Selon les informations diffusées hier, le plan de relance sera assorti d’un volet de simplification administrative au bénéfice des entreprises. Très vraisemblablement, des « étapes » seront supprimées dans le déroulement des procédures habituelles pour accélérer les mises en oeuvre. Ces bonnes intentions ont-elles une chance de se transformer en réalité ?
La simplification administrative est le serpent de mer des plans, des programmes, des trains de mesure de chaque gouvernement, un peu comme la formation professionnelle, qui est réformée tous les 5 ans, ou comme la durée du travail. Accolée au « choc » depuis la boîte à outils de François Hollande, pour devenir le gimmick du « choc de simplification », cette opération sera probablement mise sur le tapis par Jean Castex à l’occasion du plan de relance. Un projet de loi de simplification vient en tout cas d’être déposé sur le bureau de l’Assemblée. Il devrait être débattu à la fin du mois.
Ce qu’on sait de la simplification administrative selon Jean Castex
Selon toute vraisemblance, le plan de relance aura l’ambition de favoriser le développement industriel, notamment en simplifiant la relocalisation de certaines usines. Le projet de loi qui en découle devrait également annoncer la numérisation de certaines procédures administratives.
On entend bien ici l’enjeu crucial de ce volet pour la réussite du plan de relance, ce qui, au passage, rappelle que les milliards du plan compteront moins que la façon dont ils seront utilisés. En l’espèce, prévoir des mesures de relocalisation, sans faciliter les opérations administratives de réinstallation des entreprises serait une erreur majeure : on le sait, la délocalisation des usines françaises est au moins autant due aux tracasseries bureaucratiques qu’aux impôts divers et variés dont nos entreprises sont bardées. Pour le gouvernement, s’exposer au risque de « bad buzz » causé par des usines qui ne viennent pas rapidement parce que les procédures de réinstallation sont interminables, coûteuses, et épuisantes, est un problème politique majeur.
Donc, il faut concevoir « l’ingénierie administrative » en même temps que le financement de ces relocalisations. Et au passage en profiter pour donner quelques coups de massue à des lourdeurs que la compétitivité de notre industrie ne peut plus supporter sans subir des dommages irréversibles.
Des réticences déjà nombreuses
Le Premier Ministre avait à peine prononcé le mot « choc de simplification », que déjà les écologistes rameutaient le ban et l’arrière-ban pour dire combien la nature était en danger. On connaît le substrat de l’argumentation : les études d’impact environnemental seront moins approfondies, moins étudiées, et des projets polluants se multiplieront.
En réalité, derrière la question de la simplification administrative, c’est toute la question de l’envie sincère ou non de relancer l’industrialisation du pays, et de la décroissance pour laquelle certains opteraient volontiers. Ce débat de la décroissance devrait avoir lieu au sein même de la majorité marcheuse. L’ensemble des députés qui ont fait sécession, mais certains autres au sein même du groupe qui devrait prochainement être présidé par Aurore Bergé (qui évite soigneusement des prises de position trop tranchées sur le sujet) chahuteront potentiellement le gouvernement sur le sujet.
Emmanuel Macron peut donc craindre quelques turbulences dans ce volet très technique de son plan. Elles illustrent la préférence française, pour ainsi dire intemporelle, pour la complexité administrative, volontiers synonyme de « barrière à l’entrée » aux différents marchés existants.
Et précisément, faire de la décroissance, c’est aussi favoriser la complexité administrative.
L'association France nature environnement évoquait, avec ce projet de loi, un « risque d'amoindrir encore la qualité [des] évaluations [environnementales], en permettant un 'saucissonnage', c'est-à-dire de découper par opération ou par législation l'évaluation de l'impact d'un projet ».
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La complexité administrative existe-t-elle ?
Toute la question est de savoir si, même avec des procédures simplifiées, l’administration jouera le jeu de la loi et adaptera ou non ses procédures. Car la « simplification administrative » a bon dos. Quand on écoute les élus, on croirait presque qu’il s’agit de l’Archange Michel combattant le diable de la complexité administrative.
