Generali prend directement la communication des assureurs, dont nous avons pointĂ© rĂ©gulièrement le caractère dĂ©sastreux ces dernières semaines et qui leur a valu de sĂ©vères dĂ©convenues dans le jeu politique. DĂ©jĂ , la semaine dernière, le directeur gĂ©nĂ©ral de Generali, et vice-prĂ©sident de la FFA, Ă©tait intervenu dans la presse pour exprimer ses rĂ©serves sur le concours LĂ©pine qui fait rage en matière d’investissement auprès des entreprises. Aujourd’hui, il prend l’initiative d’une tribune bien sentie dans les Échos. Il pourrait apporter une bouffĂ©e d’oxygène Ă une profession dans le collimateur depuis deux mois.
Generali, et son directeur gĂ©nĂ©ral Jean-Laurent Granier, au demeurant ancien d’Axa, est dĂ©sormais en première ligne pour tenter de sauver ce qui peut encore l’ĂŞtre dans une profession que beaucoup, dans la sociĂ©tĂ© civile comme parmi la classe politique, ont identifiĂ© comme un mouton idĂ©al Ă tondre sans limite pour financer les dettes que l’État creuse activement. Il vient de produire une importante tribune dans les Échos.Â
Saint-Generali, patron des assureurs
De façon très significative, Jean-Laurent Granier n’a pas signĂ© sa tribune de son titre de vice-prĂ©sident de la FFA, mais bien de celui de prĂ©sident de la FFSAA, FĂ©dĂ©ration française des sociĂ©tĂ©s anonymes d’assurances, le canal historique de la FĂ©dĂ©ration. La nuance n’est pas complètement neutre.Â
Dans ce texte intĂ©ressant par les profondeurs de champ qu’il dĂ©gage, l’ancien d’Axa passĂ© chez Generali après le dĂ©part d’Éric Lombard pour la Caisse des DĂ©pĂ´ts propose de moderniser la conception mĂŞme de l’assurance, en tirant les leçons des grandes Ă©volutions de nos sociĂ©tĂ©s contemporaines : penser autrement l’assurance climatique, mais aussi le vieillissement et le besoin de sĂ©curitĂ© sanitaire.
Le texte reste très Ă©vasif sur les contenus Ă donner Ă ces rĂ©orientations, mais il a au moins le mĂ©rite de donner du sens et des directions. L’objectif est clair : reprendre la main sur des dĂ©bats oĂą les assureurs n’ont Ă ce stade dĂ©gagĂ© aucune vision et oĂą ils se cornĂ©risent tout seuls dans des postures qui ont sans doute du sens dans l’entre-soi sclĂ©rosĂ© du boulevard Haussmann, mais qui produisent des rĂ©sultats calamiteux dans la France du XXIè siècle.Â
Seuls les assureurs - en tant que secteur professionnel privé - ont contribué, aux côtés des régions, au fonds de solidarité gouvernemental destiné aux professionnels et TPE. Les assureurs sont là pour sécuriser, accompagner et investir dans la relance. Les assureurs français se sont engagés à mettre en place un programme d'investissement de 1,5 milliard d'euros pour soutenir la reprise économique et, notamment, les ETI, les PME, les secteurs de la santé et du tourisme.
Jean-Laurent Granier, les Échos Tweet
Granier ne secoue pas encore le cocotier
Ces premièrs bases, nous venons de le dire, ont le mĂ©rite de sortir de l’ornière oĂą la FFA a maladroitement enfoncĂ© le dĂ©bat sur la fonction assurantielle dans la sociĂ©tĂ© d’aujourd’hui. Reste maintenant Ă aborder les questions de fond Ă©numĂ©rĂ©es par Jean-Laurent Granier. Â
On notera que le directeur gĂ©nĂ©ral de Generali se fait l’apĂ´tre d’une complĂ©mentaritĂ© entre assurance privĂ©e et intervention de l’État. Il se fait aussi l’apĂ´tre d’une “coordination europĂ©enne” : “Le groupe Generali soutient l’idĂ©e d’une coordination europĂ©enne avec une approche en partenariat public-privĂ© dans lequel les assureurs peuvent apporter leur rĂ´le d’expert en prĂ©vention et rĂ©silience”, conclut-il. On mesure ici la sensibilitĂ© du dĂ©bat : les assureurs privĂ©s sont-ils aujourd’hui porteurs d’une vision libĂ©rale de la sociĂ©tĂ© oĂą l’assurance se considère comme porteuse de risques plus lĂ©gitime que l’État ? Ou bien prĂ©fère-t-elle un modèle “politique” oĂą elle reste Ă©troitement dĂ©pendante des pouvoirs publics ?Â
Granier a tranchĂ©, mais on peut s’interroger sur la pertinence de ce choix.Â
La dĂ©pendance Ă l’État est-elle obsolète ou incontournable ?
