« La seule fonction de la prévision économique, c’est de rendre l’astrologie respectable » disait l’économiste Galbraith. Si on garde donc à l’esprit les précautions d’usage sur toute prévision économique, il est impératif de tirer toutes les leçons de l’année 2019 sur la scène économique afin d’en déduire les grandes lignes de 2020. Une année placée sous le signe d’un ralentissement mondial, puisque l’OCDE prévoit la plus faible croissance mondiale en dix ans et ce depuis le redressement post crise américaine.
Cette croissance est encore tirée par les deux locomotives chinoises et américaines, qui inquiètent cependant tous les économistes du fait de bulles spéculatives sur à peu près tous les marchés. L’Europe a flirté avec la récession dans son secteur manufacturier et son cœur industriel allemand en 2019, et ces problèmes industriels spécifiques semblent perdurer en 2020 : l’Allemagne peine à s’extraire de sa récession industrielle, miné par les problèmes de l’industrie automobile et de sa conversion à la voiture électrique, alors même que la France est désormais proche du niveau de contraction industrielle (mesurée par l’indice Markit : un indice qui mesure l’activité industrielle).
Perspectives économiques : l’Europe en récession?
La situation est donc paradoxale sur le continent, avec un secteur industriel et manufacturier presque ou déjà en récession, et un secteur des services et de la consommation domestique qui est encore à plus de 1% de croissance. La relative bonne tenue de la France en 2019 en termes de croissance (1,2% soit un peu plus que tous ses partenaires européens) s’explique d’abord par la faiblesse de notre secteur industrielle, représentant 11% de notre PIB contre plus de 20% en Allemagne mais aussi notre moindre participation à la croissance et à la création d’emplois dans la période d’expansion, d’où un phénomène de rattrapage de dernière minute ; en d’autres termes nous sommes en retard dans le cycle, les derniers en expansion, les derniers en récession.
Enfin les mesures de soutien domestique suite à la crise des Gilets Jaunes ont créé un stimulus fiscal à rebours de la politique d’austérité budgétaire promise par Macron. Si les puissances européennes industrielles vont être en récession ou proches de la récession durant toute l’année, la question demeure de savoir si la France ou l’Italie par exemple, vont rester sur une simple tendance de croissance molle (1% pour la France de 2020 à 2022 dans la plupart des prévisions) ou connaitre une récession de type années 1990, c’est-à-dire une récession sans crise financière. Il faut ici faire entrer en jeu la question de la politique monétaire et des banques centrales, qui permet à certains de dire : « il n’y aura pas de récession, car les banques centrales interviendront ».
Le rôle des banquiers centraux
L’évènement le plus important en 2020 n’est pas ici à chercher du côté des politiques économiques gouvernementales (avec nombre d’élections, notamment la présidentielle américaine, et un Macron englué dans des conflits sociaux, peu de grands chantiers devraient être lancés en la matière), mais plutôt dans la redéfinition du rôle des banquiers centraux. Après des années de domination de la vulgate friedmanienne et de l’Ecole de Chicago sur le banquier-roi axiomatiquement indépendant, 2020 marquera le passage définitif sous Canossa des banques centrales. Aux USA, Donald Trump a déjà oblitéré la trajectoire naturelle de remontée des taux : sous la contrainte, Powell les a abaissés en 2019 : si la dernière position est celle du status quo, nul doute qu’à la moindre récession, la Fed abaissera à nouveau les taux. En Europe, Mme Lagarde, bien plus politique que ses prédécesseurs, maintiendra la politique de soutien monétaire et là aussi, en cas de ralentissement avéré, devrait utiliser les (maigres) marges de manœuvre à sa disposition en termes de taux négatifs et de QE.
Or, trop d’économistes ont en tête le modèle classique de stop and go des politiques économiques : en période d’expansion, des emplois sont créés, les salaires augmentent, puis de l’inflation apparait et les banques centrales la jugulent via des hausses de taux d’intérêt : ces dernières contractent la création de crédit et donc l’activité, on entre en récession conjoncturelle, il faut alors baisser les taux pour relancer la machine et ainsi de suite…. Mais ce modèle est invalidé par la quasi disparition de l’inflation et un régime quasi permanent de taux bas. Il ne signifie pas pour autant la fin des recessions, car une économie peut très bien connaitre un ralentissement /récession avec des taux bas ou négatifs (demandez aux japonais !) : un événement endogène (épuisement naturel du cycle de croissance, manque de productivité) ou exogène (guerre commerciale ou militaire, incertitude politique) peut toujours être un catalyseur de récession, et surtout ces politiques de taux bas nous le savons, favorisent les bulles spéculatives : quand des investisseurs décident que les actifs sont décidément trop chers même avec des taux bas (il y a une limite aux multiples de valorisation que l’on peut payer), ils vendent et suscitent des crises financières. Le monde ayant accumulé à nouveau un stock de dettes considérable depuis la dernière crise, la moindre correction sur les valorisations nous plongera ipso facto dans une récession. On le voit donc, ce régime permanent de taux bas, qui devrait être avec nous une bonne partie des années 2020, ne nous prémunit en aucune manière de ralentissements conjoncturels. Ce devrait être le grand thème de 2020.
