La Haute Autorité de Santé vient d’autoriser tardivement les tests salivaires pour dépister le COVID 19, après une longue bataille d’arrière-garde. Une fois de plus, la décision est rendue dans des conditions très opaques. Il a fallu plus d’un mois pour que la Haute Autorité autorise cette technique après un avis favorable rendu le 7 août par les experts. Il avait fallu beaucoup moins de temps pour interdire l’hydroxychloroquine. Quelques éléments permettent de deviner à qui cette autorisation à contre-coeur pourrait finalement profiter. On est néanmoins loin de tout savoir.
La décision par laquelle la Haute Autorité de Santé (HAS) a autorisé les tests salivaires a été publiée il y a quatre jours, au terme d’une processus d’autorisation marqué par une lenteur qui intrigue. Alors que le collège compétent de l’autorité avait rendu un avis favorable le 7 août, en pleine reprise de l’épidémie, il a fallu plus d’un mois pour que l’Autorité elle-même autorise cette technique de test, et encore… en la limitant aux cas symptomatiques. Certains pourraient y voir une jolie manière de protéger les tests PCR dont les dysfonctionnements mettent à mal la stratégie française de tests.
Des tests salivaires trop tardifs ?
Toute la question est évidemment de savoir si l’autorisation des tests salivaires (et dans des conditions limitatives) vient ou non trop tard, et si elle a été retardée au maximum pour favoriser les désagréables tests PCR, dont la lenteur met à mal la stratégie de prévention à la française. Car même avec 1 million de tests par semaine, la France n’est pas parvenue à endiguer la reprise de l’épidémie.
Cet échec tient en partie au délai nécessaire pour obtenir les résultats du tests PCR, parfois proche d’une semaine, qui laisse largement le temps au virus de galoper et de se disséminer.
Les tests salivaires sont plus rapides à réaliser, et plus faciles à analyser. Leur mise sur le marché plus précoce aurait probablement “dopé” la stratégie française et amélioré son efficacité. Mais tous les acteurs actuels, qui bénéficient de la manne de la sécurité sociale, étaient-ils d’accord pour voir des concurrents arriver ?
Un marché de 2 milliards €
Comme l’a indiqué le Parisien la semaine dernière, le coût total des millions de tests réalisés en France pourrait s’élever à 2 milliards € pour la sécurité sociale… Un joli marché pour les prestataires qui les fabriquent. On comprend que, derrière les apparences de l’intérêt général et sanitaire des Français, l’autorisation de recourir à de nouveaux types de tests soit un élément perturbateur pour les acteurs qui bénéficient de cette rente… Un élément économique à ne pas oublier pour comprendre les opérations sur le terrain
L’Institut Pasteur au coeur des polémiques
Depuis plusieurs mois, le rôle de l’institut Pasteur dans le retard français en matière de tests est monté en épingle. Dès le mois de mai 2020, Mediapart a consacré un excellent article à ce sujet. Selon la bonne règle de la nomenklatura française qui méprise ouvertement toutes les attentes démocratiques du petit peuple, aucun des soupçons émis au printemps sur le rôle toxique de l’institut Pasteur dans les blocages français n’a fait l’objet d’aucun démenti ni d’aucune parade officielle satisfaisante.
Pour l’essentiel, ces critiques sont simples à comprendre. L’Institut Pasteur est le “bras armé” du ministère de la santé en terme d’avis rendus sur les tests de dépistage du COVID. Pour rendre des avis, Pasteur s’appuie sur des experts qui ont ou auraient des conflits d’intérêt avec une multitude de laboratoire. Cette particularité fait dire que Pasteur est juge et partie dans les dossiers sur lesquels il rend un avis scientifique. Soit l’expert qui évalue le dossier a un intérêt personnel (par exemple du fait de ses liens avec tel ou tel laboratoire qui soumet le dossier) à rendre un avis favorable, et il le rend. Soit l’expert n’y a pas intérêt, et, dans le meilleur des cas, il traîne des pieds et embourbe la procédure administrative pour favoriser le laboratoire qui le finance peu ou prou par ailleurs.
Il n’existe aujourd’hui aucune transparence sur ce sujet. Comme l’avait remarqué Mediapart, la Haute Autorité de Santé ne rend publique ni la liste des experts qui rendent des avis, ni la liste des produits qu’ils ont ou non contribué à autoriser, laboratoire par laboratoire. Ce secret nourrit tous les fantasmes.
Les tests salivaires, serpent de mer ou escargot ?
Dans le cas des tests salivaires, on peut en tout cas affirmer que la technostructure sanitaire française n’a guère manifesté son empressement à les mettre sur le devant de la scène. Comme le rappelle le CNRS dès le début du mois de juin, les tests “COVISAL”, qui expérimentent le dépistage salivaire, annoncent des résultats prometteurs. En particulier, le test “Easycov” est mis en circulation pour les besoins de l’étude dès le 11 avril. Il faudra six mois au total pour arriver à leur mise sur le marché officielle.
On sait à ce moment qu’Easycov est développée par une entreprise appelée Skillcell, qui n’a pas de lien connu avec Pasteur, mais qui travaille main dans la main avec le CNRS. Dans son communiqué (perfide) de juin 2020, le CNRS indique qu’EasyCov a besoin de 50 personnes tests supplémentaires. Voilà qui, en apparence, ne devait pas poser trop de problème.