Mais enfin, la complexité administrative n’est pas une Idée ou un Concept qui existeraient à l’état pur. Ce sont d’abord des réalités liées à des cohortes de fonctionnaires recrutés pour mettre en oeuvre des procédures obscures. Les Français ne soupçonnent pas forcément l’existence de ces ronds-de-cuir souvent payés à 4.000 ou 5.000 € nets chaque mois, dont le métier consiste pour l’essentiel à ranger dans un parapheur les dossiers traités par d’autres fonctionnaires d’autres directions, pour que le Préfet les signe chaque soir. Cette montagne d’opérations insignifiantes, répétitives, coûteuses, fait vivre dans chaque département, dans chaque région, des dizaines de fonctionnaires bien accrochés à leur poste.
Jean Castex pense-t-il pouvoir les priver de leur emploi du jour au lendemain sans se heurter à la résistance, au moins passive, de ce gouvernement profond, de cette coterie de hauts fonctionnaires qui ont horreur des vagues et qui n’imaginent pas du tout « manager » leurs équipes en leur expliquant que le brassage d’air bureaucratique se termine ? En traitant les symptômes du mal bureaucratique français regroupés sous l’étiquette de « complexité administrative » sans s’attaquer au virus lui-même, celui de la prolifération d’emplois publics beaucoup trop payés pour nuire aux administrés, et d’abord aux méchantes entreprises qui spolient les travailleurs et exploitent l’homme par l’homme, Jean Castex prend un sérieux risque.
C’est le retour de la pensée religieuse, au fond : on prie Saint-Michel pour qu’il nous débarrasse du dragon mystérieux. On prie la Vierge de la Santé pour se débarrasser de la peste. Mais le mal lui-même reste largement occulté par la démarche.
Peut-on simplifier l’administration sans changer le statut des fonctionnaires ?
La nature administrative ayant horreur du vide, toute mesure de simplification administrative dans un champ donné de l’action publique se traduit par une complexité accrue dans un autre champ. Si l’on admet l’hypothèse que la complexité administrative n’est pas un dragon diabolique, mais le produit d’une bureaucratie, on conclut logiquement que, sans renvoyer la bureaucratie à ses foyers (c’est-à-dire sans un plan massif de dégagement des cadres bureaucratiques), Jean Castex bouchera une brèche mais en ouvrira mécaniquement une autre dans un autre segment des interventions publiques.
Que diable ! il faut que les fonctionnaires s’occupent ! vous imaginez un Préfet annoncer à certains de ses subordonnés que, désormais, ils sont devenus des inutiles ? Sauf à s’exposer à la virulence syndicale, personne ne fait cela.
Un Préfet normalement constitué agit autrement : il « redéploie » ses effectifs, c’est-à-dire qu’il regarnit le mur de la forteresse administrative. Et le fonctionnaire ainsi déplacé se retrouve une utilité en améliorant les procédures qu’il trouve à son arrivée. Et améliorer, on sait ce que cela signifie : demander de nouveaux justificatifs pour éviter les fraudes, approfondir les contrôles, les chicanes, au nom de l’intérêt public, bien entendu.
Autrement dit, se débarrasser des procédures sans se débarrasser des fonctionnaires qui les appliquent, c’est promettre, par un jeu de vase communicant, un durcissement des procédures ailleurs. La simplification administrative sans suppression de poste demeurera, au final, un jeu à somme nulle.
L’angle mort du quinquennat Macron se situe là : dans le refus obstiné de réduire les résistances de la haute administration, et dans le refus de remettre à plat le statut des fonctionnaires. Notamment en remettant en cause la garantie de l’emploi. Cet oubli condamne par avance toute réforme efficace des procédures administratives.
Cher Monsieur
Vous avez évidemment raison: la simplification administrative, vieux serpent de mer depuis 30 ans, ne sera possible qu’avec la suppression d’un million de fonctionnaires. Il en restera encore: 4.5 millions.
Non il en restera beaucoup plus, même en en supprimant un million! 7 millions de vrais et faux fonctionnaires en France :
https://www.lepoint.fr/invites-du-point/jean-nouailhac/fonctionnaires-les-chiffres-qui-tuent-18-11-2014-1881987_2428.php