Les BRICS et le G7 se préparent à la rivalité, par Evgueni Pozdnyakov

Selon les médias occidentaux, Pékin entend faire des BRICS un rival géopolitique du G7. L'organisation a déjà dépassé le G7 en termes d'indicateurs économiques, et une vingtaine d'Etats ont déclaré leur souhait d'adhérer à l'association. Mais plusieurs questions se posent. Que reste-t-il à faire aux BRICS sur cette voie, et, surtout, tous les pays participants sont-ils prêts à la confrontation avec Washington ? Enfin, dans quelle mesure cette voie correspond-elle aux intérêts de la Russie ?

Cet article initialement publié sur le site vz.ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.

La Chine entend faire appel à ses collègues BRICS pour faire de l'organisation un rival géopolitique à part entière du G7, rapporte le Financial Times. Selon la publication, l'expansion permettra au groupe d'être responsable d’une grande part du PIB mondial, ce qui renforcera la « voix commune » du bloc.

Quel est l’axe principal que doivent suivre les BRICS : économique ou politique ?

Dans le même temps, les contradictions s'intensifieraient entre la Chine et l'Inde sur la manière exacte dont l'admission de nouveaux membres dans les BRICS devrait être effectuée. En particulier, la question la plus controversée entre Pékin et New Delhi est l'avenir de l'organisation : doit-elle rester un « club neutre » pour défendre les intérêts économiques de ses membres ou commencer à se transformer en une force politique pour affronter les États-Unis ?

En outre, un diplomate brésilien anonyme a souligné l'importance de « définir des critères pour l'adhésion des nouveaux entrants ». Dans ce contexte, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a déclaré que la république soutenait l'expansion de l'organisation. Cependant, à son avis, il est d'abord nécessaire de renforcer les liens entre les pays qui envisagent de rejoindre les BRICS.

Ramaphosa a également déclaré que plus de 20 États ont déjà soumis des demandes officielles pour rejoindre le bloc. Selon lui, une telle attention portée aux BRICS est causée par une demande d'un système de relations internationales plus équitable. Il a noté que l'association « est un opposant au monde unipolaire » et qu'en ce moment « elle est en train de changer l'économie et la politique mondiales ».

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a également déclaré que les BRICS avaient lancé un processus d'expansion pour devenir l'un des piliers d'un ordre mondial juste et polycentrique. A son avis, l'organisation compte de nombreuses personnes partageant les mêmes idées et qui la considère comme une force positive. Le chef du département diplomatique a précisé que l'association a le potentiel pour trouver un terrain d'entente sur les questions les plus difficiles.

Les BRICS montrent un fort potentiel de croissance économique et politique

Dans le même temps, les BRICS continuent de démontrer le potentiel non seulement de croissance politique, mais aussi de croissance économique. Ainsi, déjà en 2020, les pays membres du bloc égalaient le G7 en termes de contribution à l'économie mondiale, et maintenant l'organisation a déjà dépassé le G7 en termes de part dans le PIB mondial : 32,1 % contre 29,9 %.

Les médias occidentaux admettent que les indicateurs du bloc ne feront que croître. Selon Bloomberg, la Chine jouera le rôle principal dans le développement de l'économie internationale au cours des cinq prochaines années. Il est à noter que l'Inde dépassera bientôt les États-Unis. De tels succès de Pékin et de New Delhi ont un impact positif sur le rôle des BRICS. Dès lors, l'impact économique de l'association se transforme progressivement en impact politique.

Un compromis au sein des BRICS qui sera sans doute difficile à trouver

Timofei Bordachev, directeur des programmes du Valdai Club, estime que le bloc a réussi à se transformer en un contrepoids important à l'hégémonie occidentale en un temps record. Il souligne que « la tâche des BRICS ne peut pas être d'évincer le G7, en ayant la plus grande influence sur les affaires mondiales. D'abord parce que l'ordre international qui se crée aujourd'hui n'implique pas une position de monopole d'un ou plusieurs États. Aussi, toutes les tentatives de présenter les BRICS comme un concurrent du G7 ne sont rien de plus que de la propagande militaire occidentale, visant à présenter d'autres grandes puissances comme des prédateurs à l’image des États-Unis et leurs alliés ».

Il poursuit son explication : « Les pays BRICS devront bientôt trouver un compromis très difficile entre des attentes exagérées concernant leur influence sur les affaires mondiales et leur propre réticence à simplement remplacer les pays occidentaux. Idéalement, le groupe BRICS aspire à un ordre mondial où la solution des problèmes mondiaux et régionaux ne fera pas l'objet d'une compétition entre blocs hostiles ».

