Parce qu’elle a longtemps boudé son commandement militaire intégré, la France connaît mal l’OTAN et son rôle structurant dans les relations internationales. On le regrettera, car le sommet qui s’annonce à Bruxelles les 11 et 12 juillet devrait se révéler crucial pour l’avenir de l’Europe, face à une Amérique de moins en moins soucieuse de multilatéralisme.
L’OTAN, l’acronyme de l’Alliance Atlantique, est née avec la guerre froide pour sceller la communauté de destin entre les États-Unis et leurs alliés de l’Europe de l’Ouest. Depuis une vingtaine d’années, les raisons d’être de cette communauté prennent l’eau: entre la disparition du rideau de fer et l’émergence d’un terrorisme global, la menace militaire à laquelle l’OTAN répondait s’est estompée. Cette perte de sens a justifié que Donald Trump considère l’alliance comme “obsolète”, au début de son mandat, avant de revenir prudemment sur ses propos.
De fait, l’émergence d’une forme nouvelle d’isolationnisme américain interroge le sens même de l’alliance. Dans quelle mesure l’Europe doit-elle préserver cette relation privilégiée avec des États-Unis dont l’égoïsme cynique est de plus en plus marqué? L’émergence d’un projet de défense européenne, poussé notamment par la France, rend la question plus que jamais brûlante.
L’OTAN face au cynisme de la politique étrangère américaine
Les choix opérés ces dernières années par les États-Unis en matière de politique étrangère soulèvent de sérieuses questions sur les options stratégiques des pays européens.
Tant que le “gendarme américain” garantissait leur sécurité, aucune remise en cause sérieuse de la part des Européens ne pesait sur l’alliance. L’adhésion à l’Union des pays d’Europe de l’Est justifiait même que des anciens “petits frères” comme la Pologne réclament l’extension du bouclier américain jusqu’à la frontière russe.
Les interventions américaines directes contre les rogue states du Proche-Orient (Libye, Syrie, Irak) avec le soutien plus ou moins officiel de l’Arabie Saoudite, des pétromonarchies et des milices islamistes qu’elles ont financées remettent toutefois ce bel ordonnancement en cause. Le développement, sur le sol européen, d’un terrorisme ourdi par ces milices soutenues par les États de la péninsule arabique interroge la pertinence de l’alliance avec ces partenaires peu fiables, voire toxiques. Les vagues migratoires facilitées par le désordre qui règne en Libye ou en Syrie soulignent le poids des dommages collatéraux infligés par les aventures américaines dans la région.
Officiellement, l’Alliance Atlantique est tournée vers la protection de ses membres. Dans la pratique, les États-Unis embarquent volontiers leurs alliés dans des expéditions qui se retournent contre leurs propres intérêts… Et c’est une vraie difficulté.
La tire-lire de l’OTAN intéresse Donald Trump
La difficulté est d’autant plus grande que l’OTAN n’est pas qu’une source de dépenses pour les États-Unis, même si Donald Trump se plaint abondamment du manque d’engagement financier des Européens dans leur propre défense. On sait désormais que Trump exige des Européens qu’ils poussent leur effort de défense à 2% de leur PIB.
Parallèlement, les États-Unis entendent bien conserver captif le marché de l’armement européen. Le PDG de Dassault, Éric Trappier, le rappelait devant la commission de la Défense à l’Assemblée Nationale le 28 février: la vente du Rafale est à peu près impossible sur le sol européen, du fait des exigences américaines, qui entendent bien voir leurs alliés s’équiper de leur F-35 en cours de livraison.
Ce débouché monopolistique pour l’aviation militaire américaine que constitue l’Europe prend désormais toute son importance dans la stratégie globale de Donald Trump. Celui-ci entend bien imposer un protectionnisme à l’entrée des produits européens sur le sol américain, tout en conservant la faculté d’imposer aux Européens d’acheter des produits américains au titre de l’Alliance. Et qu’importe si cette stratégie tue dans l’oeuf l’industrie européenne. Au contraire même, l’OTAN devient aujourd’hui le vecteur d’une concurrence déloyale de l’industrie américaine contre nos propres usines, par la plus grande satisfaction du complexe militaro-industriel américain!
Donald Trump et la nucléarisation de l’Europe
Ce faisant, le calcul de Trump n’est pas qu’économique. Les États-Unis se sont, depuis l’an dernier, dotés d’une nouvelle stratégie nucléaire à laquelle les Européens feraient bien de s’intéresser.
Dans sa nouvelle “posture nucléaire”, l’Amérique de Trump entend bien utiliser les futurs F-35 pour porter un feu nucléaire limité sur d’éventuels champs de bataille européens. Conçue comme une réponse aux évolutions de l’armement russe (d’ores et déjà capables d’utiliser l’arme nucléaire sur un espace restreint en premier feu), cette doctrine du “nucléaire sur-mesure” devrait relancer une course à l’arme atomique sur notre continent sans que nous n’ayons les moyens de la contrôler.
Plutôt que de se battre sur une multitude de moulins obscurs dont Trump serait le plus visible, les ennemis du libre-échange gagneraient à creuser un peu ce sujet. Il a en effet l’originalité d’interroger le sens même de l’Alliance Atlantique.
Soutenir l’Europe de la Défense pour compléter l’Alliance Atlantique
Il ne s’agit bien entendu pas ici de plaider pour une rupture avec l’Alliance Atlantique. Celle-ci n’aurait pas de sens, dans un monde désormais multipolaire où l’Europe a tout intérêt à maintenir un équilibre (de plus en plus) savant entre la Russie et des États-Unis protectionnistes.
En revanche, il est essentiel que l’Europe dispose, dans le cadre d’une OTAN où sa contribution financière sera de plus en plus élevée, d’une capacité à s’équiper d’un armement dont elle aura la maîtrise. C’est pourquoi le projet de SCAF (système de combat aérien futur) est vital pour elle.
Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Depuis plusieurs mois, il dit le plus grand mal et de l’Europe de la Défense, et des projets européens d’armement. Des projets qui ont si mauvaises réputations ne doivent fondamentalement pas être mauvais.
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