10 observations pour mieux comprendre la guerre d’Ukraine: 1. Une Ukraine dans l’OTAN, avec des armes nucléaires stationnées sur son sol, était inacceptable pour la Russie. 2. La Russie s’est lancée dans la guerre en s’appuyant sur la supériorité – pour quelques années encore – de ses vecteurs nucléaires (hypersoniques). C’est à l’abri de sa dissuasion militaire modernisée que l’armée russe a fait le double choix, surprenant, d’engager un conflit à 1 contre 3, en termes d’effectifs, et de ne pas soumettre l’offensive à un calendrier contraignant, de manière à limiter les pertes au combat. 3. Moscou n’a jamais eu l’intention de prendre Kiev ni de conquérir tout le pays, dans la première phase du combat. L’intention était de faire pression sur l’Ukraine pour l’amener à la table des négociations. Mais le gouvernement de Kiev n’a jamais saisi la main tendue. Les Russes ont alors enclenché une deuxième étape. 4. A la première phase de “prise de gages” a succédé une deuxième phase: le gouvernement de Kiev n’ayant aucune autonomie entre la pression de Washington et celle des milices fascistes, les Russes ont amorcé une prise de contrôle systématique de tout le territoire se trouvant à l’est d’une ligne Kharkov-Odessa – la “Nouvelle Russie” reconstituée 5. Malgré l’entraînement intensif par des conseillers de l’OTAN de l’armée ukrainienne depuis 2014, la Russie n’a rencontré aucune difficulté militaire majeure depuis le 24 février. C’est au contraire l’armée ukrainienne qui perd pied progressivement pied – les pertes (tués et blessés) ont dépassé la barre des 50 000 début mai. 6. La Russie a résisté aux sanctions imposées par les Etats-Unis et l’Union Européenne comme le montrent le redressement du rouble et la montée des prix de l’énergie. 7. Les deux tiers de la planète ne se sont pas joints aux sanctions. 8. Non seulement l”Union Européenne n’a joué aucun rôle de médiation mais elle est aujourd’hui la plus durement touchée par l’effet en boomerang des sanctions. On ne peut pas exclure que l’UE – en tant qu’institution soit un “dommage collatéral” de l’affrontement géopolitique entre les Etats-Unis et la Russie – au vu de la crise économique, sociale et politique qui va tomber sur les Etats-membres d’ici la fin 2022. 9. On assiste en outre à une mise en cause du dollar comme monnaie de réserve mondiale. Un processus vers l’émergence d’un nouveau système monétaire international appuyé sur l’or, les réserves énergétiques et quelques monnaies dont le yuan, est amorcé. Il durera plusieurs années. 10. La première victime du conflit est l’Ukraine en tant qu’Etat post-soviétique et société à laquelle les Occidentaux n’ont pas laissé la possibilité de devenir une nation: la guerre conduit à une accélération de l’émigration, déjà ancienne, des classes moyennes; au basculement des russophones de l’Est dans le camp de la Russie alors qu’ils avaient été jusqu’en 2013 loyaux à la nation ukrainienne en formation; et la partition du pays apparaît aujourd’hui inéluctable. Une fois de plus le “nation-building” occidental engendre le chaos.
La Bataille d’Ukraine
Le journée du samedi 14 mai a été dans l’ensemble calme sur l’ensemble du front. les forces russes ont repris dimanche 15 mai le pilonnage de leur artillerie et les offensives ont repris le le lundi 16 mai. Le front ukrainien menace de rompre à plusieurs endroits.
« Dans le Nord de la région de Kharkov, les forces armées ukrainiennes ne font aucune réelle tentative de se frayer un chemin jusqu’à la frontière ». Les forces ukrainiennes n’occupent que des villages vides que l’armée russe a évacué pour se positionner sur une meilleure ligne de défense.
C’est sur la partie Izioum du front que la percée de l’armée russe et des Républiques est la plus visible. Barvenkovo est désormais occupée par la RPL. Les combats se sont déplacés vers le Sud. Il est rapporté que dans les environs de Krasni Liman, les forces armées ukrainiennes se sont précipitamment repliées. Les forces russes et alliées ont occupé Drobichevo et Aleksandrovka, des combats ont lieu près de Krasni Liman elle-même. De Iampol, la ligne s’est déplacée vers le village de Dibrovo.
