URBI & ORBI – Nous voici à l’avant-dernière étape de notre exploration pascale des visages de Marie. Il y a quelques jours, nous parlions de Marie, de la paix et de la Russie. Transportons-nous aujourd’hui à l’origine de l’épopée chrétienne, en Terre Sainte, là où les chrétiens veillent et prient, envers et contre tout, aux lieux où s’est passé il y a un peu plus de deux mille ans, l’événement le plus décisif de l’histoire: l’union de l’homme à Dieu dans le sein d’une jeune fille de Nazareth, Marie, fille d’Israël, que les papes appellent “Mère de l’Eglise” et dont l’Islam défend – ce que beaucoup de chrétiens ignorent – la maternité virginale. C’est de Notre Dame de Nazareth que je voudrais parler aujourd’hui, en mettant mes pas dans ceux d’un des plus grands intellectuels chrétiens du XXè siècle, Louis Massignon, spécialiste de l’Islam mais aussi observateur angoissé, dès 1948, des haines qu’allait produire la création de l’Etat d’Israël, alors que, pendant des siècles, chrétiens, juifs et musulmans avaient coexisté pacifiquement en Terre Sainte. Il est bon de se tourner vers la Vierge de Nazareth car elle a les clés de la paix entre chrétiens, juifs et musulmans.
Au début de la Guerre de Gaza, je suis tombé sur cette belle mise en parallèle. Une mère de Gaza portant son enfant dans les bras dans une attitude évoquant, jusqu’aux couleurs et à la texture des vêtements, une icône d’une Vierge à l’Enfant. Le fond du tableau n’est pas le même: sur l’icône nous avons l’or de la lumière divine dans laquelle baignent l’Enfant-Dieu et sa mère. Sur la photo prise il y a moins de six mois, on aperçoit les ruines causées par la guerre. L’Enfant Jésus est serein; son petit frère palestinien est inquiet.
La mère de l’enfant palestinien est musulmane mais l’auteur du diptyque est chrétien. Il se rappelle que Jésus de Nazareth nous a appris à chercher Dieu chez les pauvres, les persécutés, les personnes souffrantes.
Le scandaleux silence de beaucoup de catholiques de France devant le sort des Palestiniens
Il y a quelques semaines, j’avais adressé une lettre ouvertes à mes frères catholiques à propos des événements de Gaza. Malheureusement, je n’ai pas un mot à changer:
Je m’adresse à mes frères catholiques, dont je comprends de moins en moins le silence. Je pense bien entendu, pour commencer à nos évêques . En actionnant le moteur de recherche du site de la Conférence des Evêques de France, je vois bien une lettre de soutien du président de la CEF, Monseigneur de Moulins-Beaufort, adressée au patriarche de Jérusalem, après l’assassinat de deux chrétiennes par l’armée israélienne dans l’enceinte de la paroisse catholique de Gaza. C’est important mais un peu court.
Ici, au Courrier, nous avons, dès les premiers jours de la guerre, attiré l’attention sur les souffrances des chrétiens de Gaza. Mais nous n’éprouvons pas moins de compassion pour les souffrances des autres habitants de Terre Sainte depuis le 7 octobre. Avant de parler de juifs ou de musulmans, ce sont des êtres humains que nous voyons.
Chez les autorités catholiques français, il y a eu un peu d’émotion à la nouvelle des victimes juives de la guerre déclenchée par la résistance palestinienne le 7 octobre. Mais je n’ai rien entendu de significatif concernant le sort de nos autres frères dans la foi d’Abraham, les musulmans de Palestine. Je peux avoir manqué tel texte ou telle prise de position. Mais avouons que cela veut dire qu’il n’y a rien eu de très audible.
C’est d’autant plus frappant que la situation humanitaire devient de plus en plus dramatique. (…)
Comment expliquer ce silence? A vrai dire, je ne vois que de mauvaises raisons.
+ L’attaque du 7 octobre? Je laisse de côté les rectifications documentées dans la presse israélienne elle-même, des événements du 7 octobre. En admettant même qu’il se soit agi d’une attaque terroriste pour massacrer des civils (il s’agissait en fait d’une attaque d’abord militaire pour déstabiliser Tsahal et prendre des otages afin de négocier la libération de prisonniers palestiniens), où a-t-on vu qu’un massacre puisse en légitimer un autre? A fortiori quand les pertes deviennent asymétriques au point que nous connaissons aujourd’hui!
