Officiellement, la hausse d’impôts n’est pas pour demain, puisque le Président de la République l’a dit dans le poste. Sauf que… c’est quand même un peu plus compliqué que cela. En lisant la réponse de Bercy au rapport de la Cour des Comptes sur la nouvelle trajectoire de finances publiques à l’issue du désastre du confinement, on comprend entre les lignes que la porte est désormais ouverte à une augmentation de la pression fiscale.
Qui n’a pas entendu parler de l’apocalyptique rapport de la Cour des Comptes sur l’évolution des finances publiques, publié hier ? La Cour y projette une dette à des niveaux historiques, et s’interroge sur la meilleure façon de la réduire. Si le contenu du rapport mérite de nombreuses analyses et citations, on retiendra plus subtilement les observations portées par les ministres des Finances et du Budget, les Dupont de Bercy, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire. Lues entre les lignes, elles annoncent sans ambiguïté la mise sur le métier de hausses d’impôts.
La Cour des Comptes fait de l’économie fiction
Comme nous le montrons ci-contre, la Cour des Comptes s’est interrogée sur les perspectives d’endettement dans les années à venir. Pour construire ses hypothèses, elle a dégagé une stochastique autour de trois scénarios: l’un de reprise en “v”, c’est-à-dire rapide, dans lequel plus personne ne croit, l’un de scénario en “u”, c’est-à-dire de reprise lente, et l’un de “faiblesse persistante”, que nous croyons trop optimiste, mais qui commence à ressembler à l’hypothèse du scénario en “l” bâti par Nouriel Roubini, que nous évoquons depuis plusieurs semaines.
Selon ces scénarios, la pente naturelle de la dette oscillerait de 100% du PIB en 2030 à plus de 140%…
Cette panoplie de scénarios est intéressante dans la mesure où elle montre deux choses essentielles. La première est que, dans l’hypothèse d’un ralentissement durable de l’économie (scénario que nous privilégions de longue date), l’endettement du pays sera durable et nécessitera une vraie réflexion sur notre stratégie en matière de finances publiques. L’autre chose essentielle est que, même en cas de reprise rapide, il faudra dix ans pour revenir à un niveau d’endettement égal à celui du début du confinement.
Autrement dit, il n’y aura pas d’assainissement “naturel” des finances publiques. Dans tous les cas, il faudra faire des efforts.
Moscovici donne un coup de pied d’âne à Macron
Au passage, on notera quelques remarques désagréables mais bien senties du rapport personnellement (comme il se doit) relu par Pierre Moscovici à l’adresse d’Emmanuel Macron. La conclusion de la synthèse commence d’ailleurs par ces mots : “La France a abordé la crise sanitaire avec des finances publiques dont le redressement était inachevé. Son déficit a été réduit au cours de la décennie 2010 mais en se maintenant à un niveau significatif . Sa dette publique, qui avait déjà beaucoup augmenté lors de la crise économique et financière de la fin des années 2000, n’a jamais été diminuée.” Voilà un petit rappel de la gabegie socialiste qui englobe sous la même cloche l’ère Hollande-Moscovici et l’ère Macron. Au cas où ce dernier aurait eu envie de s’exonérer des dérives hollandaises…
C’est aussi le bienfait (et le seul) de la nomination de Moscovici à la Cour : il est LA personnalité légitime pour mettre Macron et Hollande dans le même bateau du laxisme budgétaire.
Comment sortir de l’hyper-endettement ?
À la différence de l’époque bénie où Didier Migaud dirigeait la Cour, le rapport de la Cour des Comptes n’invite pas le gouvernement à réduire les dépenses publiques pour retrouver les équilibres budgétaires. Il ouvre délibérément plusieurs hypothèses : soit réduire les dépenses, soit augmenter les recettes (donc les impôts), soit relancer l’inflation.
L’hypothèse de l’inflation mérite d’être longtemps méditée, car elle en dit long sur un certain état d’esprit qui domine en arrière-fond dans les élites parisiennes, et qui pourrait déterminer la politique économique des mois à venir : et si on relançait l’inflation pour réduire le poids de la dette ? Tenons-nous le pour dit. Les épargnants doivent comprendre qu’une partie des élites parisiennes considère que l’inflation constituerait la réponse adaptée au problème que nous traversons.
Bercy commence à parler de hausse d’impôts
Il n’en fallait pas plus pour réveiller la bête bercyenne : si un président de Cour des Comptes n’écrit pas qu’il faut baisser les dépenses publiques, l’animal bercyen comprend immédiatement qu’il faut augmenter les impôts. D’où cette réponse des ministres de Bercy, en page 166 du rapport, que nous citons ci-contre, qui examine toutes les possibilités de sortir du surendettement français : baisse des dépenses, hausse de recettes (chic ! on a le droit de l’écrire maintenant), différenciation de l’effort (ce qui signifie en français contemporain que certaines dépenses pourraient déraper sans dommage), meilleures articulation d’objectifs, etc.
Tout ce charabia techno sert à une seule chose : relégitimer l’hypothèse d’une hausse d’impôt, hypothèse parmi d’autres, mais qui était devenue taboue depuis le “ras-le-bol” fiscal. Cette hypothèse a désormais retrouvé ses lettres de noblesse.
La préparation à une hausse des impôts commence
On comprend l’idée sous-jacente. La Cour des Comptes alerte sur l’état des finances publiques, mais s’abstient de dire qu’il faut baisser les dépenses. Elle dit juste que la dette doit rester “soutenable”, mot désuet qui revient au goût du jour sous l’effet des cataclysmes en cours. Et pour rester soutenable, plusieurs pistes peuvent exister ou co-exister, comme une percée de la fiscalité. Bercy saisit la balle au bond : personne ne dit, à ce stade, qu’il faut augmenter les impôts. En phase préparatoire, on se contente de dire que cette hypothèse, interdite depuis plusieurs années, est désormais revenue en grâce.
Quand nous étions enfant, nous appelions cela une “solution téléphonée”. La hausse d’impôts est désormais une solution téléphonée dans les allées du pouvoir.