Finalement, ce sera Sylvie Goulard, et non Florence Parly, qui sera nommée à Bruxelles, ce qui évite à Emmanuel Macron la peine de pratiquer un remaniement ministériel. La nomination, qui n’est pas une surprise complète (car le nom de Sylvie Goulard avait été cité à plusieurs reprises pour le poste) montre toute l’influence de ce qu’on peut appeler le « gouvernement profond » sur la conduite des affaires. Extrêmement atlantiste et favorable à une politique économique intégrée au niveau européen, Sylvie Goulard porte la vision transnationale d’un monde gouverné par des élites qui marque tant l’esprit de la technostructure française. On en signalera ici quelques contours.
L’annonce de Sylvie Goulard à la Commission Européenne comme commissaire française soulève des polémiques. Cette éminente membre du MODEM, ancienne élève de l’ENA et soutien de la première heure d’Emmanuel Macron, est en effet impliquée dans une scandale financier… européen! celui des emplois fictifs du MODEM. L’opération consistait alors, comme cela est reproché au Front National, à faire financer des permanents du parti en France par le Parlement européen.
Pourquoi Emmanuel Macron prend-il le risque de nuire sévèrement à l’image de la France en dépêchant à Bruxelles une personnalité aussi fragilisée sur la scène européenne?
Macron et Goulard, une vieille histoire d’amour
Les relations entre Emmanuel Macron et Sylvie Goulard n’ont pas commencé avec la campagne présidentielle du premier. De longue date, les deux personnalités naviguent dans les mêmes eaux. Il est désormais de notoriété publique que cette partisane du fédéralisme européen a bénéficié, entre 2013 et 2016, d’une jolie rémunération mensuelle de 10.000 euros, émanant de l’institut Berggruen, du nom d’un milliardaire américain qui finance des recherches sur la gouvernance. Or… il se trouve que, parmi les Français qui s’agitent dans les généreuses allées de cet institut, on trouve des personnalités comme Alain Minc ou Pascal Lamy.
On se souvient ici qu’Alain Minc fut l’un des premiers à croire à la candidature d’Emmanuel Macron. On se souvient aussi qu’Alain Minc utilisait Emmanuel Macron alors banquier pour tenter de racheter le Monde (finalement acquis par le trio Bergé, Niel et Pigasse). Il se trouvait que l’acheteur rival du trio, pour le compte de qui Minc travaillait, n’était autre que… Berggruen, propriétaire du Pais, en Espagne. Le monde est décidément petit.
Faut-il ajouter que Le Monde est détenu à 15% par Berggruen? Oui, car ce point de détail explique probablement l’étrange silence du quotidien donneur de leçon sur cette affaire.
Atlantiste et européenne, c’est possible?
Le parcours de Sylvie Goulard est celui d’un brillant élément des élites françaises, qui éclaire assez bien la pensée dominante dans le gouvernement profond.
D’une part, Goulard a connu un engagement européen fort dès sa sortie de l’ENA, qui l’a conduit à participer au cabinet de Romano Prodi alors président de la Commission. Dans ce cadre, elle a créé le groupe Spinelli, en 2010, qui ressemble à une sorte de puissant réseau regroupant des Européens fédéralistes. Elle y côtoyait Jacques Delors, Daniel Cohn-Bendit, mais aussi Amartya Sen, l’économiste indien, et Élie Barnavi, l’ambassadeur d’Israël bien connu.
On notera la présence, dans ce groupe, d’autres personnalités comme Sandro Gozi, l’Italien ancien adhérent du MSI, le mouvement fasciste italien, rallié à la cause de la social-démocratie et candidat aux Européennes sur la liste En Marche.
D’autre part, Sylvie Goulard, notamment par son passage à l’institut Berggruen, apparaît comme un soutien inconditionnel à la relation historique avec les États-Unis et à la détestation de la Russie dont Emmanuel Macron commence à mesurer les limites. Selon Le Point, c’est précisément la ligne anti-russe de Macron qui a décidé très tôt Sylvie Goulard à le suivre et à la soutenir. On comprend mieux ici en quoi une ligne atlantiste peut se concilier avec du fédéralisme européen.
La démocratie élitaire, marque de fabrique du gouvernement profond
La participation active et lucrative de Sylvie Goulard à l’institut Berggruen est devenue une sorte de lieu commun de la presse aujourd’hui. Mais peu de journalistes s’intéressent à l’idéologie elle-même véhiculée par ce think tank.
Deux points les caractérisent pourtant.
L’institut s’intéresse par exemple à l’impact des bio-technologies sur la définition de l’humain. Cet aspect est confié à un certain Tobias Rees, auteur d’un ouvrage intitulé After Ethnos. On commence à tout le monde de consacrer un peu de temps aux réflexions de ce scientifique sur la disparition de l’humain et des sciences humaines dans les années à venir.
Surtout, la pensée de Berggruen lui-même mérite qu’on s’y arrête. Le milliardaire américain a défendu une « troisième voie », entre le capitalisme et le communisme chinois, dans un ouvrage paru chez Fayard en 2013, qui propose notamment ceci:
Une forme hybride de gouvernance, avec une élite qui gouverne et le peuple réduit au droit de vote, ce ne serait pas la définition du gouvernement profond?
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