+ Le risque pour le dialogue avec nos “frères aînés dans la foi”, pour reprendre la belle formule de saint Jean-Paul II? Mais où a-t-on vu que la vérité doive être sacrifiée sur l’autel du dialogue entre frères? D’abord, le soutien au gouvernement Netanyahu est loin d’être unanime parmi les Juifs du monde. Ensuite, il serait étonnant que des catholiques férus de dialogue avec ceux sont nous partageons une grande partie des Ecritures saintes oublient l’essence même du prophétisme hébreu, la défense des faibles, des pauvres et des opprimés. Dans le Premier Testament, ils sont les protégés de Dieu. Pour nous chrétiens, ils sont même l’image par excellence du Christ!
+ La peur de l’Islam? Mais qui est le fort et qui est le faible, depuis vingt ans, dans le (pseudo-)choc des civilisations depuis vingt ans? Qui n’a cessé de bombarder des^populations musulmanes depuis des décennies, sinon les Etats-Unis et leurs alliés -dont Israël? A vrai dire, quand je pense aux souffrances qu’ont subies nos frères musulmans, fils d’Abraham d’une autre manière que nous, mais incontestable (on lira sur ce point le grand Louis Massignon) en Irak, en Syrie, en Afghanistan, en Libye, je suis surpris que la réaction de l’Islam n’ait pas été plus violente. La violence des islamistes, indéniable, est pourtant très asymétrique avec celle de cette machine à tuer des civils qu’est devenue l’armée américaine -Israël copiant de plus en plus son protecteur.
Il n’y a pas d’argument qui tienne pour excuser notre silence, comme catholiques français, face aux souffrances des Gazaouis. Il est temps d’élever la voix
Le Courrier des Stratèges, 31 janvier 2004
Louis Massignon et la conquête de Nazareth par l’Irgoun en 1948
Je citais alors Louis Massignon. Je ne cesse, ces jours-ci, de relire les textes d’un de nos plus grands arabisants, professeur au Collège de France, qui parcourut le Proche et le Moyen-Orient et l’éprouva dans sa chair, des années qui précédèrent la Première Guerre mondiale aux lendemains de la Seconde.
Massignon avait porté, aux lendemains de la Première Guerre mondiale, un regard favorable sur le mouvement sioniste; et il ne s’est jamais départi d’une empathie profonde pour le sort des Juifs persécutés, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais il était trop chrétien et convaincu de l’importance d’une coexistence fraternelle entre les trois souches, à la fois charnelles et spirituelles, issues d’Abraham, pour ne pas pousser un cri d’alarme devant la violence croissante du sionisme, à commencer par celle du sionisme révisionniste, dont il fut l’un des premiers à identifier le trouble qu’il apportait en Terre Sainte.
Relisons la douleur lucide de Louis Massignon au moment de la conquête de Nazareth par l’armée sioniste en 1948:
A la suite d’une préparation d’artillerie de plusieurs jours, bombardement de positions avancées, la “ville arabe de Nazareth” a été occupée le 17 juillet 1948 par les troupes sionistes, composées principalement de volontaires de l’Irgoun.
Sous un prétexte stratégique illusoire: pour mieux marchander l’échange de la Galilée contre le Négueb avec les pétroliers de l’ONU.
Nous sommes à une époque moderne, où on laboure les cimetières et où l’on va féconder artificiellement les mères.
A part quelques nonnes et quelques moines qui, par préjugé topographique, pour “‘composer le lieu” de leur méditation, optent d’aller vivre et mourir en Terre Sainte, sur le terroir natal de la chrétienté, la prise de Nazareth ne pouvait guère émouvoir l’opinion dans cet Occident chrétien (…).
Modernisée, américanisée, [la chrétienté] ne croit plus au “mystère des lieux d’élection” pour son salut.
Elle s’en remet, les yeux fermés, à des techniciens internationaux, qui ont été choisir la Terre Sainte comme champ d’expériences pour une industrialisation étouffante (…).
Nazareth, en 1936, s’était rebellée, quand, avec la complicité britannique, des colonies sionistes avaient voulu s’y installer à ses portes, elle qui, depuis mille six-cents ans, interdit à ceux qui doutent de Marie, d’y habiter (il n’y a à Nazareth que des Arabes orthodoxes, catholiques et protestants, avec les Musulmans)
Louis Massignon, pp.760-61
L’honneur de la Vierge
A quoi fait allusion le grand orientaliste, qui laisse ici parler son cœur de chrétien? Relisons d’abord l’Evangile de Matthieu, qui raconte la conception virginale de Jésus et la réaction de Joseph, fiancé de Marie:
18 Or, voici comment fut engendré Jésus Christ : Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ; avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret.
