Le décrochage du salaire moyen en France est encore passé inaperçu, mais il devrait prochainement être le phénomène social le plus marquant de l’année 2020. Il s’agit de l’une des conséquences majeures de la crise du coronavirus, et probablement l’un des préludes les plus visibles d’une grande correction sociale qui commence en France.
L’année 2020 devrait être marquée par plusieurs événements sociaux majeurs : un décrochage puissant de la masse salariale qui se traduira par un décrochage du salaire moyen français. Ces deux phénomènes extrêmement rares font entrer le pays dans une zone politiquement inconnue, car nul ne sait comment les Français, et singulièrement les salariés du secteur privé, réagiront à ces replis violents.
Un effondrement cataclysmique de la masse salariale
Le point le plus inquiétant est aussi le plus invisible à l’oeil nu : l’effondrement brutal de la masse salariale du secteur privé qu’anticipe le réseau des URSSAF (l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale). Selon les prévisions livrées courant juin, l’effet de la récession et du confinement sur les salaires du secteur privé devrait être redoutable.
La masse salariale a donc diminué de 10% en un mois, et de plus de 7% par rapport à l’année précédente. En tendance longue, le phénomène pourrait être redoutable même si les officines statistiques peinent à le quantifier aujourd’hui.
On remarquera tout de même que la Commission des Comptes de la sécurité sociale n’est guère plus optimiste. Son rapport publié aujourd’hui a abordé la question de la masse salariale en termes carrés : “Cette prévision repose sur une hypothèse de baisse en volume du PIB de 11% et une diminution de la masse salariale du secteur privé de 9,7%.”
Autrement dit, alors que l’ACOSS ne prévoit qu’une baisse tendancielle sur l’année de 0,1% de la masse salariale, les rédacteurs du rapport sur les comptes de la sécurité sociale sont bien au-delà, à près de 10% de baisse. Voilà qui fait une sacrée différence.
Le premier trimestre 2020 est marqué par le brutal ralentissement économique amorcé mi-mars en lien avec le début de la période de confinement visant à freiner l’épidémie Covid-19. Cette forte dégradation économique a donc impacté la masse salariale versée sur environ 1/6ème du trimestre. Celle-ci diminue ainsi très fortement en mars 2020 (- 10,1 % sur un mois, - 7,3 % sur un an), portant l’évolution du premier trimestre 2020 à - 2,9 % par rapport au trimestre précédent. Sur un an, elle diminue de 0,1 %.
Acoss, juin 2020 Tweet
Un impact majeur sur le salaire moyen par tête
La commission des comptes de la sécurité sociale poursuit son travail d’analyse des conséquences de la crise sur le salaire moyen par tête, en notant que le maintien du chômage partiel contribue à diminuer les dégâts. “Ces hypothèses prévoient un recul très important de l’emploi total (1,2 million d’emplois perdus fin 2020 par rapport à fin 2019 ; baisse de 4,1% pour le seul emploi salarié), en raison des destructions d’emplois liées à la chute brutale d’activité induite par les mesures de confinement et les restrictions aux échanges internationaux. Cette diminution de l’emploi total resterait plus limitée que celle de l’activité, grâce au recours massif des employeurs à l’activité partielle financée par l’Etat et l’Unedic. Pour la même raison, le salaire moyen baisserait de 5,7%, l’allocation versée aux salariés dans ce dispositif n’étant pas considérée comme un salaire soumis à cotisation mais comme un revenu de remplacement.”
Voilà qui n’est pas neutre ! 1,2 million d’emplois perdus en 2020, et une baisse du salaire moyen par tête de 5,7% (c’est-à-dire de la masse salariale divisée par le nombre de salariés). Ce décrochage devrait faire du bruit dans les chaumières.
Un décrochage inédit dans l’histoire économique
Ces chiffres hallucinants donnent une représentation assez claire du désastre social qui devrait frapper la France d’ici à la fin de l’année. Les conséquences de la pandémie, qui interviennent dans un contexte qui était, contrairement aux affirmations répandues dans la presse, très dégradé, nous feront entrer en zone absolument inconnue, tant en termes sociétaux que politiques.
Pour mémoire, la crise de 2008 avait causé une baisse de la masse salariale en 2009 de 1,3%. On se souvient des tensions que le pays avait commencé à connaître à cette époque.
La béance de l’effondrement qui s’annonce devrait être bien pire. On peut manifester compter sur des centaines de milliers de chômeurs supplémentaires d’ici à la fin de l’année.
Dans le tertiaire hors intérimaires, les effectifs salariés diminuent de 1,1 % (- 151 800 postes) Sur un an, leur croissance n’est plus que de 0,2 %, soit + 20 100 postes. Les secteurs de l’hébergement - restauration et des arts et spectacles, très concernés par les emplois de courte durée, sont les plus durement touchés par la crise (respectivement - 4,4 % et - 5,5 %).
Acoss, juin 2020 Tweet
La France peut-elle gérer cette crise de façon fluide ?
Toute la question est de savoir si nous avons les moyens de gérer cette crise de façon fluide dans les mois à venir. Dans tous les cas, la crise se traduira par une augmentation du chômage, un plongeon des recrutements et une modération salariale imposée par la trésorerie des entreprises.
Les premiers événements survenus dans nos banlieues ces dernières semaines montrent que les quartiers dépendants de l’économie parallèle sont déjà fortement affectés par la crise. Rien ne garantit qu’un épaississement des difficultés ne se traduise pas par des mouvements d’humeur tout aussi violents que ceux que Dijon a connus.
Une interrogation apparaît donc sur la capacité de la France à maîtriser la situation dans un contexte politique dégradé.
Vers un carnage social inconnu jusqu’ici ?
L’hypothèse la plus vraisemblable désormais est que l’été ait raison de tous les fantasmes qui courent sur une reprise rapide et pleine de l’activité. La preuve : nous sommes sortis du confinement depuis plus d’un mois, et aucun rebond ne se produit. L’été devrait confirmer une hécatombe dans le secteur touristique, et l’automne devrait amener une puissante correction boursière.
Bref, tant que le chômage partiel et les vacances tiennent, tout va bien. Mais la rentrée de septembre sera sanglante et l’état psychique de la France en fin d’année 2020 est une grande inconnue.
Mais une chose est sûre : les nouvelles ne sont pas bonnes.
C’était demandé dans les GOPE (grandes orientations politiques et économiques que l’UE nous impose) 2019-2020