La protection sociale en France coûte très cher et étouffe la compétitivité industrielle du pays. Dans les années à venir, elle ne pourra plus être financée sans mettre en danger l’avenir même du pays, quoi qu’en dise ses défenseurs. Son remplacement par un revenu universel s’imposera de lui-même.
Que la protection sociale transformée en monopole d’État ne puisse être financée de façon soutenable est une évidence aussi grande que la nudité du roi dans le conte d’Andersen. Tout le monde le voit et tout le monde refuse de le voir. Une récente étude du CEPII a encore montré que les multinationales françaises créaient beaucoup plus d’emplois dans les pays étrangers que dans leur pays d’origine, à rebours des multinationales allemandes. De là à dire que les entreprises françaises fuient l’épaisse protection sociale de leur pays pour se développer sous des cieux plus cléments, il n’y a qu’un pas que nous franchissons sans difficulté.
Comment imaginer une protection sociale durable?
Tout la question est de savoir par quoi remplacer notre protection sociale étatisée et monopolistique. Il est évident qu’il existe un effet cliquet dans le système qui s’est mis en place: une fois qu’un niveau élevé de protection sociale est mis en place dans un pays, il est très difficile de revenir en arrière et d’y diminuer les garanties. Ce genre de rétropédalage s’est surtout vu dans les pays communistes d’Europe centrale et orientale. Autant dire que la remise en cause de la protection sociale n’intervient que dans une crise systémique ou une faillite des États.
Si l’on admet que ce scénario n’est pas impossible en France, une réflexion doit alors s’engager sur ce qui pourrait être le successeur de cette sécurité sociale transformée en objet cultuel. Faut-il remplacer le trop plein par du vide? Les pistes proposées ici sont évidemment embryonnaires, mais proposent une logique d’ensemble à ce que pourrait être un nouveau modèle de protection sociale, durable et efficace.
Mais où est la protection sociale d’antan?
Une piste mérite d’être creusée, que les puissants partisans du « tout sécu » (c’est-à-dire d’une protection sociale sans autre acteur, même complémentaire, que le régime général obligatoire) s’efforcent de disqualifier depuis plusieurs décennies sous des arguments inexacts. C’est celle du schéma pratiqué dans les années 30, notamment après les grandes lois sur la retraite de 1928. Celui-ci reposait sur une obligation de s’assurer, avec un système public de solidarité minimale (sous un certain seuil de revenu), et une liberté d’affiliation pour le reste. Ce système est appliqué avec succès en Allemagne depuis les années 90.
Ce n’est d’ailleurs pas la moindre ironie de l’histoire que d’assister au croisement des modèles. Dans les années 30, l’Allemagne nazie était monopolistique et la France ouverte à la concurrence dans le domaine de la protection sociale. Aujourd’hui les choix entre les deux pays se sont inversés.
L’Allemagne et l’Europe
Au passage, la réforme allemande des années 90 qui a ouvert la sécurité sociale bismarckienne à la concurrence s’est imposée par des choix européens de l’Allemagne. En application des traités imposant une libre concurrence aux systèmes assurantiels, les Allemands ont opté pour une « privatisation » de leur sécurité sociale. Pendant ce temps, la France légalisait ses monopoles.
Là aussi, on pointera l’ironie de l’histoire. La France adore donner des leçons d’Europe, mais elle est le pays fondateur qui en pratique et respecte le moins les principes (et ça ne risque pas de s’arranger sous Emmanuel Macron). Il existe dans notre pays une préférence systématique pour le monopole et une aversion tout aussi systématique pour la libre concurrence. Pourtant, l’Union Européenne est fondée sur cette dernière, et sur la lutte contre le premier.
Comment solvabiliser les assurés?
Parmi les réticences qui ne manqueront pas de s’exprimer en France sur une solution à l’allemande, on trouvera l’angoisse absurdement répétée en boucle d’une « santé à deux vitesses », comme si cette expression ne décrivait pas le système mis en place par la sécurité sociale monopolistique. Cet argument mérite d’être pris en compte et adressé dans toute réflexion sur une ouverture de notre protection sociale à la concurrence, car il est un point de blocage majeur.
Pour convaincre l’opinion, il faut ici apporter l’idée du revenu universel, qui vise à protéger l’ensemble de la société contre les risques quotidiens. Voici comment il pourrait se déployer.