20 Comme il avait formé ce projet, voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ;
21 elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
22 Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète :
23 Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous »
24 Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse,
25 mais il ne s’unit pas à elle, jusqu’à ce qu’elle enfante un fils, auquel il donna le nom de Jésus.
Evangile de Matthieu, chapitre 1
Mon maître Claude Tresmontant a montré de façon décisive dans son ouvrage révolutionnaire Le Christ hébreu (1984), que les évangiles ont été rédigés en hébreu avant d’être traduits en grec; et il les date de quelques années – deux ou trois décennies au maximum – après la Résurrection. En particulier, l’évangile de Matthieu (comme celui de Jean) datent pour lui sans aucun doute des années 30 de notre ère.
Si l’on suit cette datation, le récit chrétien de la conception virginale du Messie comme accomplissement d’une prophétie d’Isaïe a été connu très tôt et il a contribué essentiellement aux choix faits par les enfants d’Israël: certains ont adhéré au récit de l’Incarnation et d’autres l’ont au contraire rejeté.
Comme j’y ai déjà fait allusion en parlant de Louis XI à Notre-Dame de Cléry, le catholique est appelé trois fois par jour par les cloches de son église paroissiale à réciter la prière de l’Angélus, ce triple Ave Maria entrecoupés de versets racontant le dialogue entre Marie et l’Ange Gabriel.
Le chrétien orthodoxe chante, lui, pour l’Annonciation, le grand hymne acathiste à la Mère de Dieu, dont chaque stance se termine par ces mots adressés à la Vierge “Réjouis-toi, épouse inépousée!”. En voici un extrait:
Même si nos frères évangéliques se méfient d’un culte marial, la plus belle mise en musique de l’Ave Maria est celle du protestant Jean-Sébastien Bach. Ici dans l’interprétation de Maria Callas:
Comme nous le rapportent déjà les Actes des Apôtres, le judaïsme a cristallisé dans le refus de la messianité de Jésus. Et, bien évidemment, le refus de sa naissance miraculeuse. Dans une version extrême, il y a ces récits portant atteinte à l’honneur de la Vierge de Nazareth, auxquels fait allusion Massignon:
Celse, nous dit Origène, « présente … un Juif en dialogue avec Jésus lui-même, prétendant le convaincre de plusieurs choses, et la première, d’avoir inventé (plasmenou) sa naissance d’une vierge. Puis il lui reproche d’être issu d’un bourg de Judée, et né d’une femme du pays, pauvre fileuse. Il affirme : Convaincue d’adultère, elle fut chassée par son mari, charpentier de son état. Il dit ensuite que rejetée par son mari, honteusement vagabonde, elle donna naissance à Jésus en secret ; que celui-ci fut obligé, par pauvreté, d’aller louer ses services en Égypte ; il y acquit l’expérience de certains pouvoirs magiques dont se targuent les Égyptiens ; il s’en revint, tout enorgueilli de ces pouvoirs, et grâce à eux, il se proclama Dieu » (I, 28 ; trad. Borret)
Daniel Barbu, L’évangile selon les Juifs; à propos de quelques témoignages anciens, journals.openedition.org
Massignon nous rappelle aussi au passage que Mahomet, et l’Islam après lui, défend l’honneur de Marie:
“Lors les anges dirent: ‘Marie, Dieu te fait l’annonce d’un Verbe de Lui venu. Son nom est le Messie Jésus, fils de Marie, prodigieux dans cette vie et dans l’autre, et du petit nombre des rapprochés de Dieu.
Il parlera aux hommes, du berceau jusqu’à l’âge adulte, et sera au nombre des gens pieux.’
‘Mon Seigneur, dit-elle, comment enfanterais-je sans qu’un homme ne m’ait touchée? – C’est ainsi, dit-Il’
Dieu crée ce qu’Il veut. S’Il décrète une chose, il Lui suffit de dire: ‘Sois!’ et elle est!”
Coran, sourate III, 45’47, traduction Jacques Berque
Voilà pourquoi Louis Massignon souligne que les chrétiens de Nazareth ont laissé, à travers les siècles, les musulmans habiter avec eux auprès de la basilique de l’Annonciation, et non les juifs. Il parle bien entendu d’une époque où l’intransigeance de la fidélité religieuse n’empêchait pas, par ailleurs, chrétiens, juifs et musulmans de coexister pacifiquement en Terre Sainte.
