L’Italie (et les Italiens) jouent beaucoup sur la corde sensible pour dénigrer le manque de solidarité de l’Union Européenne et exiger des subventions sans contrepartie de la part du reste de l’Europe. Mais un rappel des faits et des chiffres montre que cet appel à la compassion est plutôt astucieux et constitue aussi, pour le gouvernement italien, un moyen commode de s’endetter à bon compte sur le dos du reste de l’Union.
L’Italie, et surtout les Italiens, avec leur pragmatisme et leur sens des relations humaines hors pair, ont toujours suscité ma très amicale admiration. Et je dois dire que, dans l’opération « coronavirus », ils jouent avec beaucoup d’intelligence sur la corde sensible, très « catholique de gauche », des pays du Nord de l’Europe pour obtenir des avantages pas du tout négligeables, et même roboratifs, au nom de la solidarité et de leur victimation.
L’Italie, une victime du virus à géométrie variable
Secondairement, l’Émilie-Romagne, l’autre région riche d’Italie, et le Piémont, ont connu une forte mortalité. Les autres régions d’Italie ont été frappées de façon plus modeste.
D’une certaine façon, le drame du coronavirus en Italie n’est pas un drame national, mais un drame régional, qui a, comme nous le soulignons en introduction, touché l’une des régions les plus riches d’Europe et a globalement épargné le sud de la botte, beaucoup plus pauvre.
La réaction face au coronavirus pose donc d’abord le problème de la solidarité des Italiens entre eux, bien avant de poser le problème de la solidarité de l’Europe avec l’Italie.
Rome six fois moins touchée que Paris
En grattant un peu la question de la solidarité vis-à-vis de l’Italie, on notera tout de même que Rome et sa région, le Latium, comptent 6 millions d’habitants et moins de 6oo morts. L’Ile-de-France compte deux fois plus d’habitants que le Latium… mais 7.200 décès. Ce chiffre ne diminue en rien la souffrance des Italiens. Mais enfin, avec 2 millions d’habitants (et même moins avec l’exode lié au confinement), Paris a « encaissé » 1.700 décès, c’est-à-dire trois fois plus de victimes que le Latium pourtant trois fois plus peuplé que notre capitale.
Entend-on, pour la cause, les Français déplorer massivement le manque de solidarité de l’Union Européenne, les entend-on se plaindre d’avoir été abandonnés par les autres, les entend-on exiger des sommes faramineuses en contrepartie ? Ils auraient pourtant des motifs à se plaindre. Mais les Parisiens répètent plus volontiers en boucle « l’Europe a lâché l’Italie » que « l’Europe a lâché la France ».
Cette différence de comportement devrait conduire à remettre l’église au centre du village et à se demander ce que l’Italie nous demande d’endosser au nom de l’épidémie que nous avons subie au moins autant qu’elle, Lombarde mise à part.
La BCE tient l’Italie à bout de bras depuis trois mois
Sur le fond, les griefs de l’Italie vis-à-vis de l’Europe résistent peu à un examen critique, et on peut penser que le Premier Ministre Conte n’est pas complètement honnête vis-à-vis de son peuple lorsqu’ils jouent aux victimes intemporelles de l’égoïsme du nord de l’Europe. On apprend ainsi que la BCE a acheté la totalité de la dette italienne émise pour faire face au coronavirus. Le coup de pouce s’élève tout de même à 50 milliards €. Ce n’est pas rien en soi, et il montre que, par l’intermédiaire de la BCE, l’Europe est intervenue massivement en faveur d’un État-membre en difficulté, au-delà de ce que les traités autorisaient. L’Italie a en effet perçu in fine 26,5% des rachats de titres autorisés dans le cadre du PSPP, quand son quota était de 17%. Les Italiens peuvent donc se targuer d’avoir reçu un coup de pouce de 16 milliards de l’Union en dehors des règles autorisées.
Sans cette intervention massive, l’Italie aurait probablement dû emprunter à des taux bien plus élevés…
170 milliards € prévus par le plan européen
Ajoutons à cette somme qu’on aurait bien tort de minorer, une intervention significative prévue par la Commission Européenne en faveur du Calimero méditerranéen. Selon les informations qui circulent, la Commission apporterait 80 milliards de subventions et 90 milliards de prêts à l’Italie, historiquement surendettée. Voilà qui n’est pas rien non plus !
Selon ces rumeurs persistantes, l’Italie capterait ainsi 20% du plan européen à elle seule, ce qui pourra ou pourrait être interprété par certains comme une prime au surendettement. On attendra donc patiemment de voir quelle sera la réaction des partenaires européens de l’Italie à ce deux poids deux mesures.
On pense en particulier aux pays qui ont consenti à des efforts douloureux, notamment à l’Est de l’Europe, pour rentrer dans les critères de Maastricht. Ceux-là pourraient penser qu’il existe une prime aux signataires originaux du traité de Rome, comme l’Italie ou la France, par ailleurs assez peu disciplinés en matière budgétaire, voire même en dehors des clous.
De ce point de vue, il n’est pas acquis que le plan européen obtienne l’unanimité des États membres.
Une habile diplomatie de la compassion
Avec une diplomatie de la compassion habilement menée par le Premier Ministre Giuseppe Conte, l’Italie pousse ses pions sans susciter d’animosité, et c’est un véritable tour de force. Ainsi, le pays devrait être très bien traité par la solidarité européenne dans les mois à venir, dans la lignée de ce qu’il a déjà reçu depuis le mois de février.
Surtout, pendant ce temps, les stratégies de conquête continue. Nous citions par ailleurs le cas de Generali qui devrait encore une fois échapper à Axa au nom de considérations nationales. Pendant ce temps, Luxottica a avalé Essilor, Fincantieri a avalé les Chantiers de l’Atlantique, et s’apprête à avaler ThyssenKrupp (dans ces conditions de négociation très loin de la sensiblerie pour laquelle Conte plaide) et Fiat adorerait avaler Peugeot. Tout ceci, bien sûr, avec l’air de ne pas y toucher et en arrachant des larmes de tristesse à l’ensemble de l’Europe pour la tragédie italienne.
On voit ici que ce n’est pas pour rien que l’Italie a inventé l’opéra bouffe et la commedia dell’arte.