Chronique de la destruction consentie de l'Europe. - Depuis trente ans, les Etats-Unis n'ont qu'une obsession sur notre continent: empêcher l'émergence de cette "Europe européenne", que le Général de Gaulle appelait de ses voeux, fondée sur une sécurité qui devait aller "de l'Atlantique à l'Oural". La guerre d'Ukraine est à la fois le sommet de la capacité de division américaine et le moment d'un potentiel retournement. Nous assistons non seulement à une révolution militaire russe (grâce aux armes hypersoniques) mais aussi à l'émergence d'un monde multipolaire dont le centre de gravité sera en Eurasie, au coeur du triangle constitué par la Russie, l'Inde et la Chine. La France a un énorme atout - elle est à la fois européenne et présente sur tous les océans du monde. Nous aurions toutes les raisons de jouer un rôle majeur dans le nouvel équilibre des puissances. Mais avant cela, il nous faut d'abord analyser et comprendre ce qui se passe sous nos yeux: le déclin inéluctable de la puissance américaine du fait de la dédollarisation du monde; l'auto-destruction de l'Union Européenne qui pousse les sanctions contre la Russie sur un mode "plus américain que les Américains"; le déclin de la puissance allemande qui a oublié la vieille sagesse de Bismarck, Willy Brandt et Gerhard Schröder - l'Europe va mal quand l'Allemagne et la Russie ne s'entendent pas ; mais aussi le réveil politique de l'Inde qui tient à distance le monde anglo-saxon; la remise en selle, malgré le COVID-19, que cela nous plaise ou non, de la Chine néo-léniniste; et, bien entendu, la résistance de la Russie aux sanctions. C'est à condition de comprendre le monde qui vient que la France saura y trouver sa place.
“Actuellement, la plupart des troupes ukrainiennes, des nationalistes d’Azov et des mercenaires étrangers encore présents à Marioupol sont assiégés dans l’aciérie Azovstal et l’usine Ilyich. Un régiment d’infanterie de marine ukrainien a publié un message d’adieu plein d’amertume pour avoir été abandonné par le pouvoir de Kiev.
(…) [D]e violents affrontements se poursuivent sur les autres fronts de la région, notamment dans les zones d’Izioum et de Severodonetsk.
Les unités de la LPR auraient réussi à établir leur contrôle sur les villages de Krimskoie et Prichepilovka, renforçant la zone de contrôle près du village de Novotoshkovskoye. Après un bombardement d’artillerie massif de Severodonetsk, les forces de la République populaire de Lougansk ont tenté de prendre d’assaut la ville. Les unités de l’armée ukrainienne ont repoussé l’attaque. (…)
Dans la nuit, des missiles russes ont détruit la base de réparation d’armes et d’équipements militaires des forces de défense aérienne ukrainiennes près de Velikaya Novoselovka, notamment des systèmes de missiles anti-aériens Buk-M1 et Osa-AKM.
Deux dépôts de munitions ont été détruits près de Nikolaev et de Zhovtnevoye, et un radar d’illumination et de guidage du système de missiles antiaériens S-300 a été détruit dans la région d’Uspenovka.
Suite à des frappes de haute précision dans les zones des villages de Vozdvizhenka-2 et Ivanovka de la région de Donetsk, neuf chars, cinq installations d’artillerie automotrices 2S3 “Acacia”, cinq lance-roquettes multiples BM-21 “Grad” et plus de 60 [combattants ukrainiens] ont été touchés”.
Comme nous l’expliquions dans le bulletin précédent, plus la défaite ukrainienne apparaît inéluctable, plus la propagande devient hystérique pour peindre les Russes en héritiers des pires régimes de l’histoire.
“Le 10 avril, la Russie a révélé que les soldats ukrainiens avaient miné les réservoirs de chlore d’une compagnie des eaux du district de Popyasnaya dans le cadre d’un complot visant à les faire exploser lorsque les forces de la LPR approcheront de la ville. Auparavant, le 5 avril, un réservoir d’acide dans le 1er atelier de l’usine Zarya a été dynamité dans la ville de Rubezhnoye.
La Russie a également révélé qu’avec le soutien de l’Occident, Kiev prépare de nouvelles provocations avec des massacres de civils dans la LPR pour en faire porter la responsabilité aux forces russes“.