“Le coeur simple d’une jeune Juive de 15 ans a conçu le Salut du monde”
Continuons à lire les lignes si profondes de Massignon, toute à son angoisse de voir la jeune armée sioniste indifférente au respect des Lieux Saints:
Il y a naturellement, des sentinelles de l’Irgoun, pour veiller, à la place des Franciscains, sur la crypte de l’Annonciation.
Sur le lieu où le coeur simple d’une jeune Juive de quinze ans a conçu le Salut du monde. (…)
Le Sionisme, qui néglige la sainte liturgie hébraïque, ne comprend pas qu’en prenant Nazareth avec ses mains sanglantes, il imite au fond Antiochus ou Pompée cherchant le Dieu auquel ils ne croyaient pas derrière le voile du Temple.
Qu’y trouvera-t-il ? puisqu’il n’y a plus rien, lui avoue la chrétienté moderne. (…) [Et pourtant] tout chrétien, pour œuvrer le salut commun, doit “rentrer dans le sein de sa Mère”, comme Jésus disait à Nicodème, et se faire Nazaréen, ‘Nasrani’, comme nous appellent très justement les Musulmans, arabes et non arabes. (…)
Je n’essaie pas de pénétrer les motifs du silence que gardent, devant la prise de Nazareth, les chefs, quels qu’ils soient, de la chrétienté. Est-il décent, pour les fils, de laisser prendre les clés, les portes de la Maison de leur Mère par des parents à Elle, qui l’ont reniée de son vivant et n’ont pas encore reconnu qu’Elle était et est toujours innocente et pure; en cette Palestine où, depuis treize siècles, la présence mystérieuse de l’Islam arabe demande à Israël de la reconnaître avec lui.
Survivrons-nous, chrétiens, en Occident, si nous ne défendons pas le droit des Arabes, qui honorent notre Mère, à vivre libres en Terre Sainte, et, pour commencer à Nazareth
Louis Massignon, ibid, pp.761-763
Fille d’Abraham et fugitive
Je conçois que certains de mes frères chrétiens, baignés dans une conception vague du dialogue “judéo-chrétien” soient surpris par les lignes qui précèdent.
Je suis le premier à bénir la remise en valeur des “racines hébraïques” du christianisme qu’ont encouragée les papes depuis Pie XII. J’ai moi-même tant appris auprès de Claude Tresmontant, de Jean Carmignac, de Jacqueline Genot-Bismuth. J’aime me plonger dans la Bible en hébreu et aussi dans une version des évangiles en langue hébraïque: y a-t-il rien de plus éclairant pour la foi que de lire les paroles de Jésus dans la langue où il enseignait?
Pour autant, je suis inquiet, depuis des années, de voir que beaucoup de mes frères catholiques se sont laissés entraîner dans une confusion entre judaïsme et sionisme. Sans aller jusqu’aux excès de ces chrétiens sionistes américains qui voient dans l’Israël moderne une annonce du retour imminent du Christ, trop de catholiques de France confondent la critique de Netanyahu avec une critique de l’Etat d’Israël en tant que tel; et l’antisionisme – que portent éventuellement des Juifs à travers le monde – avec de l’antijudaïsme ou de l’antisémitisme. On est très loin de l’enseignement très équilibré du pape saint Jean-Paul II lors de sa visite en Terre Sainte, en 2000, apportant un message de paix à tous les enfants d’Abraham.
L’histoire a donné tort à Massignon, d’un côté, puisque Nazareth est restée entre les mains des Israéliens lors de la création de l’Etat d’Israël. Mais cela ne change rien, au contraire, au caractère prophétique de son texte. Et ceci malgré le fait que le gouvernement israélien autorisa, en 1954, la construction d’une basilique monumentale venue remplacer l’église que Massignon avait connue.
Je vais en Israël, régulièrement, depuis 1989: et j’ai fait cette expérience à chacun de mes voyages: l’indéniable admiration que l’on éprouve devant les réalisations des juifs d’Israël est toujours tempérée par des mauvais traitements que je vois infliger à mes frères chrétiens.
