Christine Lagarde va quitter le FMI pour la Banque Centrale Européenne (BCE). Cette nomination arrachée par Emmanuel Macron, constitue l’une des surprises qui ont conclu les laborieuses tractations européennes pour la présidence de la Commission. Dans la pratique, cette nomination en dit long sur la priorité absolue accordée par Emmanuel Macron au maintien d’une politique monétaire accommodante. Le Président français signe ici son aveu d’une absence totale d’ambition en matière de réforme des dépenses publiques. Surtout, il prolonge une vision « politique » de la BCE contraire aux traités.
L’ironie du sort a voulu que le jour même où le Conseil Européen se mettait d’accord pour pousser la candidature de Christine Lagarde à la tête de la Banque Centrale Européenne (après avoir dit en début d’année qu’elle n’était pas intéressée par un poste européen), la France empruntait à des taux historiquement bas, et même négatifs. Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, bien connu de Christine Lagarde, en concluait qu’il n’était donc pas absurde de revenir sur les baisses de dépenses publiques. Pourquoi faire des efforts alors que l’argent facile coule à flots?
L’argent facile, obsession d’une France endettée
Le rapprochement entre les deux événements éclaire les raisons pour lesquelles la France a misé sur la BCE plutôt que sur une présidence de la Commission d’emblée convoitée par l’Allemagne, alors même que Michel Barnier était soutenu par plusieurs pays d’Europe de l’Est. Emmanuel Macron a un besoin vital de conserver un approvisionnement en argent pas cher pour ne pas être obligé de pratiquer des réformes structurelles sur la scène intérieure.
Or la candidature de Jens Weidmann, agitée par l’Allemagne pour changer la donne à la BCE, ou celle d’un autre « faucon » hostile à la politique d’assouplissement monétaire et de taux d’intérêt bas, constituait une menace directe contre les intérêts français. Emmanuel Macron avait d’ailleurs ironisé sur le ralliement tardif et formel de Weidmann à l’assouplissement monétaire de Mario Draghi… suggérant qu’il n’était pas très sincère.
Dans la pratique, Emmanuel Macron avait besoin de sécuriser le maintien des taux d’intérêt bas pour continuer à mener une politique dispendieuse fondée sur le déficit et la dette.
Christine Lagarde, présidente de l’argent facile
Somme toute, Christine Lagarde est un choix judicieux pour mener cette grande œuvre monétaire.
D’une part, elle n’est pas banquière et ne l’a jamais été. Elle répond parfaitement aux critères tant adulés par les élites parisiennes de la personnalité choisie pour des raisons de prestige et de classe que pour des raisons de compétence. L’appartenance à la caste tient lieu de diplôme. Il y a peu de risques qu’elle mène une politique hostile aux intérêts des siens.
D’autre part, elle doit tout à Emmanuel Macron dans ce dossier, et devrait se montrer soucieuse des intérêts de celui qui l’a propulsée là. On peut même par avance rédiger le procès-verbal de la prochaine décision de la BCE: maintien des taux bas et de l’argent facile. La même rengaine devrait revenir pendant plusieurs trimestres.
Une évidente politisation de la BCE
D’une certaine façon, après le mandat de Mario Draghi qui a mené sans état d’âme une politique d’assouplissement dont le premier effet a été de faciliter le déficit budgétaire des Etats méditerranéens, le mandat de Christine Lagarde devrait confirmer cette subordination discrète de la banque centrale aux gouvernements dépensiers. Alors même que ce choix de taux bas éprouve durement les systèmes bancaires, dont le système allemand, et appauvrit progressivement les épargnants, au profit des bénéficiaires des aides sociales, la BCE devrait continuer à servir la soupe aux gouvernements qui se reposent sur la dépense publique pour assurer leur réélection.
On est donc très loin ici du mandat confié à la BCE par les traités: lutter contre l’inflation, et rien d’autre. De façon officieuse, la BCE s’est enrichie d’une obligation conventionnelle qui ne dit pas son nom: celle d’éviter les crises politiques trop aiguës en contraignant les Etats membres de la zone euro à l’orthodoxie budgétaire. Certains diront qu’il s’agit-là d’un mandat « anti-populiste », si l’on admet l’hypothèse (assez téméraire) selon laquelle le « populisme » se nourrit d’abord d’une contestation contre l’ordo-libéralisme.
Un choix dangereux dans la durée
Il n’en reste pas moins que ce choix pourrait se révéler très dangereux, pour trois raisons.
La première raison est qu’il encourage les Etats à s’endetter encore plus, et à ne pas se réformer. Dans le cas particulier de la France, cet encouragement est un véritable pousse-au-crime. Il est à rebours de la logique de Maastricht et nourrit les choix toxiques de certains gouvernements en matière publique, qui sont autant de facteurs de risques financiers nouveaux.
La deuxième raison est qu’il déstabilise à long terme la zone euro et ouvre les perspectives d’une crise monétaire grave. En Europe, en effet, les politiques budgétaires sont hétérogènes et la politique monétaire tient lieu de politique budgétaire expansionniste pour la moitié des Etats membres, dont la deuxième économie du continent. Pour la survie de la zone euro elle-même, ces déséquilibres pourraient constituer un puissant piège en cas de coup de tabac financier.
La troisième raison tient à l’absence de marge de manœuvre en cas de retournement conjoncturel. D’ordinaire, une baisse de taux permet de corriger les effets d’une crise financière en relançant la machine. On sait que l’Europe utilise désormais cette arme chaque jour par facilité. C’est une réponse possible de moins en cas de marasme.
Comme on le voit, Emmanuel Macron n’a guère de difficulté à sacrifier l’avenir pour sauver son présent.