Vers une réorientation des politiques monétaires
Du fait de l’inefficacité de ces politiques monétaires, dans un scénario de japonisation et de stagnation séculaire pour l’Europe, nous devrions dès la fin de l’année parler de réorientations des politiques monétaires. Une intervention directe de la BCE voire de la Fed dans l’économie productive (via un Green new Deal ou des programmes d’infrastructures) sera le principal combat idéologique de la période 2021-2025, opposant en Europe Mme Lagarde aux ordo libéraux allemands. Cet affrontement exhibe ses premiers signaux faibles en ce début d’année. Il ne manque à Mme Lagarde que l’appui du président français dont le logiciel mondialiste version années 1990s ne permet pas d’appréhender ce retour de l’investissement public. Avec de nouvelles théories macroéconomiques en vogue aux USA comme la MMT (modern monetary theory) prônant le retour de l’investissement public, la question du rôle de l’Etat non pas comme Etat Providence (fournissant services sociaux et avec d’importants effectifs de fonctionnaires) mais comme Etat Investisseur (l’investissement public ayant quasiment disparu en Europe, notamment dans les infrastructures, la technologie ou l’armement) drainant de sa commande une partie importante du tissu de PMEs, va devenir cruciale. Si l’Europe honnit toujours les déficits budgétaires, la création monétaire via la BCE serait un moyen de financer ces investissements. A condition que les Etats soient rigoureux avec la gestion de leurs dépenses de fonctionnements.
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POURQUOI MACRON PEINERA À AVANCER
À ce sujet, le président français avancera peu dans ce qu’il avait présenté comme ses réformes structurelles de première partie de mandat : j’y vois au moins trois raisons.
La première a trait au caractère vague des promesses économiques en 2017 : la question des retraites l’illustre à merveille puisque derrière cette simple ligne du programme (« nous instaurerons un système universel de retraites à points ») diverses réformes étaient et demeurent possibles, sans qu’aucune ne soit universelle ou efficace justement…Macron devrait se ranger derrière la même ambiguïté sur la baisse de l’impôt sur les sociétés qui tarde à venir.
La deuxième raison est bien sur le ralentissement économique mondial, qui est certes inégal selon les zones, mais avéré, avec la croissance mondiale la plus faible en dix ans pour l’OCDE : l’Allemagne et le cœur de l’Europe industrielle sont en zones de récession, nombre de pays européens ralentissent : les US et la Chine paraissent plus solides mais, locomotives mondiales, elles ne sont pas à l’abri de l’éclatement soudain de bulles spéculatives et donc d’un brusque ralentissement par effondrement du crédit et des investissements. La France dépendra donc beaucoup de la conjoncture mondiale en 2020, car sa seule économie domestique ne peut plus soutenir une croissance au-delà de 1%.
Nous en arrivons ainsi au troisième problème pour le gouvernement : l’échec de sa politique économique en première partie de mandat. Malgré une croissance forte de par le monde en 2015-2018, sur la période, les résultats français ont été décevants en dépit de réformes présentées comme structurelles (pour la croissance : 0,8%, 1,2%, 2%, 1,5%, maximum 1,2% pour 2019 mais probablement moins quand la statistique définitive sera connue en Mars) Malgré un pic de croissance mondiale, la France aura peu profité de ce cycle haut en comparaison du dernier (2005-2008) avec un chômage qui n’a reculé qu’à 8,6% (contre 7,7% sous Chirac-Sarkozy , et une moyenne en Europe de 6,4%) et dont la baisse parait enrayée. Le pari macroniste de descendre en dessous des 7% à mi-mandat est définitivement perdu…L’indice PMI Market qui mesure l’activité manufacturière était au dernier trimestre 2019 légèrement supérieur à 50, seuil en deca duquel on est techniquement en récession manufacturière.
En France, le thème de 2020 devrait donc être le renoncement aux promesses de résultats économiques et ipso facto l’enterrement des dernières reformes du programme présidentiel (impôt sur les sociétés, retraites universelles, etc…).
Sebastien Laye, Fondateur d’Aslan Investissement et chercheur associé en économie à l’Institut Thomas More