Assez curieusement, six semaines plus tard, l’Assistance Publique de Paris, qui a beaucoup pleurniché sur ses moyens, n’a toujours pas trouvé les 50 cobayes. Et le ministre est obligé de se fâcher tout rouge pour que Martin Hirsch s’occupe du dossier.
Faut-il ici comprendre que l’AP-HP a traîné des pieds et a saboté plus ou moins ouvertement les tests salivaires ? Par exemple pour favoriser les peu maniables PCR validés par Pasteur ?
Nous n’en saurons pas plus, mais cette affaire mériterait une belle enquête parlementaire.
L’étude clinique en double aveugle a pour le moment impliqué 93 soignants et soignantes asymptomatiques, parmi lesquels EasyCov a détecté un cas pré-symptomatique, et 30 patients infectés dont 10 récemment et 20 en visite de contrôle. Les sujets étaient testés au CHU de Montpellier avec la méthode RT-PCR et leur salive testée avec EasyCov au laboratoire Sys2diag. La comparaison des résultats obtenus sur cette première cohorte avec ces deux techniques diagnostiques a donné lieu à une prépublication sur la plateforme medRxiv. L’étude clinique se poursuivra jusqu’au recrutement d’une cinquantaine de sujets supplémentaires pour arriver à un total de 180. Et dans le même temps, le test EasyCov devrait être commercialisé courant juin par la société Skillcell.
CNRS, début juin 2020 Tweet
Quelques mots sur Skillcell
Finalement, les tests salivaires sont donc autorisés sous certaines conditions, ce qui arrange Skillcell. Il faut ici se souvenir que la Haute Autorité de Santé ne diffuse pas la liste des “prestataires” qu’elle autorise. D’autres acteurs que Skillcell peuvent donc bénéficier de cette autorisation, mais, depuis plusieurs mois, c’est Skillcell que le CNRS met en avant sur ce dossier.
On s’amusera des étranges coulisses de ce montage entrepreneurial qui a, rien qu’en le survolant, un arrière-goût de petits arrangements entre amis.
Skillcell fait en effet partie de la galaxie Alcen, une boîte fourre-tout présidée par le polytechnicien Pierre Prieux. L’une des filiales de ce groupe tentaculaire baptisée Skillcell produit les tests salivaires. Skillcell est présidée par… la jeune Alexandra Prieux, et dirigée au jour le jour par une certaine Dinah Weissmann, qui a oeuvré au… CNRS de 1986 à 2011 avant d’intégrer la galaxie Prieux.
On s’amusera de voir que le même CNRS fait, vingt ans après son départ, la promotion de l’entreprise dirigée par Dinah, elle-même ancienne du CNRS. On ne tirera aucune conclusion hâtive de ces coïncidences, mais quand même. Toutes les apparences laissent à penser que Pasteur accepte l’arrivée de nouveaux acteurs lorsqu’ils ont fait partie de l’entre-soi caractéristique de la recherche publique en France.
Intérêt général ou marchés captifs ?
Sans même approfondir outre mesure la question des conflits d’intérêts dans la décision publique d’autoriser tel ou tel test, on mesure instinctivement, pour ainsi dire sourdement, les enjeux colossaux qui se cachent derrière les décisions publiques, et les interférences qui doivent brouiller les circuits de décision.
Dans le cas de la stratégie française de test en matière de coronavirus, on devine facilement que des influences doivent exister et percuter, tôt ou tard, les arbitrages d’intérêt général. Il appartiendrait à des autorités compétentes de démêler le vrai et le faux dans ce dossier, mais une évidence s’impose aujourd’hui : la lenteur française à proposer des alternatives au test PCR coûte très cher au contribuable et à l’assuré social.
Plausible car la conduite erratique de la lutte contre cette épidémie ne suit que des considérations d’autoprotection judiciaire ou politicienne.
Bizarre, ce délai. A croire qu’il ne fallait pas aller vite.
Quand l’Etat aime un sujet, il sait le faire avancer. Un exemple ? Entre la parution du Canard Enchaîné et le début de l’action judiciaire contre F. Fillion, MOINS de 3HEURES !
L’explication est simple. Les grands CHU ont tout fait pour pouvoir réaliser les fameux tests en interne dès le début de l’épidémie. Ils n’envoyait pas les tests à l’extérieur et attendait les nouvelles machines venant de Chine à grand frais et deniers publics. Elles ont mis plusieurs mois pour arriver et les services dédiés aux tests sont maintenant en place en ayant au passage piquer les laborantins aux laboratoires privés qui attendent toujours du travail. C’est pour cela que la fameuse stratégie du test tout azimut (500 000 tests par semaine) promis dès mars par le ministre n’a vu le jour qu’en juillet donc 4 mois après le pic de l’épidémie. Tout va donc bien dans le meilleur des mondes pour les CHU fiers de leurs nouveau services publiques. Et patatra, voilà qu’une nouvelle méthode de test plus simple débarque. Vous vous imaginez bien qu’une telle chose n’était pas admissible dans un monde bien ordonnée. Au pire, il faudra attendre que les CHU soit capable de faire ces tests (plusieurs mois d’organisation) avant de les autoriser officiellement.
On a vu la même chose sur les fameux transferts de malades entre régions ou les hôpitaux militaires. Au final, les CHU ne veulent pas partager les malades car sans malades ils n’ont aucune importance. Donc à part quelques transferts symboliques pour faire plaisir au ministre et les montrer à la presse, seulement après de très longues négociations et des précautions ultimes, cela s’est rapidement arrêté. Peu importe que des malades meurt faute de soin.