Je me souviens comme si c’était hier, de ma première visite à la basilique de la Nativité, à Bethléhem, en juillet 1989: alors que notre groupe de pèlerins arrivait sur l’esplanade devant la basilique, des soldats israéliens emmenaient un jeune Palestinien qu’ils avaient menotté après qu’il eut installé un drapeau palestinien sur le toit de la basilique – un résistant pacifique à l’occupation de son pays. Je ne suis pas étonné d’apprendre ces jours-ci que la présence chrétienne a drastiquement diminué à Bethléem. Mais qui s’en soucie dans la chrétienté d’Occident – qui, conformément à la prophétie de Massignon ne comprend pas pourquoi elle s’étiole, elle aussi?
J’ai vu tant de fois mes frères chrétiens arabes empêchés d’accéder à la basilique du Saint-Sépulcre par un cordon de soldats alors que les chrétiens de toutes les autres nationalités – dont moi-même – pouvaient passer. Je n’ai pas été surpris d’apprendre que le petit groupe des chrétiens de Gaza était autant maltraité que la population musulmane – avant et après le 7 octobre.
Et, toujours pour parler comme Louis Massignon: l’histoire nous pardonnera-t-elle, à nous chrétiens d’Occident, cette nouvelle trahison: celle d’avoir laissé l’armée israélienne bombarder l’église de la Sainte Famille, à Gaza, ce Lieu Saint que nous devrions chérir puisque l’Enfant Jésus y séjourna quelques mois, avec saint Joseph et la Vierge, de retour d’Egypte, sur la route de Nazareth?
Notre Dame de Gaza
En 1990, le pape Jean-Paul II avait vainement conjuré les nations chrétiennes d’Occident qui se lançaient dans la guerre d’Irak. Il avait annoncé prophétiquement que la guerre voulue par les Américains – alors qu’une négociation était possible – déboucherait sur l’exode des chrétiens du Proche-Orient. Avant de mourir, au printemps 2005, le saint pape avait eu la douleur de voir, contre tous les appels à la paix qu’il avait lancés lors de son voyage en Terre Sainte, les Américains déclencher des déluges de feu, en Afghanistan puis en Irak. Plus tard il y a eu la Libye et la Syrie, désastres dans lesquels nos gouvernants nous ont engagés. Ce sont les mêmes pulsions de violence qui avaient poussé Ariel Sharon, dès septembre 2000, six mois exactement après la visite de Jean-Paul II en Terre Sainte, à se rendre sur l’esplanade des Mosquées et relancer, par cette provocation, la guerre entre Juifs et Arabes.
En réalité, l’actuelle Guerre de Gaza est le paroxysme d’une crise vieille de vingt-cinq ans, quand les héritiers du sionisme révisionniste, Sharon et Netanyahu en tête, ont décidé de tout faire pour empêcher l’avènement d’un Etat palestinien. Relisons la chronique émouvante, intitulée “Notre Dame de Gaza”, qu’écrivait Ramzy Baroud, le 3 mai 2019, deux semaines après l’incendie de Notre-Dame-de Paris:
Alors que la flèche de la cathédrale Notre-Dame à Paris s’écroulait tragiquement et en direct à la télévision, mes pensées se sont tournées vers le camp de réfugiés de Nuseirat, les lieux de mon enfance dans la bande de Gaza.
C’était également à la télévision que j’avais vu un petit bulldozer fouiller désespérément dans les décombres de la mosquée de mon quartier. J’ai grandi autour de cette mosquée. J’y ai passé de nombreuses heures avec mon grand-père, Mohammed, un réfugié de la Palestine historique. Avant que grand-père ne devienne un réfugié, il était un jeune imam installé dans la petite mosquée de Beit Daras, son village depuis longtemps détruit.
Dès leur arrivée dans la bande de Gaza, fin 1948, Mohammed et de nombreux membres de sa génération s’installèrent dans le camp de réfugiés. La nouvelle mosquée avait d’abord été construite en pisé, puis rebâtie à l’aide de briques puis de béton. Il y passa une grande partie de son temps et lorsqu’il mourut, son vieux corps devenu si fragile fut emmené dans cette même mosquée pour une dernière prière avant d’être inhumé dans le cimetière des martyrs situé juste à côté. Quand j’étais encore enfant, il me tenait la main lorsque nous marchions ensemble vers la mosquée aux heures de prière. Lorsqu’il a vieilli et qu’il pouvait à peine marcher, c’était moi qui lui tenait la main.
Mais Al-Masjid al-Kabir – la Grande Mosquée, rebaptisée plus tard Mosquée Al-Qassam – a été entièrement pulvérisée par des missiles israéliens lors de la guerre de l’été 2014 à Gaza, qui avait débuté le 8 juillet.