Un peu plus au sud, sous Belogorovka, les combats pour la tête de pont se poursuivent avec acharnement. Il y a des combats dans les faubourgs de Severodonetsk. Les forces armées ukrainiennes ont détruit un pont ferroviaire pour essayer de retarder l’avancée de l’ennemi.
Autour de Popasnaïa, une zone de contrôle russe s’étend autour de la ville. Les forces russes ont avancé au-delà de Kamyshevakh.
Sous Donetsk, il y a une avancée à deux endroits. Il y a un assaut sur les banlieues de Novgorodskie (« New York ») et les routes Avdeïevka-Konstantinovka.
Sur la partie Zaporojie du front, une tentative de contre-attaque ukrainienne dans la région de Goulaypol. s’est soldée par la perte de 30 chars et de plus de 300 hommes.
(Selon certaines estimations l’armée ukrainienne aurait perdu jusqu’à 15 000 hommes, tués ou blessés, depuis le début du mois de mai. Ce chiffre est à vérifier. Mais l’impression générale est celle d’une armée ukrainienne prise au piège du fait des ordres reçus de tenir la terre ukrainienne coûte que coûte).
La plus grosse nouvelle de la soirée du 16 mai a été la reddition de 300 combattants d’Azovstal en plus de l’évacuation de 50 blessés. Il est f=difficile de savoir combien de combattants se trouvent encore dans la zone industrielle mais la nouvelle est suffisamment grave du point de vue du gouvernement ukrainien pour avoir donné lieu, dans la soirée à une réunion de crise à Kiev puis une communication alambiquée.
Dans la soirée du 16 mai, une dizaine de missiles ont touché des entrepôts d’armes occidentales récemment livrées à Iavorov, à l’ouest de Lvov.
La bataille géopolitique mondiale fait des dégâts en Occident
Can Russia be made to pay for Ukraine? https://t.co/KzvFUJOqXv i say things to the @FinancialTimes. pic.twitter.com/FqIjVVRuUI
— Simon Hinrichsen (@simonh_dk) May 17, 2022
+ L’avis exprimé par Simon Hinrichsen, chercheur invité à la LSE est moins un pronostic que la confirmation d’un constat fait par une partie du monde depuis la fin février.
+ Remarquable article dans « Oriental review », qui confirme que la capacité de pensée stratégique a déserté l’Occident:
« Analysons les leviers de contre-sanctions dont dispose la Russie.
Les combustibles fossiles
La Russie pourrait nuire gravement aux pays européens en contrôlant l’approvisionnement en combustibles fossiles de l’Europe et d’autres alliés occidentaux. En 2021, la Russie a fourni 49 % du pétrole, 74 % du gaz naturel et 32 % du charbon à l’Europe. Toute répartition des flux de combustibles fossiles par la Russie pourrait avoir un impact conséquent sur les prix des combustibles fossiles, qui sont déjà très élevés. (…)
Les pays européens devront bientôt payer 2 000 € pour 1 000 mètres cubes de gaz naturel. En raison de la hausse des prix, la Russie peut doubler ses revenus en réduisant de moitié son approvisionnement en pétrole et en gaz. La Russie a déjà infligé des souffrances aux pays européens, qui sont fortement tributaires des importations de gaz naturel russe. La Russie a suspendu l’approvisionnement de la Pologne et de la Bulgarie parce qu’elles n’ont pas satisfait à la demande russe de payer le gaz en roubles.
Ressources alimentaires
Après deux semaines d’attaque russe contre l’Ukraine, les prix des denrées alimentaires en Europe sont montés en flèche. Le prix du blé pourrait être un problème urgent pour les pays occidentaux. La Russie et l’Ukraine se partagent ensemble environ 30 % de l’approvisionnement mondial en blé. En raison de la guerre, l’Ukraine ne sera pas en mesure de fournir les niveaux d’avant la guerre. Si la Russie interrompt l’approvisionnement en blé, les pays européens courent un risque sérieux d’insécurité alimentaire. Les prix du maïs, du soja et des huiles végétales ont également déjà grimpé en flèche. (…)
Engrais
La Russie a une influence considérable sur le commerce mondial des engrais, car elle est l’un des plus grands exportateurs d’engrais au monde. Elle pourrait perturber la chaîne d’approvisionnement mondiale en intrants agricoles vitaux. Selon les données du Fertilizer Institute, la Russie se partage 23 % des exportations d’ammoniac, 14 % de celles d’urée et 21 % de celles de potasse. De même, le prêteur néerlandais Rabobank a déclaré que la Russie et le Belarus réunis ont exporté plus de 40 % des exportations mondiales de potasse l’année dernière. Elle a également suggéré que la Russie exporte environ 14 % de phosphate monoammonique.
