Le projet de loi sur la réforme des retraites n'est pas encore déposé que, déjà, les syndicats des professions bénéficiaires d'un régime spécial commencent à se mobiliser. Dans un contexte de tension globale et à l'approche d'une probable récession, nous parions sur l'incapacité du gouvernement à faire passer son texte, et sur le report du projet à l'après-2020.
La réforme des retraites commence à susciter des remous syndicaux, même au plus fort de l’été. Pourtant, le gouvernement avait cru jouer fin en publiant les préconisations de Jean-Paul Delevoye sur le sujet au tout début de la trêve estivale. C’était la meilleure façon d’éviter une trop rapide montée en température. Malgré cette précaution, et avant même que la valeur du point ne soit dévoilée, la réaction syndicale s’organise, sans attendre la rentrée.
La réaction syndicale à la réforme des retraites
La réaction commence déjà à se faire sentir à la simple idée de supprimer les régimes spéciaux. Le 16 septembre, par exemple, le personnel d’Air France, pilotes de ligne compris, devrait manifester contre ce projet de réforme. Force Ouvrière et la CGT envisagent également des actions contre la réforme systémique elle-même. La CGT a annoncé une journée d’action le 24 septembre. Sud Rail a annoncé une manifestation le même jour. Il est assez rare qu’avant même une rentrée sociale la mobilisation soit aussi forte.
Tout laisse à penser qu’il ne s’agit que d’un début. Tant que le gouvernement n’a pas dévoilé la valeur du point, un état d’esprit général d’attentisme devrait demeurer dans le pays. Mais dès lors que les assurés sociaux pourront comparer la formule actuelle avec la formule future, le réveil collectif risque d’être douloureux. On pense tout particulièrement aux fonctionnaires qui devraient, si la réforme est réellement équitable, être les perdants du système.
En l’état, la mayonnaise syndicale prend vite et présage d’une reprise agitée.
Un contexte social lourd de menaces
Le gouvernement pourrait avoir la tentation d’un passage en force, en ignorant la réaction syndicale dont la légitimité est de toute façon contestée dans le pays. Son problème tient plutôt au mauvais état d’esprit ambiant. L’effervescence sur les réseaux sociaux après l’uppercut de Poutine à Macron concernant la violence policière lors du mouvement des Gilets Jaunes l’a montré: beaucoup, dans l’opinion publique, sont encore prêts à en découdre contre le pouvoir, et le mouvement risque d’être d’autant plus violent à la rentrée que Macron a pris le risque de « balader » les Gilets Jaunes sans leur répondre au printemps.
Le Président lui-même ne l’ignore pas complètement. Il est parti en vacances en annonçant à ses ministres que le feu n’était pas éteint et même qu’il couvait toujours.
Dans ce contexte difficile, avancer sur le sujet des retraites serait une prise de risque majeure pour le gouvernement, et une façon dangereuse de liguer contre lui tous ceux qui lui sont restés fidèles pendant la crise des Gilets Jaunes. On voit mal Emmanuel Macron commettre une telle erreur tactique.
L’approche d’une récession devrait paralyser la décision politique
En outre, les annonces économiques récentes montrent une vraie tension systémique mondiale. Nous l’expliquions hier, les craintes de récession apparaissent partout, y compris en Allemagne, dont le tissu économique apparaît de plus en plus à contrecourant des aspirations collectives. Selon toute vraisemblance, la croissance devrait rester stable en France, si aucun krach ne survient d’ici à la fin de l’année, autour de 1,2% pour 2019. Mais la projection pour 2020 reste incertaine.
En cas de net refroidissement économique, une annonce de baisse des retraites pourrait avoir des effets désastreux, surtout si elle est « rehaussée » par un contexte social difficile.
Là encore, tout indique que le gouvernement choisira de surseoir par précaution.
Comment abandonner sans en avoir l’air?
Dans la pratique, la position du gouvernement risque d’être très délicate sur le sujet au tournant de l’automne. Comme nous venons de le voir, la présentation de la réforme a toutes les chances de tourner à l’exercice d’équilibrisme. Parallèlement, le gouvernement a renoncé à présenter des mesures d’économie pour 2020 au PLFSS.
Un phénomène de ciseaux risque donc de se produire. D’une part, au vu du contexte politique, le gouvernement devrait annoncer qu’il surseoit à la réforme et la reporte à l’après 2020. D’autre part, il risque de devoir, courant 2020, prendre des mesures d’urgence pour limiter le déficit du régime vieillesse, aggravé par la récession économique.
La fin de 2019 devrait être chahutée. 2020 pourrait être chaotique.
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