L’armée israélienne a pris pour cible des centaines de lieux de culte palestiniens lors des guerres qui avaient précédé, notamment en 2008-2009 et en 2012. Mais la guerre de 2014 a été la plus brutale et la plus destructrice à ce jour. Des milliers de personnes ont été tuées et d’autres blessées. Rien n’était à l’abri des bombes israéliennes.
Selon les registres de l’Organisation de libération de la Palestine, 63 mosquées ont été détruites et 150 endommagées au cours de cette seule guerre, souvent avec les personnes qui avaient voulu y trouver un refuge. (…)
Alors que l’incendie consumait la charpente en chêne et une grande partie de la structure, les Français et de nombreux pays du monde entier ont été sous le choc. C’est comme si les souvenirs, les prières et les espoirs d’une nation enracinée dans l’histoire resurgissaient, s’élevant d’un seul coup avec les colonnes de fumée et de feu.
Mais les médias mêmes qui ont couvert l’actualité de l’incendie de Notre-Dame semblaient oublier que tout ce que nous considérions comme sacré en Palestine était effacé, car, jour après jour, l’appareil de guerre israélien continuait à pulvériser, détruire et profaner.
C’est comme si nos religions ne méritaient aucun respect, même si le christianisme est né en Palestine. C’est là que Jésus a parcouru les collines et les vallées de notre patrie historique pour enseigner aux gens la paix, l’amour et la justice. La Palestine est également au centre de l’islam. Haram al-Sharif, où la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher se trouvent, est le troisième site le plus saint pour les musulmans du monde entier.
Les sites religieux chrétiens et musulmans sont assiégés, souvent envahis et fermés par ordres militaires. De plus, les fascistes juifs messianiques protégés par l’armée israélienne veulent démolir Al-Aqsa, et le gouvernement israélien creuse sous ses fondations depuis de nombreuses années.
Bien que rien de tout cela ne soit fait en secret, l’indignation internationale reste en sourdine. Beaucoup trouvent les actions d’Israël justifiées. Certains ont avalé sans broncher l’explication ridicule offerte par l’armée israélienne selon laquelle le bombardement de mosquées est une mesure de sécurité nécessaire. D’autres sont motivés par de sombres prophéties messianiques.
La Palestine, cependant, n’est qu’un microcosme de toute la région. Beaucoup d’entre nous sont au courant des terribles destructions perpétrées par des groupes militants marginaux contre le patrimoine culturel mondial en Syrie, en Irak et en Afghanistan. Les plus mémorables parmi celles-ci sont la destruction de Palmyre en Syrie, des bouddhas de Bamyan en Afghanistan et de la Grande Mosquée Al-Nuri à Mossoul.
Rien, cependant, ne peut être comparé à ce que l’armée d’invasion américaine a fait à l’Irak. Les envahisseurs ont non seulement profané un pays souverain et brutalisé son peuple, mais ils ont également dévasté sa culture, laquelle remonte au début de la civilisation humaine. Les retombées immédiates de l’invasion ont entraîné le pillage de plus de 15 000 antiquités irakiennes, dont la Dame de Warka également connue sous le nom de Mona Lisa de Mésopotamie, un objet d’art sumérien dont l’histoire remonte à 3100 avant JC.
J’ai eu le privilège de voir nombre de ces merveilles lors d’une visite au musée national irakien quelques années à peine avant que les soldats américains ne le pillent. À l’époque, les conservateurs irakiens avaient caché toutes leurs pièces précieuses dans un sous-sol fortifié en prévision d’une campagne de bombardements américains. Mais rien ne pouvait préparer le musée à la sauvagerie déclenchée par l’invasion terrestre.
Depuis lors, la culture irakienne a surtout été réduite au marché noir des envahisseurs très occidentaux qui ont ravagé ce pays. Le travail courageux des combattants de la culture irakienne et de leurs collègues à travers le monde a permis de restaurer une partie de cette dignité volée, mais il faudra de nombreuses années à ce berceau de la civilisation humaine pour rétablir son honneur vaincu.
Chaque mosquée, chaque église, chaque cimetière, chaque œuvre d’art et chaque production artistique sont significatifs, car ils sont chargés de sens, le sens que leur ont donné ceux qui les ont construits ou y ont cherché une évasion, un moment de réconfort, d’espoir, de foi et de paix.
Le 2 août 2014, l’armée israélienne a bombardé la mosquée historique Al-Omari au nord de Gaza. L’ancienne mosquée remonte au 7ème siècle et est depuis devenue un symbole de résilience et de foi pour le peuple de Gaza.