La bataille de la propagande: l'Occident est-il vraiment en train de la gagner?
C’est un lieu commun, même quand on reste neutre face au conflit qui se déroule en Ukraine, de dire que la Russie a perdu la bataille de la communication.
Nous avons plusieurs fois souligné dans cette chronique que c’était vrai uniquement si l’on se contente des médias occidentaux. Les médias du reste du monde ont une vision beaucoup plus équilibrée du conflit.
Ensuite, on remarque, depuis quelques jours une radicalisation de l’attitude occidentale, celle des gouvernants et celles des médias. Il n’y a plus guère d’analyses militaires proposées dans les grands médias. Même si le mythe d’une possible victoire militaire ukrainienne perdure dans le discours, beaucoup d’observateurs semblent résignés à la défaite à venir des Ukrainiens dans le Donbass.
Du coup, il y a un déplacement du projecteur vers les “crimes de guerre” russes: Butcha, Kramatorsk. Et, nous venons d’y consacrer un article: désormais, on tâche d’accréditer la rumeur d’une “attaque chimique russe” à Marioupol. Mais comme nous le montrons dans une analyse plus détaillé publiées à part; on sent bien que la montée en puissance de cette guerre de l’information sur les “crimes de guerre” russes présumés relève autant de la contre-attaque:
+ le sujet des laboratoires pour le développement d’armes biologiques sur le territoire ukrainien est une grosse menace pour la crédibilité de la cause occidentale.
On en parle même concernant Marioupol. Sans que cela soit pour l’instant vérifiable.
+ La propagande kiévienne apparaît pour ce qu’elle est: brutale; on a d’abord cru que c’était une caricature mais la vidéo de la jeune Ukrainienne coupant fictivement la tête d’un Russe dit combien la société ukrainienne est troublée: corruption éhontée des dirigeants, pauvreté toujours plus marquée, émigration des classes moyennes, taux de prostitution parmi les plus élevés du monde, honteux commerce de GPA etc….La guerre du Donbass qui a commencé en 2014 a d’un côté aggravé la situation générale du pays; et d’autre part fourni un exutoire à une jeunesse désespérée parti se battre et, souvent, embrigadée dans les bataillons néo-nazis.
+ Tout cela est producteur d’un nihilisme caractéristique mais le problème que nous rencontrons est qu’une partie du monde dirigeant occidental est lui aussi atteint de nihilisme. On le sentait déjà dans le Grand Echiquier de Brzezinski, aux accents dignes d’Oswald Spengler: la domination de l’Eurasie n’était porteuse d’aucun idéal; il s’agissait juste d’accomplir un “destin occidental”.
La politique occidentale, depuis le début de la crise ukrainienne semble ne poursuivre aucun autre but que celui de “faire tomber” Poutine; quoi qu’il en coûte aux peuples, du fait de l’effet boomerang des sanctions.
C’est sans doute pourquoi le discours occidental se radicalise. Au point de placer l’UE, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis en position de quasi-belligérants.
Lavrov pense en termes d'affrontement russo-américain
Dans un entretien accordé à RT, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov déclare:
“Notre opération militaire spéciale a pour but de mettre fin à l’expansion effrénée [de l’OTAN] et à la volonté effrénée de domination totale des États-Unis et de leurs sujets occidentaux sur la scène mondiale,
Cette domination est fondée sur des violations flagrantes du droit international et sur certaines règles, dont ils font maintenant grand cas et qu’ils inventent au cas par cas”,
A propos de la déclaration va-t-en-guerre de Josep Borrel, Lavrov ajoute: “Quand un chef diplomatique … dit qu’un certain conflit ne peut être résolu que par une action militaire … Eh bien, il doit y avoir quelque chose de personnel. Soit il s’est mal exprimé, soit il a parlé sans réfléchir, faisant une déclaration que personne ne lui a demandé de faire. Mais c’est une remarque scandaleuse”
Que le conflit, désormais, ne soit plus seulement une guerre européenne, c’est ce que dit avec humour notre ami M.K. Bhadrakumar, en commençant sa dernière analyse consacrée à l’onde de choc qui parcourt l’Asie depuis le début de l’affrontement entre la Russie et l’OTAN: “L’hypothèse selon laquelle l’Ukraine se trouve en Europe et que le conflit ne concerne que la sécurité européenne est illusoire“.
