L’annonce de la probable vente d’Aviva France par sa maison-mère a soulevé de nombreuses inquiétudes cet été. Elle oblige en particulier les souscripteurs d’un contrat d’assurance-vie à l’AFER d’envisager un transfert de portefeuilles dont personne ne sait sur quoi il débouchera. Si cette opération est relativement classique, elle pose la question de l’avenir de l’assurance-vie à la française, mise en difficulté par les taux négatifs de la BCE… et par les troubles sur les marchés financiers. L’année qui s’ouvre devrait chahuter le marché.
La directrice générale d’Aviva Monde, Amanda Blanc, a mis les mots sur ce que beaucoup de salariés d’Aviva France craignaient depuis longtemps : la probable cession de la filiale française. L’assureur britannique entend se “recentrer” sur le monde anglo-saxon, ce qui se traduira sans doute par un transfert des portefeuilles français, voire une vente complète de l’entité où l’ambiance était morose depuis plusieurs mois. Si Aviva est, en France, un acteur de second plan, sa place dans l’assurance-vie est en revanche importante, puisque le groupe britannique porte le risque des près de 800.000 contrats de l’AFER.
La vente d’Aviva est un excellent test pour l’assurance-vie à la française
Incontestablement, la cession d’Aviva France sera un test pour l’attractivité de l’assurance-vie à la française. Avec le portefeuille de l’AFER, qu’Aviva assure depuis l’origine de l’association, la filiale française de l’assureur britannique dispose d’un joyau essentiel. Près de 800.000 épargnants ont apporté tout ou partie de leurs économies à ce système associatif qui devrait susciter un puissant intérêt pour d’éventuels acquéreurs.
Toute la question sera de savoir si ces acquéreurs (on parle notamment de fonds d’investissement…) souhaiteront récupérer la totalité de l’activité d’Aviva France dans leur escarcelle, ou seulement quelques perles, comme l’assurance-vie. Et toute la question sera de savoir à quel prix. La valorisation de ces activités donnera une bonne indication de l’attractivité du marché français et des perspectives que les investisseurs imaginent encore en France.
En ces temps de taux négatifs, de perturbations boursières et de boulimie fiscale de l’État, la question promet d’être intéressante.
"là où nous ne pouvons pas atteindre nos objectifs stratégiques, nous prendrons des mesures décisives et nous retirerons des capitaux"
Amanda Blanc, Aviva Tweet
L’assurance-vie en euros a-t-elle un avenir ?
La cession du portefeuille de l’AFER sera emblématique de la question plus générale de l’assurance-vie en euros, le placement chouchou des épargnants français qui bénéficie de mesures fiscales favorables. Or l’on sait que depuis l’adoption de taux négatifs par la Banque Centrale Européenne, la rémunération de ces contrats est de plus en plus difficile.
Pour alléger la contrainte, les assureurs ont même obtenu une mesure favorable en début d’année, très technique mais fondamentale : l’allègement par Bercy des règles prudentielles qui obligent les assureurs-vie à constituer d’importantes réserves en contrepartie de leurs engagements. Nous avons eu à l’époque l’occasion de dire combien cette solution, qui consiste à faire passer les placements des clients pour des fonds propres des compagnies, était fragile juridiquement.
Mais cette solution est loin de régler les problèmes : les rémunérations des contrats en 2020 ne devraient guère être plus favorables qu’en 2019. Et l’assurance-vie pourrait continuer son mouvement de décollecte.
Le faible espoir des placements en actions
Depuis de nombreuses années, Bercy lorgne avec insistance sur les en-cours de l’assurance-vie (bon an mal an entre 1.500 et 2.000 milliards) et rêve de les mettre “au service de l’économie”. Chacun sait que cette expression signifie en réalité : les mettre au service de l’État.
Pour ce faire, plusieurs solutions ont été réglementées, visant toutes à orienter les contrats d’assurance-vie vers le marché des actions ou des obligations. Cette débauche d’énergie a jusqu’ici peiné à convaincre les épargnants, qui savent combien la bourse est risquée. Et les performances du CAC 40 cet été, les turbulences du mois de mars, les craintes pour la reprise économique, ne devraient guère changer la donne. En dehors des quelques gogos qui se laissent piéger par les discours officiels sur l’avenir radieux des marchés financiers proférés par des investisseurs aux intérêts bien compris, peu de Français sont prêts à parier les efforts de toute une vie sur ce qui ressemble de plus en plus à une table de poker.
Donc, les “unités de compte” de l’assurance-vie ne devraient guère constituer un substitut durable aux placements en euros, qui sont en pleine agonie.
Ces projets portent surtout le vice de taxer l’épargne et non pas les gains de cette épargne. Ils sont punitifs. Ils reviennent à dire : « Je vous taxe, je vous sanctionne, car vous épargnez ! » Peut-être qu’au fond d’eux-mêmes nos députés ont le sentiment que l’épargne, après tout, serait une faute…
Gérard Bekerman, président de l'AFER Tweet
Un petit coup de fiscalité pour achever tout ça ?
Nous l’avons régulièrement répété ces derniers mois, les avantages fiscaux de l’assurance-vie suscitent de nombreuses passions, de nombreux débats, et de nombreuses imaginations taxatrices. Beaucoup rêvent de tailler dans les avantages de ce produit d’épargne très populaire… mais aussi très attractif pour es “gros contrats”. On pense ici aux contrats supérieurs à 150.000 € qui échappent à la fiscalité des successions.
À plusieurs reprises, des élus sont revenus ces derniers mois sur l’intérêt qu’il y aurait à “redistribuer les richesses“. Ces projets ont suscité une certaine résignation chez les assureurs. On notera que, dans l’Opinion, Gérard Bekerman, président de l’AFER, a bataillé contre cette idée. Il est bien l’un des rares assureurs à avoir mouillé publiquement la chemise pour éviter ce désastre.
Il est vrai que les compagnies d’assurance comme la CNP ou Axa, qui sont des géants de l’assurance-vie, disposent d’une arme plus puissante pour contrer les fièvres fiscales. Les assureurs sont de grands acheteurs de dette souveraine. Une décrue de l’assurance-vie réduirait la capacité de l’État à s’endetter. Par les temps qui courent, l’argument est de taille.
Vers une diversification à l’allemande ?
Il n’en reste pas moins que Bercy ne dirait pas non à une métamorphose à l’allemande. On se souvient que les réformes Schröder ont poussé l’Allemagne à refiscaliser l’assurance-vie individuelle pour favoriser l’épargne retraite collective, notamment d’entreprise, qui s’est trouvée encouragée fiscalement.
Cette tendance est latente en France depuis plusieurs années (on a compris qu’elle se heurtait à la contrainte de financement de l’État, et ne pouvait être brutale sauf à réduire les déficits publics…). La loi Pacte portée par Bruno Le Maire a ainsi favorisé les produits d’épargne retraite en entreprise. On évoque la création de véhicules d’épargne à la main de la BPI pour financer des entreprises.
Selon toute vraisemblance, l’assurance-vie devrait donc subir la concurrence de nouveaux produits bancaires. Reste une problématique fondamentale : les placements en euros sont peu rémunérateurs, mais sûrs. Les placements en actions peuvent être rémunérateurs… ou ruineux. Et cette part-là de risque est un vrai repoussoir pour ceux qui veulent assurer leurs vieux jours.
Les semaines qui viennent ne manqueront pas d’intérêt sur ces sujets.