Le politologue est convaincu qu’en réalité « la concurrence nous hantera encore, car elle correspond à la philosophie politique de l'Occident qui a façonné l'ordre mondial pendant plusieurs siècles. Or, ce qui doit être important, c’est la possibilité d'une aide directe aux pays en développement qui se trouvent dans une situation difficile. Initialement, les BRICS étaient perçus par la Russie comme un moyen de lutter contre le monde unipolaire dirigé par les États-Unis. Mais maintenant, la Chine a commencé à partager ouvertement cette idée ».

La rivalité entre Pékin et Washington perturbe la recherche d’un consensus

Stanislav Tkachenko - professeur au Département d'études européennes de la Faculté des relations internationales de l'Université d'État de Saint-Pétersbourg et également expert du Club Valdai - rappelle que « ces dernières années, Pékin est devenu le principal rival de Washington, ce qui a obligé les politiciens du « Céleste Empire » à reconsidérer leur attitude envers les BRICS. Néanmoins, tous les membres de l'organisation ne sont pas prêts à accepter la vision de la Russie et de la Chine. L'Inde et le Brésil, très probablement, ne pourront pas rivaliser avec les États-Unis avec la même confiance . Les deux pays sont régulièrement invités aux réunions du G7. Par ailleurs, New Delhi compte toujours entretenir des relations de confiance avec les pays occidentaux. Avec le Brésil, les choses sont un peu plus compliquées. Pour le moment, le pays soutient activement l'interaction avec la Chine, mais la question de savoir si le cap fixé en matière de politique étrangère sera maintenu après les prochaines élections est une grande question . Néanmoins, il est bénéfique pour Pékin de faire progressivement des BRICS un contrepoids au G7. Et à cet égard, l'organisation devrait se développer à l'avenir. Et ses nouveaux participants seront très probablement des pays fidèles à la Chine. De plus, pour une confrontation à part entière avec les États occidentaux, le bloc doit passer par une série de transformations sérieuses ».

Les BRICS devront impérativement se doter d’institutions

Stanislav Tkachenko estime que « pour le moment, les BRICS relèvent plus d’un forum, où les dirigeants des pays participants échangent leurs points de vue sur un certain nombre de questions importantes. L'organisation manque d'institutions bien développées pour la coopération économique et il faudra beaucoup de temps pour les créer . Cependant, le rôle actuel des BRICS sur la scène internationale est une étape tangible vers la création d'un monde multipolaire. Il s'agit d'une association d'États égaux, chacun ayant ses propres initiatives d'intégration régionale. Les membres de l'organisation sont vraiment subjectifs, ce qui s'inscrit dans la logique de la lutte contre l'hégémonie américaine ».

L'économiste Ivan Lizan adhère à un point de vue légèrement différent. « A mon avis, il est encore impossible de parler de la préparation de tous les pays BRICS à affronter le G7. En Afrique du Sud, il existe des divisions internes sur l'avenir du pays. L'Inde tente de rester neutre tout en maintenant une relation difficile avec la Chine. Le Brésil, à son tour, souffre d'une politique étrangère volatile . C'est ce type de coopération qui est fortement développé au sein du G7. Les Américains ont construit le soi-disant monde global sous sa forme actuelle et ont permis aux alliés de s'y intégrer dans des conditions favorables . Les BRICS sont désormais plus liés à la politique qu'à l'économie. J'admets que Pékin envisage peut-être d'élargir la coopération avec des partenaires de l'organisation et de créer un contrepoids au G7, mais dans un avenir proche, nous devrions voir des étapes pratiques en termes de coopération économique. Bien sûr, une telle alliance est très importante pour que la Chine étende sa propre influence . Les BRICS peuvent vraiment devenir la réponse au monde unipolaire. L'association continuera à se développer, à rechercher de nouveaux alliés et des formats modernes d'interaction avec la communauté mondiale sans les États-Unis et ses partenaires. Mais cela prendra plus d'un an ».

Lizan conclut que « Pour la Russie, de tels processus sont bénéfiques, car nous entretenons des relations constructives avec la Chine et les autres États BRICS. En outre, la réussite de l’opération spéciale en Ukraine aura une grande influence sur le processus d'établissement de l'organisation en réponse au monde unipolaire ».

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