Comment fonctionnerait le revenu universel?
À la différence du revenu universel conçu comme un élément supplémentaire de solidarité (de notre point de vue selon une vision déformée par la social-démocratie telle qu’elle fut défendue par des « libéraux » auto-proclamés comme Gaspard Koenig), le revenu que nous proposons remplace les prestations de sécurité sociale et vise à permettre à chacun de s’assurer contre les risques sociaux (y compris familiaux) actuellement couverts par le régime général.
Concrètement, il s’agirait de redistribuer à chacun, mensuellement, de la naissance à la mort, une somme égale à 30% du PIB, financée par l’impôt et par des cotisations. Cette somme d’environ 9.000€ par an et par personne (enfants compris) serait obligatoirement affectée à la couverture des risques sociaux. Toutefois, selon l’âge, chaque habitant aurait la faculté de les allouer au risque qui lui convient selon les taux de son choix.
Ce revenu universel et l’expérience finlandaise
Les amateurs du genre noteront que ce dispositif n’a rien à voir avec l’expérience finlandaise récemment menée et qui s’est terminée en eau de boudin. Dans le cas finlandais, le revenu était versé avec l’intention de pousser des demandeurs d’emploi à rechercher du travail. Au bout de quelques mois, aucune amélioration n’était constatée.
En soi, cet échec n’a rien d’étonnant. Le revenu universel n’est pas fait pour modifier des comportements in abstracto. En revanche, il peut constituer une conception en soi de l’aide sociale fondée sur la responsabilisation des individus.
Et le revenu de citoyenneté à l’italienne?
Le même constat de différence sera dressé avec le revenu de citoyenneté à l’italienne tel qu’il vient d’être inventé par la coalition au pouvoir. La quota 100 passée inaperçue en France prévoit en effet de dépenser 7 milliards d’euro pour garantir un niveau de vie minimal à une part importante des précaires installés dans le pays depuis au moins 10 ans.
On ne reviendra pas ici sur les dispositions particulières de cette loi qui illustre les conceptions propres à la coalition italienne. C’est le principe même de sa segmentation sur une part de la population donnée qui pose problème ici : le revenu universel que nous proposons concerne au contraire l’ensemble de la population quel que soit son niveau de revenu par ailleurs. Son objectif n’est pas de lutter contre la pauvreté, mais de permettre à chacun une couverture satisfaisant contre les risques sociaux.
Ouvrir la sécurité sociale à la concurrence
Cet édifice peut paraître complexe à mettre en œuvre, tant les changements quotidiens qu’il propose sont importants. Mais l’exemple allemand montre que cette transformation est loin d’être insurmontable. Dans la pratique, il ne suppose pas le démembrement de la sécurité sociale mais seulement son ouverture à la concurrence. Il s’agit donc d’une réforme limitée, qui n’interdit nullement au régime général d’agir. Simplement, celui-ci devra relever le défi d’autres acteurs.
Le caractère inéluctable de cette solution
Nous avons la conviction que cette solution est inéluctable. En effet, le financement de la sécurité sociale n’est pas durable. La situation des finances publiques imposera à moyen terme la recherche d’alternatives crédibles. Le principe d’une solvabilisation de la demande au lieu de la solvabilisation de l’offre s’imposera de lui-même.
Transférer un monopole d’état vers le privé, quelle bonne idée ! Le monopole d’éta permet à tous de se soigner sans aucune distinction de se soigner correctement quelle que soit le type de pathologie à laquelle il est confronté. Donner les clés du système au privé revient à généraliser la disparité et la médiocrité de certains des contrats de complémentaires de santé. Lorsqu’on regarde, par exemple, le prix des complémentaires santé réclamé aux plus de 65 ans on a tout de suite une idée de ce que devinedrait un système de sécurité sociale livrée au privé.
Laisser les français choisir leur assureur ? Pensez-vous que chaque français soit à même d’analyser le meilleur « rapport qualité/prix » de contrats aussi importants ? Et ne venez-surtout pas me parler des « comparateurs » dont le fonctionnement est en partie liée à l’investissement publicitaire des « comparés ». Mais, répondrez-vous cela permettra à quelques startup de créer une application du type « mon meilleur contrat ».
