La loi santé, qui est un texte crucial du mandat d’Emmanuel Macron parce qu’il devrait fortement modifier les conditions d’exercice de la médecine de ville, passe largement sous les “radars” de l’opinion publique. C’est une occasion manquée pour la majorité de donner une visibilité à son action. C’est aussi une façon commode de livre l’intérêt général au lobby médical et à la technostructure.
La loi santé prétend s’attaquer à plusieurs problèmes épineux. L’un d’entre eux, qui n’est pas des moindres, est la désertification médicale. Pour y parvenir, le gouvernement entend supprimer le numerus clausus et graver dans le marbre l’existence de 500 hôpitaux de proximité. L’autre sujet sensible est celui de la tarification à l’activité, qui produit d’importants effets inflationnistes sur la dépense de santé sans améliorer l’état sanitaire de la population.
La loi peut-elle encore porter l’intérêt général?
Dans ces objectifs d’intérêt général, on aurait pu imaginer que le “nouveau monde” proposé par Emmanuel Macron invente une gouvernance parlementaire en rupture avec les pratiques anciennes. Dans la pratique, la loi santé manifeste l’échec profond de ce renouvellement, et explique largement la déception des Français face à la nouvelle mandature.
Ainsi, cette loi a-t-elle été essentiellement conçue “en chambre”, par la technostructure du ministère de la santé. Lors de son audition par l’Assemblée Nationale, la ministre a d’ailleurs reconnu ce manque de concertation et annoncé que les discussions allaient commencer instamment.
Le débat parlementaire verrouillé par le lobby hospitalier
Pour encadrer le débat, LREM a choisi de placer à des fonctions stratégiques des personnalités dont l’objectivité ou l’impartialité peuvent être discutées. C’est le cas de Gaël Le Bohec, désigné rapporteur par la commission des affaires culturelles, mais aussi de Stéphanie Rist (co-rapporteuse désignée par la commission sociale), qui ont tous deux eu ou ont encore des intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques ou les hôpitaux eux-mêmes. Plus globalement, le débat devrait être dominé par le lobbys des médecins et des professionnels de santé très présent à l’Assemblée Nationale, et particulièrement à la commission sociale.
Comble de “lobbying”: le duo ministériel qui chapeaute cette loi, entre Agnès Buzyn et Frédérique Vidal (qui pilotera la fin du numerus clausus), est lui aussi composé de “gens du système”. Buzyn est praticienne hospitalière et Vidal est une universitaire généticienne. Si l’on ajoute que le rapporteur général de la commission n’est autre qu’Olivier Véran, lui aussi praticien hospitalier (neurologue), alors on comprend que ce texte devrait largement échapper aux profanes, et rester sous le contrôle permanent des “gens du système”.
Dérive progressive de la technocratie
Certes, il est utile que des professionnels soient associés à la préparation des lois. De ce point de vue, la présence de nombreux médecins ou acteurs de la santé à l’Assemblée Nationale peut être considérée comme une richesse. Toute la difficulté réside dans le dosage de cette présence et dans la maîtrise des conflits d’intérêt sous-jacents au mélange des genres.
Sur ce point, on peut s’interroger sur les garde-fous existant dans le débat à venir. La maîtrise des amendements échappera complètement au contrôle des profanes, et seuls des acteurs du système (entre les rapporteurs et les cabinets ministériels) pourront les coopter, les adouber ou les écarter. Il s’agit d’une anomalie dans notre processus démocratique.
S’agissant de la santé, on ne s’étonnera pas, au vu de ce mécanisme, la rupture soit consommée entre l’opinion publique qui s’intéresse à cette question avec la foi du charbonnier, et le gouvernement qui pratique une forme de cléricalisme du pouvoir, réservant la décision aux seuls initiés et cooptés.