Lorsque Notre-Dame a brûlé, j’ai aussi pensé à Al-Omari. Alors que l’incendie de la cathédrale française était probablement accidentel, des lieux de culte palestiniens aujourd’hui détruits ont été délibérément pris pour cibles. Les coupables israéliens doivent encore rendre des comptes.
J’ai aussi pensé à mon grand-père, Mohammed, le doux imam à la belle et petite barbe blanche. Sa mosquée a été sa seule évasion dans une existence très difficile d’un exil qui ne s’est terminée que par sa mort.
chroniquepalestine.com, 3 mai 2019
Oui, comme nous le disions lors de la première de nos chroniques du temps de Pâques, l’incendie de Notre-Dame-de-Paris avait bien une signification universelle. Mais Ramzy Baroud, notre frère en Abraham, nous oblige à voir beaucoup plus loin. L’incendie de Paris fut, jusqu’à preuve du contraire, accidentel; mais il nous disait quelque chose de spirituellement essentiel.
“Celui qui prend l’épée périra par l’épée” (Matthieu XXVI, 52) déclare le Christ à Pierre qui vient de trancher l’oreille d’un soldat venu arrêter Jésus. Ce que nous dit l’incendie de Notre-Dame-de-Paris, c’est que celui qui déclenche le feu, comme nous autres Occidentaux l’avons fait et le faisons encore depuis trente ans au Proche-Orient, périra par le feu.
L’incendie de Notre-Dame fut un avertissement. Parce que nous sommes encore, que nous le voulions ou non, de vieilles nations chrétiennes, le Christ en croix et Sa Mère pleine de Compassion, auprès de la Croix, sont encore au milieu de nous, prenant sur eux nos crimes, pour notre conversion. La Vierge de Nazareth nous disait: en Palestine, en Irak, en Afghanistan, c’est à mon Fils que vous vous en preniez en justifiant vos guerres par des mensonges, en massacrant des millions d’innocents. Et au pied de la Croix de mon Fils, je me consume de chagrin.
Sous nos yeux a brûlé une partie de la symphonie architecturale bâtie par nos ancêtres en l’honneur – au sens plein du terme – de la Vierge de Nazareth qui fut la Mère du Messie. Le désastre a été évité par le Saint-Sacrement brandi et le savoir-faire des pompiers de Paris. Nos gouvernants ont paradé devant l’édifice en feu; nos grandes fortunes ont tenu à ce que l’on sache qu’elles contribuaient à la rénovation du bâtiment. Tout cela ne les a pas empêchés de replonger dans leurs erreurs passées, en soutenant une nouvelle guerre au Proche-Orient, à vrai dire une guerre comme Gaza n’en avait pas encore connu.
“Ils sont tombés dans la fosse qu’ils creusaient” (Psaume 9)
On dit que la patience d’une mère est infinie, a fortiori celle de Notre Dame. Mais la Bible nous avertit aussi:
14 Pitié pour moi, Seigneur, vois le mal que m’ont fait mes adversaires, * toi qui m’arraches aux portes de la mort ;
15 et je dirai tes innombrables louanges aux portes de Sion, * je danserai de joie pour ta victoire.
16 Ils sont tombés, les païens, dans la fosse qu’ils creusaient ; aux filets qu’ils ont tendus, leurs pieds se sont pris.
17 Le Seigneur s’est fait connaître : il a rendu le jugement, il prend les méchants à leur piège.
18 Que les méchants retournent chez les morts, toutes les nations qui oublient le vrai Dieu !
19 Mais le pauvre n’est pas oublié pour toujours : jamais ne périt l’espoir des malheureux.
20 Lève-toi, Seigneur : qu’un mortel ne soit pas le plus fort, que les nations soient jugées devant ta face !
21 Frappe-les d’épouvante, Seigneur : que les nations se reconnaissent mortelles !
Psaume IX, Bible AELF
De nombreux indices laissent à penser que l’incendie de Notre-Dale n’était pas un accident.
D’ailleurs, l’annonce faite par un officiel que c’était accidentel, alors même que l’incendie n’était pas circonscrit, est aussi suspect que la culpabilité de Ben Laden annoncée immédiatement après les attentats de NY… Ou l’explication bancale du tireur isolé après l’assassinat de Kennedy.
Sidération… explication.