La difficultĂ© qui s’Ă©lève ici est de penser une assurance “privĂ©e”, c’est-Ă -dire sans intervention rĂ©assurantielle de l’État face aux grands dĂ©fis du siècle que nous avons dĂ©jĂ bien entamĂ©. On connaĂ®t l’argument historique des actuaires sur l’impossibilitĂ© d’assurer le risque en situation de covariance : une pandĂ©mie, une guerre, une crise Ă©conomique, une catastrophe naturelle ne sont pas assurables puisque ces phĂ©nomènes touchent tous les assurĂ©s en mĂŞme temps. Or l’assurance ne peut assurer que des risques alĂ©atoires et non des risques certains ou quasi-certains. Â
Cette vieille règle statistique a servi de rĂ©ponse systĂ©mique Ă toutes les constructions de notre jeunesse, oĂą les assureurs se regroupaient en pĂ´le de co-assurance, et signaient un traitĂ© de rĂ©assurance avec l’État. Ce schĂ©ma, qui utilise l’intermĂ©diation de l’État dans le rapport final avec l’assurĂ© (qui se confond dès lors avec le contribuable), prĂ©sente l’inconvĂ©nient d’enchaĂ®ner l’initiative individuelle dans un Ă©cheveau plus ou moins rigide de dĂ©cisions publiques dont la pertinence est parfois contestable. Â
Le troisième pilier est celui de la transition sanitaire et sécuritaire. Nous sommes en mesure de modéliser les risques pandémiques comme nous avons modélisé ceux liés aux accidents climatiques. Nous devons aujourd'hui définir un régime qui puisse parer aux grandes catastrophes extérieures : fermeture administrative à la suite d'une pandémie, à des émeutes ou encore pour prévenir les effets d'une catastrophe environnementale, dans un véritable partenariat public-privé compte tenu des impacts et des sommes en jeu.
Jean-Laurent Granier, les Échos Tweet
Le XXIè siècle sera assurantiel ou ne sera pas
Sur le fond, Granier a raison de soulever la question globale de l’avenir de l’assurance dans un monde oĂą des phĂ©nomènes Ă©mergents au vingtième siècle, donc inconnus des consignataires qui créèrent l’assurance maritime Ă la Renaissance, seront la loi commune dans notre siècle. Quelle que soit l’origine qu’on puisse attribuer au changement climatique, il est dĂ©sormais Ă©vident que nous avons dĂ©passĂ© un optimum Ă la fin du vingtième siècle, et que nous entrons dans un univers oĂą les dĂ©sordres environnementaux vont intensifier les risques de toutes sortes.Â
L’intensification du risque nourrira forcĂ©ment, dans la population, le besoin (et elle le nourrit dĂ©jĂ ) d’ĂŞtre toujours mieux assurĂ© contre les alĂ©as de la vie. Mais cette tendance structurelle condamne-t-elle dĂ©sormais le principe de l’assurance au sens oĂą nous l’entendons depuis plusieurs siècles ? Autrement dit, l’histoire des dĂ©sordres climatiques qui s’ouvre condamne-t-elle tout concurrent Ă l’État en matière d’assurance ?Â
Si l’on suit les dirigeants actuels de l’assurance, la rĂ©ponse est oui. Mais cette rĂ©ponse est affaiblie par le fait que ces dirigeants appartiennent tous (Ă part quelques exceptions) Ă un monde ancien. Â
Faut-il un Mark Zuckerberg de l’assurance ?
Le paradigme Ă©tatique auquel les assureurs français se rĂ©fèrent tranche singulièrement avec les possibilitĂ©s offertes par la culture collaborative que permet Internet et ses rĂ©seaux sociaux. Il est vrai que, pour les Ă©lites françaises, les rĂ©seaux sociaux se limitent trop souvent Ă poster ses photos de vacances Ă destination de quelques inconnus. Prise d’un autre point de vue, Internet facilite singulièrement l’intermĂ©diation qui est au coeur de ce que fut l’assurance.Â
Qu’il s’agisse de la Lloyd ou des mutuelles du dix-neuvième siècle, Internet dĂ©mocratise et facilite l’affectio societatis qui est Ă la base de l’assurance. Il semble dommage de ne pas en profiter, et de choisir le moment de cette rĂ©volution technologique pour s’en remettre Ă l’État comme intermĂ©diateur. Mais il faudrait peut-ĂŞtre un Zuckerberg pour oser inverser le paradigme.Â