Proposez-vous un système dans lequel les assureurs sélectionneraient les « meilleurs » risques (assurés) en pénalisant l’âge, le taux de risque de la profession, les activités sportives et les comportements individuels ?
Si c’est le cas, combien de gens préfèreront comme dans d’autres pays prendre une couverture minimale, voir pas de couverture et échouer dans des services d’urgence à saturation ? Les assureurs lorgnent depuis des années sur le pactole des retraites par capitalisation et la santé. Ils n’ont aucune vocation sociale, simplement des objectifs financiers destinés à rémunérer des actionnaires qui attendent de bons rendements.
A terme, bien entendu, les assureurs dirigeront les patients vers des praticiens ou des établissements de soins privés choisis par eux seuls. Sachant qu’aucune dérogation ne sera possible, il faudra faire « chauffer » la carte bleue pour se faire soigner hors du réseaux obligatoire.
Quant à la concurrence, laissez moi rire. Passé les premières années, les prix se stabiliseront d’une compagnie à l’autre et du fait des échanges entre banques, assureurs et même mutualistes, on retrouvera les mêmes contrats … sous des noms différents.
La prise en compte de la santé pour tous par les pouvoirs publics est un vecteur important et fédérateur d’une société. Et, surtout ce n’est pas une marchandise comme les autres !
Justement, la sécurité sociale aujourd’hui ne garantit pas un accès aux soins satisfaisants. La santé à deux vitesses, c’est aujourd’hui. Parier sur la bêtise des Français pour expliquer qu’ils ne seraient pas capables de comprendre un autre système que le monopole public qui les déresponsabilise me paraît très arrogant… 🙂
1- les caisses complémentaires sont la signature des aveux de faillite de la sécu
2-le monopole ne permet aucune contestation au plan des soins prodigués ou si peu
3-la gabegie « c’est gratuit, c’est l’état qui paye » a infecté le système de soins au point d’être irréversible en entraînant sa mort à court terme
4-les services sont remplis de parasites innombrables qui contrôlent le plus lentement possible les dépenses de l’organisme en prenant soin de repasser la patate chaude aux politiques qui font semblant de pousser des cris d’orfraie
5- les maladies mentales prolifèrent au point que les soins (inefficaces pour la plupart) coûtent de véritables fortunes justifiant ainsi les personnels pléthorique du monstre.
5- l’auto-congratulation-satisfaction, les auto-louanges pour l’excellent travail accompli n’abusent personne
6- ceux qui sont contents des sévices de la sécu n’ont qu’à y rester et laisser ceux qui en sont mécontent libres de s’en aller: ça ce serait de la vraie démocratie et non un diktat digne de l’ère honnie des soviets staliniens
7- la libre circulation des personnes et des biens en Europe doit permettre de se faire soigner dans d’autres pays à moindre coût !
à parfaire . . .
ah! j’oubliais, seul la sécu sait soigner, les autres non !
ps. indépendamment de ces remarques j’abonde dans le sens du texte magistral et du commentaire d’Éric Verhaeghe, ça va de soi.
La sécurité sociale est née pour couvrir et aider aux frais de santé. La SANTE et seulement elle. C’est une assurance pour laquelle on cotise. Les bien portants contribuant pour les gens malchanceux.
La protection sociale dont on parle aujourd’hui, et notamment à propos du revenu universel, est complètement autre chose. Elle est payée par l’impôt local ou d’Etat. Le malheur est que l’Etat a réglé bon nombre de cas sociaux par des ponctions sur la Sécu (l’assurance des cotisants) entraînant la confusion. Ce n’est pas parce que l’on a fait des erreurs, qu’il faut les poursuivre ! La marche arrière est possible ! Et l’erreur serait encore pire si l’amalgame de toutes les aides de protection sociales aboutissait à ce revenu universel.
L’homme a besoin d’autre chose. Le revenu universel réduirait l’homme dans sa dignité sans lui donner pour autant les moyens suffisants pour vivre correctement sans travailler puisque c’est vers un tel monde que l’on nous conduit. Et puis, s’il n’a pas faim, l’homme ne va pas d’époumoner à rechercher un travail. Beaucoup ont besoin justement de se trouver dans la difficulté pour s’arracher et se creuser les méninges pour trouver le moyen de s’en sortir. Nous ne sommes pas tous faits du même modèle. L’argent ne règle pas tout quand il s’agit de l’homme !
