En Allemagne et en Autriche, les soins aux personnes âgées sont au bord de l'effondrement. Le problème est fait maison et touche désormais la société de plein fouet. Les élites politiques masquent leur désarroi par un pseudo-activisme.
L’écrivain autrichien Peter Handke fête ces jours-ci son quatre-vingtième anniversaire. L’Autriche officielle offre à « son » lauréat du prix Nobel une première représentation de sa pièce « Zwiegespräch » au Burgtheater de Vienne[1]. La mise en scène est assurée par la jeune Rieke Süßkow, qui situe le texte sur le vieillissement dans un « bootcamp gériatrique, avec des infirmières criardes en tablier plastique » [2]. La réalisatrice elle-même parle de conflit de générations entre « Fridays for Future » et les « baby boomers » et de la vengeance de la génération des petits-enfants par le biais de jeux sadiques. Messieurs, l’état d’urgence des soins a atteint les scènes culturelles publiques !
Les soins hors domicile sont un luxe
Depuis des semaines, la politique et les médias allemands et autrichiens se penchent frénétiquement sur l’état d’urgence des soins : selon l’association professionnelle allemande pour les professions de soins, la situation du personnel n’a jamais été aussi dramatique depuis un demi-siècle. On met en garde contre un effondrement du système, des soins sûrs et de qualité ne seraient déjà plus guère possibles. [3]
Pendant Corona, nous avons appris que nous devions surveiller quotidiennement les capacités occupées et libres dans les hôpitaux. Cette logique est maintenant appliquée aux soins infirmiers, en ce sens que l’on nous calcule chaque jour quand il n’y aura plus de lit disponible. C’est cynique si l’on considère que dans les pays germanophones, la grande majorité des soins sont dispensés à domicile. En Allemagne, quatre personnes sur cinq nécessitant des soins l’étaient récemment, et la situation n’est pas différente en Autriche.
La raison en est, sans surprise, que les gens n’ont tout simplement pas les moyens de payer des soins professionnels hors de chez eux sur une longue période. L’assurance dépendance légale ne prenant en charge qu’une partie des coûts, il reste à la charge des patients une somme d’environ 3 500 euros par mois. L’inflation et la raréfaction des ressources vont encore faire grimper ces coûts. En gros, la pension moyenne dans les deux pays est actuellement d’environ 1.800 euros par mois, auxquels s’ajoutent, dans le cas idéal, près de 1.000 euros d’allocation de soins. Ce n’est que dans des cas rares et très graves que l’on verse davantage. Retenons que les soins professionnels hors domicile sont un luxe !
Celui qui peut se payer une place dans une maison de repos doit d’abord en obtenir une. Corona nous a appris ici aussi qu’il est préférable de fermer des services entiers plutôt que de créer des capacités supplémentaires. Retenons que les lits se font rares !
Explosion des taux de prestations sociales
Ce n’est pas seulement depuis Corona que nous savons que le personnel soignant n’augmente pas au même rythme que les personnes nécessitant des soins : en 2030, il manquera probablement un demi-million de soignants en Allemagne, et il en manque déjà 200 000. Des infirmiers du Vietnam, des Balkans ou d’Amérique latine doivent contribuer à résoudre le problème de l’approvisionnement allemand. En Autriche, les responsables de la politique sociale envisagent sérieusement d’employer des demandeurs d’asile dans les services de soins. Retenons que la politique n’a aucune idée de la manière dont elle pourra maîtriser le problème dans un avenir prévisible !
La crise de Corona a fait grimper les dépenses sociales en Allemagne à des niveaux astronomiques : Pour la première fois depuis la création de la République fédérale, l’État a consacré plus d’un tiers de la performance économique totale aux prestations sociales ! En chiffres absolus, cela a représenté 1,19 billion d’euros l’année dernière ! Le taux de prestations sociales – mesuré par rapport au produit intérieur brut (PIB) – s’élevait à 33,6%. [4] Les Autrichiens ne peuvent que sourire, leur taux de prestations sociales est également de 33%. Retenons que nous ne pouvons plus nous permettre tout cela !
Le temps et la démographie jouent contre nous
Et que fait la population ? Au lieu de soulager le système, comme on nous l’avait pourtant prêché pendant Corona, nous devenons de plus en plus vieux, malades et immobiles ! D’ici le milieu des années 2030, le nombre de personnes en âge de prendre leur retraite (à partir de 67 ans) augmentera d’environ 4 millions en Allemagne pour atteindre au moins 20,0 millions. Ensuite, le nombre de personnes très âgées et donc les besoins en soins augmenteront massivement en Allemagne. Tels sont les résultats des prévisions démographiques de l’Office fédéral de la statistique (Destatis). [5] Retenons que le temps et la démographie jouent contre nous !
Le ministre allemand de la Santé Karl Lauterbach, apprécié de tous pour sa grande compétence, annonce désormais une « révolution dans le système » avec une réforme des soins hospitaliers. Il explique ainsi ce qu’il entend par là : « Il ne faut plus que des bénéfices soient réalisés sur le dos des enfants, du personnel soignant et des sages-femmes et que le médical soit relégué au second plan. Nous ne voulons pas continuer à accepter cela » ! [6]
Je lui réponds par une citation tirée de « Zwiegespräch » de Handke : « En vérité, mon vieil ami : nous sommes deux imbéciles particuliers, chacun à sa manière ». [7]
Notes :
[1] https://www.burgtheater.at/produktionen/zwiegespraech
[2] selon l’expression d’une rédactrice culturelle de la radio autrichienne
[3] https://oe1.orf.at/programm/20221207/701646/Oe1-Morgenjournal
[4]https://www.rnd.de/politik/fachkraeftemangel-verband-warnt-vor-zusammenbruch-des-pflegesystems-JJJY374E4VCOPAE2VILNWNZK7U.html
[5]https://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/arm-und-reich/sozialstaat-sozialausgaben-durch-corona-auf-hoechststand-17415640.html
[6]https://www.bundesregierung.de/breg-de/service/bulletin/rede-des-bundesministers-fuer-gesundheit-dr-karl-lauterbach–2149008
[7]Peter Handke, Zwiegespräch, Bibliothèque Suhrkamp, volume 1536, 2022
Il faut se méfier des prévisions démographiques qui consistent â « prolonger les courbes »…
très intéressant et à développer
vieillissement et immigration s’articulent autour d’un moment charnière d’une (ou deux) générations