La technostructure devrait discrètement mais massivement s’opposer à la baisse des dépenses publiques. Une étude de France Stratégie consacrée à ce sujet vient d’en donner un exemple flagrant. En dehors d’un scénario de banqueroute, on voit mal comment l’objectif de baisse des dépenses pourrait être atteint…
C’est un bel exercice de freinage anticipatif qui a occupé l’ancien Commissariat au Plan devenu, à la faveur de reconversions successives, l’organisme France Stratégie. La synthèse de la note produite par son directeur adjoint (et quelques autres) Fabrice Lenglart peut se résumer au tableau abscons ci-dessus.
Il en ressort que France Stratégie nourrit le gouvernement pour appliquer la politique peu ambitieuse d’Emmanuel Macron de baisse de trois points de PIB des dépenses publiques. Et le résultat qui se donne à lire fait froid dans le dos sur la capacité de résistance de la technostructure à cette réduction du périmètre de l’État.
Les angoisses méthodologiques de la technostructure
On lira donc avec attention les 16 pages de cette note qui détaille méticuleusement comment espérer baisser d’environ 60 milliards € la dépense publique d’ici à la fin du quinquennat. Dans la pratique, et au vu des troubles qui secouent nos rues, l’exercice a vraiment quelque chose de lunaire. Mais on essaiera quand même de retracer ici le cheminement intellectuel de France Stratégie pour en comprendre le sens.
Tout commence par une assertion qu’un esprit rationnel aimerait bien discuter, mais qui semble une vérité d’airain sous la plume de la technostructure. Elle concerne la méthode dite “bottom-up”, qui consiste à rechercher toutes les pistes d’économies possibles dans l’action publique, à partir de l’examen des dépenses réelles. Sur cette méthode, France Stratégie décrète:
“Cette approche ne peut cependant pas couvrir tout le champ des politiques publiques, car ces analyses sont coûteuses en temps et en ressources à produire.“
Autrement dit, il serait trop fastidieux d’examiner chaque dépense pour les réduire en les rationalisant. Donc, il vaut mieux reprendre la méthode “top-down”, de haut en bas, qui fonctionne par grandes masses.
Manifestement, la verticalité, la décision prise en chambre et qui s’impose à tous, demeure encore et toujours le credo de la technostructure.
La technostructure ne connaît pas le marché
On cherchera vainement dans la note de France Stratégie une réflexion sur le sens des interventions publiques, ou un examen de ce qui pourrait être alloué au marché là où le monopole d’Etat. Ce reproche vaut tout particulièrement pour tous les grands sujets qui font la vie quotidienne des Français, et les grandes masses de la dépense publique, en particulier la santé. France Stratégie prend un soin particulier à ne surtout pas interroger les raisons pour lesquelles des dépenses sociales sont confiées au secteur public en France, alors qu’elles relèvent du secteur privé ailleurs.
Au contraire, France Stratégie s’offre même le luxe de constater que les pays nordiques offrent plus de services sociaux que la France. De ce point de vue, la note invite plutôt à saler encore un peu plus la facture. Elle est en tout cas très loin de problématiser les interventions tous azimuts de l’Etat en France.
L’obsession normative de la technostructure
Au demeurant, l’enjeu de la note de France Stratégie n’est pas de réduire les dépenses publiques en améliorant la qualité de service rendu au contribuable. Il est plutôt de faire rentrer la France dans une norme moutonnière: la note compare les dépenses publiques ailleurs en Europe, et cherche à inscrire la France dans une bonne moyenne, grand type de dépense par grand type de dépense.
Il ne s’agit pas ici d’inventer un modèle français, mais de sacrifier à une manie propre aux élites nationales: être dans la norme, dans la moyenne des autres. D’où une litanie de comparaisons interminables avec des pays voisins (y compris un groupe cible appelé “pays nordiques”) pour savoir ce que nous avons de plus ou de moins qu’eux.
3 scénarios laborieux avec le CICE en ligne de mire
On notera que la note ébauche trois scénarios de réforme extrêmement laborieux, façon technostructure, avec un art consommé du mi-figue mi-raisin. L’objectif est de gagner trois points de PIB, pas un de plus! et c’est à peine si la note évoque que l’administration française coûte 0,5 point de PIB plus cher que les autres administrations.
Baisser les dépenses de santé et les retraites
On notera toutefois l’argument de fond de France Stratégie:
“Il est possible d’imaginer un troisième scénario, plus équilibré. Celui-ci autoriserait une baisse plus modérée et sans doute plus réaliste du poids des dépenses de santé, qui passerait davantage par une restructuration globale de notre système de soins. Il permettrait une augmentation du poids des dépenses d’éducation et de défense. Il autoriserait également une stabilisation du poids de l’investissement public, car sa baisse, a priori souhaitable à l’aune de ce que l’on observe chez nos partenaires, pourrait être légitimement contrecarrée par les nouveaux besoins liés à l’organisation de la transition écologique et énergétique. Ce scénario, pour être crédible, suppose d’élargir les économies aux prestations sociales en espèces (y compris retraites) et à l’accueil et à l’aide aux personnes. Les décisions prises par le gouvernement de désindexer partiellement les retraites en 2019 et 2020, de même que la volonté de mieux maîtriser les dépenses d’assurance-chômage, vont dans ce sens.“
A l’issue de cet exercice, une certitude est acquise: la technostructure n’aidera pas à la baisse des dépenses publiques.
Commentaires 3