Les entrepreneurs devraient vivre quelques expériences (très) désagréables au 1er janvier 2022. Nous avons, dans nos colonnes, alerté plusieurs fois sur ce sujet. La menace se précise peu à peu, et le rapport Tirole-Blanchard sur les "défis économiques" remis hier au Président de la République donne une première version des mauvaises nouvelles qui vont tomber les uns après les autres après cet été. Nous recommandons à tous les entrepreneurs de bien lire les lignes qui suivent, car elles illustrent l'état d'esprit dans lequel Bercy prépare la suite des opérations.
Les entrepreneurs qui nous lisent savent déjà que Bercy prépare, pour la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale 2022 une fusion des statuts de SARL et de SAS qui devrait fiscaliser lourdement les dividendes des SAS s’ils sont supérieurs à 10% du capital social. Nous avons évoqué ce projet dès le mois d’octobre 2020. Nous leur recommandons maintenant de lire attentivement ce qui suit, car les phrases du rapport Tirole – Blanchard remis hier au Président de la République décrit par le menu ce qui les attend.
Taxer le capital comme le travail, et le taxer mieux
C’est entre les pages 343 et 365 que Tirole et Blanchard ont concentré leurs propositions pour réformer la fiscalité des entrepreneurs. Nous en présentons ici un florilège illustrant la tendance de fond.
Pour commencer, les deux économistes (tous deux enseignants et fonctionnaires, donc ayant une connaissance purement théorique de la prise de risque entrepreneurial) font remarquer qu’une plus grande taxation du “capital” est devenue un enjeu essentiel dans le monde industrialisé (p. 344) :
Nous proposons plutôt des pistes pour élargir les assiettes d’imposition, améliorer la discipline fiscale et mobiliser de nouveaux outils afin d’accroître l’efficience du système socio-fiscal. Nous tenons à préciser d’emblée que notre intention dans le présent rapport n’est pas de débattre du niveau d’imposition. Il est difficile de concevoir un système fiscal qui soit une référence absolue du point de vue de l’efficience
et de l’efficacité, et a fortiori de le mettre en œuvre avec succès. Mais le renouvellement de la coopération internationale, les échanges de renseignements, les technologies et l’analyse de données ouvrent de vastes perspectives pour améliorer la fiscalité du capital, du travail, des transferts de propriété et des entreprises.
Améliorer la discipline fiscale avec de nouveaux outils, sans ouvrir de débats sur le bon niveau d’imposition. On a compris ce que cela signifie : on ne se demandera pas, dans ce rapport, sur les entrepreneurs sont trop taxés ou non en France. On se demandera seulement comment leur faire pays plus d’impôts.
La dernière phrase de notre citation pose les solutions principales : échanges de fichiers numériques avec les pays étrangers, analyse des data disponibles, notamment sur les réseaux sociaux, sont les mamelles de la fiscalité appliqué aux entrepreneurs de demain.
Mettre en place un flicage massif des entrepreneurs
Les lecteurs attentifs s’intéresseront aux “principes directeurs” exposés par les économistes, où l’on comprend entre les lignes l’essentiel de leur idéologie. Les mêmes soulignent d’ailleurs qu’une minorité de Français accepte l’idée que l’impôt doit servir à redistribuer les richesses, mais que cette doctrine s’impose quoiqu’il arrive. Et, dans ce cadre forcé, les entrepreneurs ne sont évidemment pas assez taxés, notamment parce qu’ils recourent massivement à l’évasion fiscale.
Bien entendu, aucun chiffre n’est donné à l’appui de cette affirmation, les seuls noms de Tirole et de Blanchard suffisant à dispenser de toute autre forme de preuve.
Et voici la première proposition qui est formulée pour améliorer la taxation des entrepreneurs (page 349) :
L’échange automatique de renseignements ouvre de nouvelles perspectives d’imposition du capital. En particulier, la possibilité d’instaurer des impôts progressifs sur les revenus du capital devient bien plus envisageable, dans la mesure où il est désormais possible de tracer les revenus qu’un contribuable perçoit dans plusieurs pays.
On comprend ici que la grande voie pour “taxer mieux” consiste donc à croiser les fichiers internationaux, à créer une sorte de fisc mondial, pour traquer les fraudeurs. Et on comprend aussi qu’un fraudeur est un entrepreneur qui a des activités dans plusieurs pays.