C’est un (le?) symbole de la France qui a été incendié au début du premier quinquennat de Macron…
Peut-être mais ce n’est pas le sujet à proprement parlé
Et si ce n’est pas accidentel alors juste retour des choses par rapport à ce qui est décrit dans l’article ?
Je ne sais pas mais quoiqu’il en soit ce monde va mal très mal et il serait temps que les gens civilisés retrouvent leurs couilles et reprennent les rênes car en ce moment seuls les écervelés manipulables et manipulés dirigent
Remercions Édouard Husson pour son retour aux sources chrétiennes pour expliquer le sens de l’histoire contemporaine. L’incendie de ND de Paris est a priori sans cause accidentelle ni criminelle alors peu importe si l’incendie est explicable ou inexplicable, il est un avertissement céleste pour les catholiques, il annonce le début des douleurs qui frappent la France. 1/ 2020: La pandémie. 2/ 2021 la vaccination anti Covid. 3/ 2022: début de la guerre d’Ukraine, année maudite qui voit la réélection d’un président fossoyeur de la France. 4/ 2023: résurgence de la guerre du proche orient, 5/ 2024: instauration de l’Europe fédérale avec euthanasie de la France et crise de la dette française. 6/2025: création de l’euro numérique, mise en esclavage des européens. Un espoir que Moscou la 3eme Rome soit le Katechon qui empêche le retour de l’antechrist. Après nous avoir sauvé de la barbarie nazie elle nous sauverait de la barbarie US.
L’hymne d’Achathistos est en l’honneur de la Mère de Dieu qui a sauvé Constantinople du siège des Abares et est chanté de manière très différente pendant le Carême dans l’Église orthodoxe.
Merci beaucoup pour ce texte et les autres. La fraternité devrait au cœur de ces catholiques qui s’accrochent à leur église comme à une bouée au lieu de relire et mettre en pratique les textes fondamentaux qui ont fondé cette église.
Il ne fait aucun doute que Jésus est l’unique lien entre Dieu et l’humanité.
Son bref passage sur terre avait pour but d’annuler l’effet mortel de la loi (mais pas de l’abolir), de prendre à son propre jeu du sacrifice par le sang de l’innocent (animal ou enfant) qui n’est que l’émanation de l’imposteur aux mille visages avec l’instrumentalisation du verbe de la loi. Ce qui explique à mon sens la différence entre l’ancien testament et les évangiles après que le faux dieu accusateur (aux mille noms également) et qui se joue des hommes (toujours d’actualité) fut démis de ses fonctions avec l’intervention de l’archange Michel.
C’est une guerre cognitive entre Jésus et le prince déchu de ce monde qui nous dépasse donc l’humanité est l’objet d’où l’action de la croix lui signifiant : “pas touche ! ” Nous aurions alors subit depuis longtemps le sort de Sodome et Gomorrhe par la connaissance des tables de la loi et ce juge impitoyable.
Cependant nous avons le libre-arbitre et la liberté.
Aussi les puissants ou non qui suivent le chemin du mépris de l’humain de l’instigateur qui est un expert de l’art de la guerre et de la prédation, et qui vont très loin dans la connerie, auront peut-être le regret même de leur naissance.
Car si le Christ tout puissant eut désigné par son humiliation personnel le chemin que doivent emprunter les grands de ce monde envers les faibles et les pauvres, a aussi fait savoir que celui qui ne travaille pas, ne mange pas. Ce qui signifie dans la langue internationale de l’économie du monde moderne : “no free lunch” et en bon français : “pas de possibilité de parasitisme”. La vraie justice n’est pas une plaisanterie.
La matière et nôtre corporalité ne sont d’après la science que vide et énergie et peut-être l’épreuve de l’humanité à avoir l’aptitude de sa particularité et de la multitude.
L’intelligence donc aussi est multiple (pas besoin d’être intelligent pour le deviner et au collège, au lycée et à l’université, on n’apprend pas une seule matière ) dont celles qu’on ignore et comme des milliers d’yeux pour “voir” la vérité, d’ailleurs les anges et les mystérieux quatre êtres vivants sont décrits par la bible comme couverts d’yeux. Les yeux au pluriel signifiant donc la vision pas étriquée, donc la clairvoyance vaste donc la connaissance et le savoir infini, donc l’intelligence supérieure et tout ce qui va avec.
C’est pourquoi pour ne pas se perdre dans tout cela il importe de retenir avec humilité que Jésus est le chemin, la vérité et la vie éternelle.
Il manque la centralité de la Croix dans votre topo.