Certes, l’Etat a de bonnes raisons de s’intéresser à une telle solution. Elle le dédouanerait de tout souci concernant les deux tiers de la société. Reste à savoir s’il restera sourd à la détresse de ceux pour qui le revenu universel sera très insuffisant. S’il ne bouge pas, je n’imagine pas les manif et autres actions d’associations de défense….. S’il le fait on revient au point de départ …. Mais entre temps je n’imagine pas le taux d’impôt, payé par qui ?
!!!
https://dailygeekshow.com/revenu-universel-test-finlande/?fbclid=IwAR0ZqrxkUJShgr9aGV0YREOheL5m0ZJZQhmi06v-WAwYXu5kga4BNHQ7vU0
Cher Verhaeghe,
Vous écrivez : « La santé à deux vitesses, c’est aujourd’hui. Parier sur la bêtise des Français pour expliquer qu’ils ne seraient pas capables de comprendre un autre système que le monopole public qui les déresponsabilise me paraît très arrogant… »
Si se retrouver dans le maquis des offres de santé était simple, il n’y aurait pas autant d’articles dans la presse consommateurs (Que Choisir! par exemple) ou autant de comparateurs et spécialistes de tout poils. Ce n’est pas à vous que j’apprendrai que la lecture d’un contrat d’assurance quel qu’il soit est un exercice auquel peu d’assurés se livrent tant ceux-ci sont rébarbatifs pour le commun des mortels. Ce à quoi il faut ajouter le manque de conseil et d’explication des contrats souscrits en ligne. J’en sais quelque chose pour avoir exercé dans le monde de l’assurance. Quant à parler d’arrogance, je vous laisse libre de vos appréciations …
Vous savez parfaitement qu’un certain nombre de gens, pour qui, comme disait Coluche, la fin de mois commence dès le premier jour de celui-ci, fera des arbitrages au détriment de leur santé. Avec l’approche que vous suggérez, ce n’est pas une santé à deux vitesses que nous aurons mais une augmentation des pathologies lourdes (beaucoup plus coûteuses) par faute de soins. En clair une santé qui aura autant de vitesses que de souscripteurs ….
Un dernier point sur lequel je voudrais vous lire, c’est sur la prise en charge des seniors. Pouvez-vous affirmer qu’ils ne seraient pas les premières victimes d’un système qui privilégierait les plus jeunes, sédentaires et adeptes du yoga ?
Encore une fois, la santé n’est pas une marchandise comme les autres et trop sérieuse pour la confier à des financiers et leurs actionnaires …
Raisonnement curieux sur la complexité des garanties! Les contrats de complémentaire se contentent (bêtement dirais-je) de suivre les 13.000 actes remboursés par la sécurité sociale. Et encore, ils les simplifient énormément en les ramenant à une petite cinquantaine de groupes d’actes. Étonnant de plaider pour la sécurité sociale… en reprochant aux autres l’illisibilité dont elle est la seule cause.
Je ne peux qu’abonder dans le sens proposé par E. Verhaeghe.
La faillite du système est patente et les multiplications réglementaires visant à niveler le niveau des complémentaires n’a comme seul effet que d’augmenter les reste à charge des patients, notamment en chirurgie.
Vouloir imposer des baisses tarifaires aux professionnels de santé en organisant l’insolvabilité des patients par la limitation de leurs remboursements est, pour le moins, preuve d’un réel aveuglement. Seule la concurrence permet durablement de baisser les prix et le numérus clausus imposé depuis des décennies pour les études de médecine, allié au vieillissement du corps médical ont créé une vraie pénurie de professionnels, peu propice aux baisses de tarifs…
Les complémentaires sont aujourd’hui chargées de tous les maux alors que la responsabilité de la situation complexe que nous connaissons vient de l’incompétence, du manque d’anticipation, et d’une conception hégémonique d’un autre temps des Pouvoirs Publics et de la Sécurité Sociale.
Pour survivre dans ce fatras de réglementations, les complémentaires ont, au contraire, donné la preuve de capacités d’adaptations remarquables.
Pourquoi, plutôt que de continuer à vouloir imposer un système soviétiforme, ne pas libérer les énergies et donner à chacun la liberté de s’assurer au premier euro où et comme il le souhaite, un filet de sécurité étant bien évidement assuré pour les plus faibles… Et que les meilleurs gagnent.