arrêt Granital de 1984, dans lequel elle a déclaré que le droit interne et le droit de l’UE doivent être coordonnés conformément à la répartition des compétences établie par les traités de l’UE, afin de garantir la prévalence des actes de l’UE directement applicables, faisant ainsi du respect du droit européen un principe constitutionnel. Or, cet arrêt subordonnait déjà directement le droit européen à la Constitution : dans le cas contraire, la Cour Constitutionnelle italienne aurait refusé de statuer sur les traités européens, se déclarant incompétente.
La jurisprudence constitutionnelle ultérieure a précisé que ce principe s’applique également aux jugements résultant d’arrêts interprétatifs de la Cour de justice de l’UE (arrêt 113/23 05/1985), aux jugements en manquement et aux règles des traités communautaires qui doivent être reconnus d’effet direct (arrêt 389/11 07/1989) et, enfin, aux directives d’effet direct (arrêt 64/2 02/1990). Si la règle n’est pas directement applicable et n’a pas d’effet direct, le conflit entre la loi et la règle communautaire ne donne pas lieu à l’inapplication de la loi interne conflictuelle : dans ce cas, il reste possible de tirer de l’article 117 un motif d’illégalité constitutionnelle de la loi elle-même, sans pour autant que d’autres normes constitutionnelles ne viennent en protéger son application. Ainsi, le droit européen reste simplement une norme constitutionnelle parmi d’autres : dans les faits, cela indique que le respect des normes européennes peut etre écartée en faveur d’autres normes constitutionnelles, au besoin.
Le cas allemand : la primauté du droit Européen niée directement
Une décision rendue par la Cour constitutionnelle Allemande a fait grand bruit le 5 mai 2020. À l’époque, l’instance fédérale considérait que le programme de rachat de dette publique de la Banque centrale européenne violait, en partie, la Constitution allemande. Une décision contraire à celle de la Cour de justice de l’UE (CJUE), la plus haute juridiction de l’Union européenne, qui avait validé ce programme en 2018. Gardienne des traités, la Commission européenne a ainsi ouvert en juin 2021 une procédure d’infraction à l’encontre de l’Allemagne pour non-respect du principe de primauté du droit européen.
Pourtant, il ne s’agit pas d’un renversement de jurisprudence allemand, comme l’explique un professeur d’économie politique à l’université de Mannheim, Roland Vaubele :
« Je partage la position des tribunaux constitutionnels allemand et polonais selon laquelle le jugement sur l’interprétation des compétences de l’UE ne peut pas être rendu par la Cour de justice de l’UE, mais uniquement par les tribunaux compétents des États membres. C’est logique et c’est une conséquence du fait que les compétences ont été transférées au niveau de l’UE précisément par les États membres — conformément au principe d’attribution ».
Si l’Allemagne n’a jamais reconnu explicitement ce principe de primauté, c’est notamment à cause (ou à travers) la question de la sauvegarde des droits fondamentaux. La voie suivie par la Cour constitutionnelle allemande est bien connue, en commençant par son arrêt historique Solange I (BVerfGE 37, 271 29/05/1974) : cet arrêt – toujours d’actualité- a confirmé la primauté de la Loi fondamentale allemande sur le droit communautaire à la lumière des normes constitutionnelles allemandes et notamment le bloc des droits fondamentaux. Ces concepts ont depuis été repris et réitérés dans des décisions plus récentes, notamment pour relancer le débat sur la protection des droits fondamentaux. L’arrêt Maastricht a confirmé la jurisprudence Solange (BVerfGE 89, 155 ff 12/10/1993) et l’a dévellopée. Pour la cour de Karlsruhe :
- le droit européen n’est que la prise en compte des fonctions communautaires en tant que fonctions, déléguée par les États à la Communauté et d’interprétation stricte,
- l’ordre communautaire (aujourd’hui européen) est une association d’États fonctionnant par l’intermédiaire d’organes communs qui adoptent des actes directement efficaces au sein des États membres comme des actes quasi nationaux, l’expression d’un droit public extérieur aux États membres eux-mêmes,
- la cour constitutionnelle de l’État Membre de l’UE a la tâche de contrôler à la fois le respect des droits fondamentaux et la répartition des sphères de compétence.
Après un bref répit représenté par l’arrêt Bananenmarkt (77 BVerfGE 102, 147 03/06/2000) , la Cour Constitutionnelle allemande est revenue à la charge avec l’arrêt Lissabon (Lisbonne en allemand, au sujet de l’homonyme traité, BVerfGE 123, 267 30/06/2009) dans laquelle les juges de Karlsruhe ont confirmé avec fermeté les limites du droit communautaire par rapport au droit national. Cet arrêt est une réaffirmation décisive de la nature internationale de l’Union, qui est dépourvue de souveraineté en soi et dont les organes n’ont aucune légitimité démocratique comparable à celle des États membres. Par ailleurs la problématique de l’articulation du droit européen avec la question des droits fondamentaux est loin de se limiter à la seule Allemagne, comme le démontre admirablement une thèse de 2016 soutenue à l’Université de Palerme.
Une affaire politique sous des faux semblants juridiques
Les systèmes juridiques des trois pays européens les plus peuplés de l’Union Européenne ne reconnaissent donc pas une primauté entière du droit européen, le subordonnant toujours au droit national, au moins d’un point de vue constitutionnel. Dans ces trois pays, les choix jurisprudentiels ne font pas vraiment débat et sont établis dans des jurisprudences ininterrompues d’au moins 20 ans.
Il faut savoir raison garder lorsqu’on analyse les différentes prises de position au sujet de la décision du Tribunal Constitutionnel polonais. Certes, celui-ci remet en effet en question la primauté du droit européen, et il est loin d’être le seul au sein de l’Union Européenne : mais en plus, le refus d’une entière primauté juridique européenne est une opinion juridique largement partagée. Comme souvent, les différentes opinions mises en avant ne cachent pas vraiment un débat juridique ou philosophique, mais simplement des oppositions politiques. Le droit a l’avantage d’être, le plus souvent, clair et difficilement contestable. Surtout, le droit établit ce qui est, et non pas ce qui sera : une loi peut se changer le matin et encore une autre fois le soir. Essayer de cadrer un choix politique qui relève des participants à un projet — l’Union Européenne — dans un faux débat juridique est un problème pour la lisibilité de la démocratie, et notamment un débat serein.