Et il continue: “Du Kazakhstan au Myanmar, des îles Salomon aux îles Kouriles, de la Corée du Nord au Cambodge, de la Chine à l’Inde, au Pakistan et à l’Afghanistan, les lignes de fracture apparaissent.
Certes, des puissances extrarégionales ont joué un rôle dans la révolution de couleur qui a récemment renversé le gouvernement en place au Kazakhstan, une masse continentale géopolitique très disputée, grande comme les deux tiers de l’Inde, qui borde la Chine et la Russie, les adversaires jurés de Washington. Grâce à une intervention rapide de la Russie, soutenue par la Chine, un changement de régime a été évité.
De même, le projet anglo-américain d’embrigader le Myanmar, qui a une frontière commune avec la Chine, dans une insurrection armée, a échoué faute d’un sanctuaire dans la région nord-est de l’Inde et en raison de la convergence d’intérêts perçue entre les pays environnants pour la stabilité du Myanmar.
En comparaison, la ligne de fracture nord-coréenne s’est aggravée. La Corée du Nord suit son propre calendrier et a probablement décidé que la crise ukrainienne lui offre une couverture utile pendant qu’elle accélère son programme d’essais. Pyongyang soutient explicitement l’opération spéciale de la Russie en Ukraine, commentant que “la cause fondamentale de l’incident ukrainien réside dans l’autoritarisme et l’arbitraire des États-Unis, qui ont ignoré les appels légitimes de la Russie à obtenir des garanties de sécurité et n’ont cherché qu’une hégémonie mondiale et une domination militaire en s’accrochant à leurs campagnes de sanctions”.
L’objectif de la Corée du Nord est de renforcer sa sécurité et son influence en augmentant la qualité et la quantité de ses capacités de dissuasion et en renforçant sa position de négociation.
Sur un autre plan, la crise ukrainienne a insufflé une nouvelle urgence aux efforts américains pour cultiver de nouveaux partenaires asiatiques. Mais Washington s’est heurté à des vents contraires et a dû reporter sine die un sommet spécial avec les dix pays membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), initialement prévu pour la fin mars. Aucune nouvelle date n’a été proposée, bien que les États-Unis aient présenté le sommet comme “une priorité absolue”.
Faisant preuve d’une certaine colère, Washington a depuis sanctionné le Cambodge, qui préside actuellement l’ASEAN. Il est clair que les pays d’Asie du Sud-Est hésitent à prendre parti entre les États-Unis et la Chine ou à formuler des critiques à l’encontre de la Russie.
La retombée la plus directe de la crise ukrainienne en Asie est sans doute la forte détérioration des liens entre le Japon et la Russie. Il s’agit d’une évolution injustifiée dans la mesure où Tokyo a simplement fait un copier-coller, en copiant toutes les sanctions américaines contre la Russie (y compris contre le président Poutine). Le Premier ministre Kishida a détruit sans ménagement ce que son prédécesseur Shinzo Abe avait soigneusement cultivé comme une relation cordiale et amicale.
Le Japon fait désormais ouvertement référence à l'”occupation” russe des îles Kouriles – ce qu’il ne faisait pas dans le passé. Moscou a riposté en désignant le Japon comme un pays “inamical”. Pourtant, les analystes estimaient jusqu’à récemment que la Russie et le Japon avaient des intérêts congruents dans le blocage des ambitions arctiques de la Chine et qu’ils s’orientaient donc vers une résolution de leur différend sur les Kouriles.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les motivations de Kishida, qui a opéré un brusque revirement pour faire des Kouriles un point d’inflammation potentiel dans les relations avec la Russie, s’inscrivent dans la stratégie américaine plus large visant à isoler la Russie.
Entre-temps, une évolution contraire est également apparue dans le défi lancé par la Chine à la stratégie américaine de la chaîne d’îles dans le Pacifique occidental en négociant un nouvel accord de sécurité avec les îles Salomon. Cette évolution qui change la donne peut avoir des conséquences considérables et est dangereusement liée à la question de Taïwan. M. Biden aurait dépêché un haut fonctionnaire de la Maison Blanche aux îles Salomon pour saboter l’accord avec la Chine.
