L'annonce par Édouard Philippe d'une première reculade sur l'âge-pivot est un pari risqué. Cette concession semblait inévitable dans tous les cas de figure. Comme souvent depuis le début du quinquennat, le moment choisi pour revenir en arrière semble contre-intuitif et de mauvais aloi. Le gouvernement n'a d'ailleurs qu'à moitié convaincu les syndicats (même les réformistes) et les Français. Décidément, le flair n'est pas le fort du Premier Ministre.
Samedi, Édouard Philippe a donc mis un genou à terre, dans une lettre aux organisations syndicales où il annonce dans le même mouvement qu’il retire du projet de loi les dispositions sur l’âge-pivot qui ont semé le désordre et qu’il enjoint aux organisations syndicales de le négocier lors de la conférence de financement négociée par la CFDT. À en juger par les premières réactions, alors même que le Conseil d’État examine un texte que nous publions intégralement ici, la concession est venue trop tard et ne suffira pas à désamorcer le mouvement. La passe dans laquelle le Premier Ministre s’est engagé est éminemment dangereuse pour lui.
L’âge-pivot devrait être négocié par les syndicats…
Selon la lettre reçue par les syndicats, il leur incombe désormais de négocier l’âge-pivot eux-mêmes. Dans son courrier de samedi, Édouard Philippe a en effet expliqué que la conférence de financement ne pourrait déboucher ni sur une hausse des cotisations, ni sur une baisse des pensions. Autrement dit, seul le levier de l’âge pourra être agité.
La concession lâchée par Édouard Philippe est donc une concession “fermée” qui ligote les organisations syndicales dans les évolutions futures. Certains n’hésitent donc pas à affirmer que Philippe a piégé la CFDT, comme nous l’annoncions la semaine dernière. Plusieurs organisations syndicales considèrent en tout cas que la concession du gouvernement n’est pas suffisante, et qu’elle montre que seule la lutte paie… et paiera encore.
Philippe a-t-il raté le coche pour apaiser le conflit?
Si Édouard Philippe avait annoncé ce retrait quelques jours après la terrible présentation du dispositif devant le CESE, ou même s’il l’avait annoncée mardi dernier, lors de l’ouverture du round de négociations avec les syndicats, il aurait probablement joué un coup politique tout aussi humiliant pour lui, mais plus opportun dans le calendrier de la négociation. En lâchant si tardivement et de façon aussi réticente sa concession, il risque de ne rien obtenir des syndicats, et donc de s’exposer au risque de devoir lâcher des concessions plus importantes et plus humiliantes encore.
Dans tous les cas, la CGT, FO et la CGC ont annoncé qu’elles continuaient le mouvement jusqu’au retrait complet du texte. Seules la CFDT et une partie de l’UNSA considèrent que leur objectif est atteint.
L’UNSA SNCF en veut encore plus
Du côté de la SNCF, la situation est loin d’être réglée. Alors que la CGT se cramponne à l’abandon du projet, l’UNSA (deuxième syndicat de la maison) n’a certainement pas rendu les armes. Didier Mathis, secrétaire général du syndicat, a tenu ces propos stupéfiants :
"L'Unsa ferroviaire reste dans la grève pour obtenir que les cheminots au statut conservent le calcul sur la base des six derniers mois pour leur départ à la retraite"
Cette façon élégante de s’exprimer revient tout simplement à réclamer un régime spécial pour les cheminots. Rappelons en effet que le système promu par le gouvernement prévoit une conversion globale des points accumulés tout au long de la carrière, et pas seulement sur les six derniers mois.
Si le gouvernement devait lâcher sur ce point, il dénaturerait complètement un projet sur lequel il a déjà beaucoup donné de coups de canifs.
Les Français dans un état d’esprit très mitigé
Pour le gouvernement, les sondages constituent probablement une source d’inquiétude majeure. Depuis quelques jours, les signaux faibles de l’opinion sont contre lui, ce qui explique probablement le choix d’Édouard Philippe de céder.
Vendredi, un premier sondage montrait que le président de la République décrochait dans l’opinion. Le chef de l’État perdait subitement 4 points dans l’opinion. Après la reculade de samedi, un nouveau sondage n’est pas meilleur : l’opinion soutient à nouveau les grévistes (+ 5 points, à 30%, en une semaine). La sympathie qui semblait s’effriter a retrouvé de la vigueur.
Pour Édouard Philippe, c’est une très mauvaise nouvelle. Il vient de tirer une importante cartouche, et l’opinion ne semble pas lui en être reconnaissante. Les syndicats contestataires non plus. Le projet de loi doit être présenté dans quinze jours, dans ce contexte d’hostilité loin du souhait exprimé par Emmanuel Macron d’obtenir un compromis rapide.
De notre point de vue, le risque est désormais maximal de se placer dans une impasse dont on ne ressort pas vivant…
Les faits sont têtus, c’est une très mauvaise réforme.
Le vice le plus fondamental est peut-être surtout dans la centralisation du nouveau système entre les mains de l’État. Une caisse unique des retraites universelles sera créée qui regroupera toutes les caisses et qui s’apprête sans doute ainsi à voler les réserves de 150 milliards d’euros des caisses complémentaires et indépendantes. Et l’État pilotera le tout. Certes, il est prévu d’associer les retraités et les professionnels au sein du conseil d’administration de cette structure et de lui adjoindre un « conseil citoyen », mais le budget sera préparé par l’État et inclus dans les lois de finances !
“Cette réforme est une pierre de plus dans la prise en charge « universelle » de la société par l’État avec en corollaire l’infantilisation croissante des individus. Il n’y a d’ailleurs aucun exemple étranger (pays riches et démocratiques) de système « universel » comme celui que veut mettre en place M. Macron.
Il reste une question sans réponse : comment et pourquoi M. Macron et son gouvernement peuvent-ils encore être critiqués pour leur libéralisme alors qu’une grande majorité des réformes engagées, et particulièrement celle des retraites, renforce le collectivisme dont est empreinte la politique de la France depuis des décennies ?”
Source:
https://www.contrepoints.org/2019/07/23/349691-retraites-quatre-problemes-de-la-reforme-delevoye