La tournure que prend le débat sur l’immigration est un des nombreux signes de la fin du macronisme. Le président en place a été élu en 2017 avec le soutien d’une caste dirigeante qui voulait mettre fin au débat politique. En 2022, reconduire le soutien à Macron, c’était souhaiter que se prolonge le plus longtemps possible une ère où les Français sont libres de penser pourvu que la partie française de la caste ne doive pas renoncer à la rente que lui procure la mondialisation. C’est ce moment qui est en train de finir. La société française aspire au débat. Nous vous l’avons expliqué sur le Frexit. Il se passe la même chose sur l’immigration. La démocratie sortira-t-elle revigorée des prochains mois ?
Emmanuel Macron aurait bien aimé empaqueter avec la ficelle du “en même temps” un accord avec Les Républicains pour une loi sur l’immigration. Pour cela, il fallait accepter une condition posée par la bande à Ciotti : renoncer à la régularisation des “sans-papiers” dans les “métiers en tension”.
Et puis patatras : un groupe de 35 parlementaires a publié ce 11 septembre une tribune dans Libération.
Nous portons un projet humaniste et concret. Nous souhaitons l’adoption de trois mesures urgentes pour l’accès des personnes étrangères au travail.
Tout d’abord, nous assumons la nécessité d’une régularisation de travailleuses et de travailleurs sans papiers, dans tous ces métiers qui connaissent une forte proportion de personnes placées en situation irrégulière. (…) A cela s’ajoutent toutes celles et ceux qui sont présents sur le territoire national et qui sont empêchés de travailler faute de papiers. (…) Enfin, il faut d’urgence remédier à la situation d’embolie des préfectures qui conduit à fabriquer chaque jour de nouveaux sans-papiers.
Il est temps de fixer un délai maximal à l’administration pour accorder un rendez-vous en préfecture, comme c’est la règle pour les passeports «talent», et d’augmenter considérablement le nombre de rendez-vous y compris en présentiel en affectant davantage de moyens aux services chargés du séjour des étrangers au sein des préfectures.
Ces trois mesures sont à la fois urgentes, humanistes et concrètes. Si le gouvernement n’est pas en mesure de les faire rapidement adopter par le Parlement, nous en prendrons l’initiative.
Libération, 11 septembre 2023
On ne peut pas traiter l’immigration par le “en même temps”
En voilà une bonne nouvelle, une gauche de l’Assemblée se reconstitue, qui fait savoir très clairement à Emmanuel Macron qu’il ne peut pas escamoter le débat avec ses propos-fleuve habituels, destinés à faire céder les interlocuteurs, par lassitude.
Face à cette gauche qui renaît, les droites vont utiliser l’occasion pour intensifier la pré-campagne des européennes. Emmanuel Macron va fédérer aussi à son corps défendant, à sa droite. Puisqu’au fond Marion Maréchal, Jordan Bardella et François-Xavier Bellamy seront au moins d’accord sur un point : ils trouvent Emmanuel Macron laxiste en matière d’immigration.
Il est peu probable qu’une motion de censure commune soit présentée, par une droite et une gauche aussi opposées, lors d’un débat parlementaire. En revanche, Emmanuel Macron voit se refermer inexorablement la perspective du “en même temps”. Il devient impossible à tenir sur un domaine où le pays est aussi profondément divisé.
Le retour du débat
Nous vous l’avons dit, nous plaidons pour que le Frexit devienne – enfin – un sujet de débat large et ouvert à l’occasion de ces élections européenne. De même, nous ne pouvons que nous réjouir qu’Emmanuel Macron soit menacé à la fois sur sa gauche et sur sa droite, lui qui rêvait de faire – avec Gérald Darmanin – un hold-up sur le sujet de l’immigration.
En réalité, sur ces deux sujets, le mécanisme est le même : pour la caste, pour les médias (à subvention publique) qui la soutiennent, il est des sujets tabous. On ne met pas en cause la légitimité de l’Union Européenne. Et on ne peut pas avoir des positions “d’extrême-droite” sur l’immigration. Ni “d’extrême-gauche”.
Pourtant, sur ces deux sujets, les Français peuvent reprendre goût à la politique ! Pourvu que l’on laisse le débat se déployer. Il est légitime et souhaitable de s’interroger sur le marché de l’énergie en Europe – ou carrément sur l’appartenance de notre pays à cet ensemble aujourd’hui asphyxiant qu’est l’Union Européenne. De même, sur l’immigration, il est utile et normal qu’il y ait une gauche qui plaide pour plus de légalisation, et une droite qui s’y oppose farouchement.
Ensuite, les alternances politiques sont faites pour cela : permettre aux différentes forces qui concourent à l’expression politique de la nation de pouvoir, pendant quelques années, mettre en œuvre la politique qu’ils jugent la plus opportune.
La caste a perdu
Il y a trente ans, le “There Is No Alternative” (TINA ‘Il n’y a pas d’alternative”) de Madame Thatcher a été pris à contresens : elle avait juste voulu signifier que la Grande-Bretagne ne pouvait pas se payer le luxe d’une n-ième défaite du gouvernement britannique face au syndicat des mineurs. Margaret Thatcher faisait de la politique. Elle voulait mettre fin à l’influence du socialisme dans son pays.