L’administration Biden redouble maintenant d’efforts pour que l’Inde réduise également ses liens avec la Russie. Cela devient une ligne de faille dans le partenariat stratégique américano-indien. Ce qui doit être particulièrement exaspérant pour Washington, c’est la probabilité que l’Inde poursuive sa coopération commerciale et économique avec la Russie en monnaie locale. En effet, la Chine et l’Inde ont adopté une position assez similaire sur la crise ukrainienne.
Compte tenu de la taille de l’économie chinoise et du fort potentiel de croissance de l’économie indienne, leur tendance à contourner le dollar serait un modèle pour d’autres pays. La Russie, frappée par les sanctions occidentales, a appelé le groupe des économies émergentes BRICS à étendre l’utilisation des monnaies nationales et à intégrer les systèmes de paiement.
Il suffit de dire que le “dollar militarisé” et la décision abrasive de l’Occident de geler les réserves de la Russie donnent des frissons à la plupart des pays en développement. Le Népal a cédé pour ratifier l’accord du Millennium Challenge Corporation suite à la menace d’un fonctionnaire américain de rang intermédiaire !
Il n’y a aucune raison concevable pour que l’OTAN devienne le fournisseur de sécurité de la région asiatique. C’est pourquoi l’avenir de l’Afghanistan revêt une importance cruciale. Il ne fait aucun doute que le changement de régime au Pakistan est lié, du moins en partie, à l’Afghanistan. Le ministère russe des Affaires étrangères a révélé certains détails de l’ingérence américaine dans les affaires intérieures du Pakistan et de la pression exercée sur l’ancien Premier ministre Imran Khan.
Mais le temps montrera à quel point les espoirs de Washington d’intégrer le Pakistan dans l’orbite américaine et d’en faire un substitut pour faire pression sur le régime taliban en Afghanistan sont réalistes. La Russie et la Chine veillent à ce que la porte reste fermée au retour de l’OTAN en Afghanistan. Elles ont sapé les récents efforts de Washington pour coopter les dirigeants talibans à Kaboul. (Voir mon blogue Les États-Unis devancent les États régionaux dans la course à Kaboul).
Le message qui ressort de la récente réunion des ministres des affaires étrangères des pays voisins de l’Afghanistan sur la question afghane, qui s’est tenue à Tunxi, en Chine, est que les États régionaux espèrent jouer un rôle de premier plan dans la transition de ce pays du chaos à l’ordre. Ainsi, les États régionaux ont progressivement pris leurs distances par rapport à l’exceptionnalisme de l’Occident et adoptent plutôt une approche persuasive par le biais d’un engagement constructif. La déclaration commune publiée à Tunxi reflète cette nouvelle façon de penser.
L’évolution de la situation en Afghanistan montre que les États de la région résisteront à toute tentative d’imposer la domination occidentale en Asie. La plupart des pays asiatiques ont fait l’expérience amère du colonialisme dans leur histoire. (Voir mon blog Le dilemme de l’Inde face à l’Occident et à la Russie).
Bien que les analystes américains le minimisent, il n’en reste pas moins que le conflit en Ukraine aura un impact très important sur le “siècle asiatique”. Les États-Unis sont déterminés à faire de l’OTAN l’organisation de sécurité mondiale qui agira au-delà des compétences des Nations unies pour faire respecter l'”ordre fondé sur des règles” de l’Occident. (…)”
Quel panorama impressionnant. La France, qui est présente sur tous les océans, doit suivre tout cela de très près!
Notons, pour finir, que des Ukrainiens ont vandalisé la façade du Consulat Général de Russie à Sydney.
Excellent article, vous nous gâtez. Merci pour cette chronique tellement “hors système”
Merci à vous.
Merci pour cette analyse geostratégique qui donne la vrai dimension de la volonté des USA de transformer les évènements ukrainiens en levier de leur suprémacie globale. Les émotions et crises hystériques nationales sont les pricipaux moyens employés. Qu’on se souvienne de la dépêche d’Ems, ou de l’assassinat anarchique de la princesse Sissi.
En attendant les gaz mortels s’échappant de l’usine de Marioupole…
merci. Vous avez raison. Il y a un conflit géopolitique majeur. C’est plus que la Guerre froide. Et il faut souhaiter que cela ne devienne pas une guerre chaude.