En droit du travail, l’application inexacte de la convention collective peut facilement se retourner contre l’employeur. Le moindre Ă©cart dans l’application d’un texte peut ĂŞtre utilisĂ© par le salariĂ© dans un litige (lĂ©gitime ou non). Mais parfois, le plaignant est pris Ă son propre jeu. C’est justement ce qui s’est passĂ© dans une affaire impliquant une salariĂ©e relevant du secteur la prĂ©vention et sĂ©curitĂ©. Elle conteste la bonne application de l’accord de branche sur les congĂ©s.

par Léo Guittet
Docteur en droit à Tripalio et spécialiste des conventions collectives
L’affaire traitĂ©e par la Cour de cassation dans sa dĂ©cision rendue le 3 juin dernier est plutĂ´t simple. Une salariĂ©e employĂ©e en tant qu’agent de sĂ»retĂ© par l’entreprise Arcosur saisit les prud’hommes pour rĂ©clamer des dommages-intĂ©rĂŞts pour violation des mesures conventionnelles relatives aux congĂ©s dominicaux. La convention collective de la prĂ©vention et sĂ©curitĂ© prĂ©cise (Ă son article 7.01, alinĂ©a 4) que les salariĂ©s Ă temps plein doivent avoir au moins 2 dimanches par mois de repos en moyenne sur une pĂ©riode de 3 mois (soit 6 dimanches rĂ©partis sur 3 mois). Ces dimanches de repos doivent obligatoirement ĂŞtre accolĂ©s Ă un samedi ou Ă un lundi de repos.Â
La salariĂ©e produit alors ses plannings rĂ©capitulant ses repos hebdomadaires et ses congĂ©s payĂ©s Ă l’appui de sa demande. Si la cour d’appel donne raison Ă la salariĂ©e, la solution de la Cour de cassation anĂ©antit le raisonnement suivi en se rattachant strictement Ă la convention collective.
Le juge doit se rattacher strictement aux mesures “congĂ©s” de la convention
La cour d’appel donne d’abord raison Ă la salariĂ©e. Elle part du nombre de week-ends qui doivent ĂŞtre donnĂ©s aux salariĂ©s relevant de la convention de la prĂ©vention et sĂ©curitĂ©, par trimestre. Au total, un salariĂ© Ă temps plein Ă droit Ă 6 week-ends par trimestre. Mais le juge ne s’arrĂŞte pas en si bon chemin, c’est lĂ qu’est son erreur. Il va plus loin que ce que prĂ©voit le texte conventionnel et dĂ©duit que la salariĂ©e Ă l’origine de la demande Ă le droit Ă un minimum de 24 dimanches de repos par an. Cela peut paraĂ®tre logique, sauf que cela va bien au-delĂ des dispositions conventionnelles. C’est Ă croire que le juge d’appel voulait condamner l’entreprise quoi qu’il en coĂ»te…
En suivant ce raisonnement de dĂ©compte annuel de congĂ©s dominicaux, le juge d’appel compte finalement 53 dimanches non attribuĂ©s Ă la salariĂ©e pendant toute la durĂ©e de sa prĂ©sence dans l’entreprise.
C’est lĂ que la Cour de cassation intervient et rappelle au juge d’appel et Ă la salariĂ©e que la convention doit ĂŞtre suivie Ă la lettre. La salariĂ©e qui voulait faire condamner son employeur est alors prise Ă son propre jeu (comme dans cette autre affaire). La Cour prĂ©cise ainsi que les congĂ©s hebdomadaires dans la convention de la prĂ©vention doivent ĂŞtre Ă©valuĂ©s par pĂ©riode trimestrielle et non sur une annĂ©e civile. En condamnant l’entreprise, la cour d’appel a violĂ© le texte conventionnel car elle a créé de toute pièce l’obligation de respecter un contingent annuel de dimanches de repos Ă respecter. L’entreprise n’est donc pas condamnĂ©e et c’est une nouvelle dĂ©cision de justice qui devra dire si les congĂ©s trimestriels dus Ă la salariĂ©e ont Ă©tĂ© respectĂ©s.
Pour condamner l’employeur [...], l’arrêt retient que la salariée devait bénéficier a minima obligatoirement de vingt-quatre dimanches de repos sur l’année et en moyenne de six week-ends par trimestre [...], et il en ressort qu’elle n’a pu prendre cinquante-trois dimanches de repos auxquels elle avait droit, ceci lui ouvrant droit en conséquence à des dommages-intérêts ; Qu'en statuant ainsi, alors qu’en application des dispositions conventionnelles le repos hebdomadaire dont bénéficie le salarié doit être apprécié sur une période de trois mois sans qu’il en résulte l’existence d’un contingent annuel de dimanches de repos, la cour d’appel a violé le texte susvisé
Arrêt n° 426 du 3 juin 2020 - Cour de cassation - Chambre sociale Tweet
Cette solution montre que mĂŞme les juges ont du mal Ă bien appliquer les conventions collectives !
On comprend pourquoi les chefs d’entreprise se trouvent souvent piĂ©gĂ©s par des mesures alambiquĂ©es. L’exemple des congĂ©s dominicaux dans la convention de la prĂ©vention et sĂ©curitĂ© est typique. Pour ne pas risquer d’ĂŞtre pris en dĂ©faut par ses salariĂ©s, il faut que le chef d’entreprise justifie qu’il a bien donnĂ© 2 dimanches par mois en moyenne sur n’importe quelle pĂ©riode de 3 mois. Plus facile Ă dire qu’Ă faire, comme souvent quand on parle de toutes les procĂ©dures liĂ©es au droit du travail…