C’est ensuite, en particulier avec Madame Merkel, fille du progressisme ouest-allemand et du du communiste est-allemand, que le “Il n’y a pas d’alternative” est devenu la justification d’un escamotage permanent du débat démocratique.
Tout ceci est cohérent : le mondialisme ne veut pas d’un débat dans la nation, puisque celle-ci n’a plus de raison d’être, est vouée à disparaître. Même si les décideurs français sont moins combatifs que d’autres dans la mondialisation, ils ont vu en 2016-2017 tout le profit qu’ils pouvaient retirer du “en même temps” macronien. Il s’agissait de maintenir le débat politique, donc la démocratie, sous le boisseau.
En 2022, le patronat français a finalement préféré, malgré des réserves, garder Macron. Dans l’atmosphère “post-COVID”, nos super-rentiers de la mondialisation naguère heureuse espéraient pouvoir continuer à geler le débat sur tous les sujets. En fait, la caste des décideurs français avait mangé son pain blanc en 2022 ; et elle ne le savait pas.
Les mondialistes ne veulent pas de débat sur la nation parce qu’ils haïssent les nations mais le mondialisme n’est pas que socialiste, il est aussi libéral. Le libéralisme et le socialisme proviennent de la même matrice, la philosophie des Lumières et l’idéologie de la Révolution française lesquelles portaient l’individualisme. Les révolutionnaires libéraux de 1789 ne connaissaient que l’individu et le genre humain. La nation dont ils parlaient n’était pas une communauté culturelle forgée au cours de l’histoire mais un agrégat de partisans de leur idéologie; rien à voir donc avec la notion de naissance dans une communauté particulière. Le mot “nation” a été utilisé par les révolutionnaires, faute d’un autre mot disponible sans doute, avec une signification complètement différente de celle qu’il avait auparavant. Dans le dictionnaire de Furetière publié en 1690, le mot nation désigne un peuple particulier doté d’un territoire, d’une langue et d’institutions politiques propres; ce n’était pas une association de coupeurs de têtes. À Rome, la “natio” était le groupe ethnique auquel on appartenait; la “patria” étant la Cité romaine, dans son ensemble, dotée de ses institutions politiques. La “natio” du chantre de la République romaine, Cicéron, était Arpinum et sa “patria” était la Cité romaine.
Monsieur Bruno Guillard je suis entièrement d’accord avec vous, je vous félicite pour votre commentaire et je pense que le professeur Husson va vous demander de rédiger des articles pour le CdS.
« La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. » — François Mitterrand.
Visiblement la France n’a pas encore appris grand chose depuis que “tonton” nous a quitté …
Nous connaissons l’art de Macron ( le serpent Kaa du livre de la jungle) pour contourner le débat démocratique, l’initiative des parlementaires de gauche pourrait réveiller les parlementaires de droite et lancer un débat parlementaire. Si un pays souverain doit avoir une politique favorisant la natalité des ses nationaux, à défaut elle doit contrôler l’immigration comme le font les danois.
Chers lecteurs, je vous renvoie vers Michel Drac, qui pointait déjà la fracture en 2017. Sa drôle de vidéo sur les européennes de 2019 est toujours d’actualité.
https://youtu.be/096pF9SU0kw
ne pas confondre libéralisme et capitalisme de connivence (copinage, réseaux,…).
le patronat (Medef) et le macronisme sont en France le même milieu.
Je suis très favorable au débat sur le Frexit mais je ne suis pas dupe.
Ce débat n’existera que si nous l’imposons et il ne se fera pas avec les partis de l’AN sauf contraints et forcés. Il n’y a plus aucune opposition (élue) depuis belle lurette.
Tous les parlementaires représentent l’atlantisme, et l’atlantisme n’est rien d’autre qu’une forfaiture, une haute trahison, de l’anti patriotisme patenté, de l’allégeance à ceux qui ne sont pas nos alliés et qui nous détruisent via une soft power cynique parfaitement dosée.
Le patronat n’a pas préféré garder Macron. Il sait que choisir la souveraineté c’est s’exposer à une compétition directe féroce et mafieuse de la part des USA. Il sait que le prix à payer peut parfois être celui qu’a payé Christophe de Margerie.
Le débat sur le Frexit ne peut exister qu’avec la vraie opposition, celle qui est mise au ban, et ceux qui en dehors de tout parti ont une parole libre, je pense à des gens comme Charles Gave, Alain Le Bihan, Alain Juillet, Marc Gabriel Draghi, Valérie Baugault, Jacques Sapir, Philippe Muëller, Loïk Le Floch-Prigent, Caroline Galacteros, Xavier Moreau, Général Dominique Delawarde, Stanislas, Berton, Annie Lacroix-Riz, etc.
Et peut-être vous aussi, rédacteurs et éditorialistes du CdS ?
À une barrière il n’y a que deux côtés.
Vous avez le pouvoir de proposer, de susciter, d’organiser. Je vous y encourage.
La France dispose aujourd’hui de deux cartes maîtresses dans sa manche, voire de trois: les USA sont en grande perte de vitesse, le monde multipolaire des BRICS nous tend les bras, et les Allemands nous ont trahi en flinguant notre électricité bon marché.
Qu’attendons nous pour retrouver notre liberté et notre prospérité ?
Christophe de Margerie a ouvertement évoqué l’idée d’acheter le pétrole dans une autre devise que le dollar. C’était en 2014.