La première priorité pour la France est de continuer à jouer un rôle clé dans le développement de l’échange automatique de renseignements. Par ailleurs, l’échange de renseignements dans sa forme actuelle ne couvre pas certains des principaux types d’actifs. Il conviendrait d’encourager (idéalement au niveau de l’OCDE) la mise en œuvre de l’échange automatique de renseignements pour toutes les catégories d’actifs, y compris les actifs immobiliers et les biens professionnels.
Traduction : la France doit pousser à ces échanges d’informations, qui devraient aussi englober les investissements immobiliers réalisés à l’étranger, et pas seulement les avoirs financiers. Bref, il s’agit d’aller toujours plus loin dans la constitution d’un grand fichier de surveillance mondiale en matière fiscale.
Plafonner les niches fiscales, surtout dans l’immobilier
Sans grande surprise, le rapport Tirole – Blanchard ajoute un passage sur le nécessaire plafonnement des niches fiscales. On retiendra en particulier (page 352) :
Les réductions d’impôt au titre de la loi Pinel pour les investissements dans certains logements neufs incarnent quant à elle le troisième cas type. Bien que cette réduction d’impôt soit plafonnée, elle n’est probablement pas très progressive. L’objectif est au départ double : « corriger » et améliorer l’efficience en incitant à des investissements considérés comme ayant des externalités sociales positives, mais insuffisants. Pour ce type de réductions d’impôt, nous recommandons de mener des évaluations très
rigoureuses afin de déterminer si elles permettent effectivement d’atteindre les objectifs visés.
Traduction : les exonérations de type Pinel devraient être recentrées sur les classes moyennes, et prouver leur efficacité dans l’accès au logement. Voilà qui sent le roussi pour ce type d’investissements.
Surveiller en masse pour améliorer la discipline fiscale
La suite du rapport donne encore plusieurs pistes tout à fait saisissantes quant à l’avenir des entrepreneurs dans ce pays. Les passages consacrés à l’amélioration de la discipline fiscale sont en effet particulièrement explicites (p. 354) :
Les problèmes les plus importants sont liés aux entreprises privées et aux sociétés de personnes, pour lesquels Sarin et Summers (2020) proposent une solution. Ils préconisent que les propriétaires et les chefs d’entreprise dont les revenus se situent au-dessus d’un certain seuil soient contraints de déclarer les comptes bancaires sur lesquels sont déposés les revenus qu’ils tirent de leur entreprise. Les banques
pourraient alors jouer le rôle de tiers chargés de déclarer les flux et de transmettre à l’administration fiscale une synthèse des dépôts et des décaissements, que cette dernière utiliserait pour contrôler le bon acquittement des impôts.
Demander aux banques de déclarer directement au fisc les sommes perçues par les entrepreneurs… n’est-elle pas amusante, cette idée-là ? Encore un pas, et le fichage totalitaire arrive.
Tirole et Blanchard ne s’en privent pas. On lit un peu plus loin :
Les autorités fiscales devraient commencer à exploiter de manière plus systématique les possibilités offertes par le Big Data et l’analyse de données pour détecter les fraudes et tracer les contribuables.
Là encore, les propositions ne manquent pas de piquant, puisqu’elles sont tout entières inspirées de la surveillance à la chinoise. Et que dire de celle-ci (p. 356) :
des chercheurs ont constaté une concentration anormale des revenus déclarés par les petits entrepreneurs au niveau des seuils générés par le code des impôts, et un déplacement marqué de ces points d’accumulation lorsque lesdits seuils sont modifiés (Aghion et al., 2017). Un revenu proche de ces valeurs constitue donc un facteur prédicteur de déclaration erronée, ce comportement tendant à être plus fréquent pour certains secteurs et types d’entreprise. L’essentiel est de noter que l’analyse des données révèle de nombreux schémas qui peuvent aider l’administration fiscale à détecter les cas
d’évasion et d’évitement dès lors que des techniques de recherches appropriées sont appliquées. Les chercheurs qui disposent de données et coopèrent avec l’administration fiscale peuvent y aider. Impliquons-les !
On pourrait empiler d’autres citations, mais chacun a compris l’esprit général du texte : sus aux petits entrepreneurs, qui sont des fraudeurs en puissance. Il faut lâcher la meute pour les punir de ne pas être salariés.
Bizarrement, aucun de ces brillants économistes ne semble avoir anticipé les dégâts qu’une chasse aux entrepreneurs produira lorsqu’elle sera lancée, notamment pour la capacité du tissu économique français à prendre des risques.
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