La Russie pourrait étrangler l’Occident en perturbant l’exportation de potasse, d’ammoniac, d’urée et d’autres nutriments du sol. (…)
Haute technologie
La Russie est un important exportateur d’aluminium, de nickel, de titane et de palladium – tous des métaux cruciaux pour les industries manufacturières de haute technologie. Cela peut causer des problèmes dans l’industrie manufacturière de haute technologie dans les pays occidentaux. La Russie représente environ 49% des exportations mondiales, le palladium 42%, l’aluminium 26%, le platine 13%, l’acier 7% et le cuivre 4%.
Si la Russie arrête l’exportation de nickel, cela signifie l’arrêt immédiat de la moitié des exportations mondiales de nickel pour la fabrication d’ustensiles de cuisine, de téléphones portables, d’équipements médicaux, de transports, de bâtiments et de centrales électriques.
De même, si la Russie arrête l’exportation de palladium, il y aura une pénurie de palladium pour les industries qui fabriquent des convertisseurs catalytiques, des électrodes et des appareils électroniques. Le palladium est utilisé dans l’industrie des puces, car il est un élément crucial des capteurs, de la mémoire et du stockage de l’énergie et des équipements de diffusion, des ordinateurs et d’autres utilisations. Les États-Unis importent de Russie 35 % du palladium destiné à leur fabrication de haute technologie.
De même, un quart de l’aluminium destiné aux véhicules, à la construction, aux machines et aux industries d’emballage des pays occidentaux sera affecté, ce qui entraînera des hausses de prix massives dans les pays occidentaux et dans le reste du monde.
La Russie pourrait perturber l’industrie aérospatiale occidentale en interrompant les livraisons de titane, dont la Russie est un exportateur crucial puisqu’elle se partage environ 30 % de l’offre mondiale. La Russie est l’un des plus grands producteurs de titane au monde, puisqu’elle en produit jusqu’à 40 000 tonnes par an.
La Russie peut souffler l’Airbus européen, qui achète environ la moitié de son titane en Russie, et le Boeing américain, qui importe également une quantité considérable de ce métal pour fabriquer des avions.
Le prix du nickel a atteint 25 000 dollars la tonne pour la première fois depuis 2011, tandis que le prix du palladium a bondi à son plus haut niveau depuis août dernier en raison du conflit Russie-Ukraine.
Ressource forestière
La Russie n’inflige pas seulement des douleurs aux pays occidentaux en empêchant l’exportation de nourriture, d’engrais et de matières premières, mais aussi de produits forestiers. La Russie est le premier fournisseur de bois d’œuvre au monde. Elle est le septième exportateur mondial de produits forestiers. La Russie exporte 40 % de ses produits forestiers, tels que le bois d’œuvre et les produits en papier, vers la Chine, et le reste vers l’Europe. La Russie a la possibilité de prendre des mesures de rétorsion à l’encontre des pays européens en interrompant l’exportation de produits forestiers. Les industries européennes du bois, du papier, de la pâte à papier et du mobilier seront confrontées à de graves problèmes en raison de la hausse des prix et de la concurrence avec la Chine.
Des gaz (rares) peu nombreux
La Russie pourrait utiliser une autre voie pour riposter aux industries américaines des semi-conducteurs en perturbant l’approvisionnement en gaz inertes rares. Les États-Unis considèrent le semi-conducteur comme un joyau de leur industrie de haute technologie. Gabrielle Athanasia et Gregory Arcuri ont écrit : « Les récentes opérations offensives russes le long de la côte de la mer Noire ont contraint au moins deux des trois principales entreprises ukrainiennes de séparation de l’air (Cryoin et Ingas) à cesser leurs activités à Odesa et Mariupol, interrompant ainsi une part importante des exportations mondiales de gaz rares. » Ils ont ajouté : « L’Ukraine est le plus grand fournisseur mondial de gaz rares, notamment le néon, le krypton et le xénon. Au niveau mondial, l’Ukraine fournit environ 70 % du gaz néon et 40 % du krypton. En outre, l’Ukraine fournit 90 % du néon hautement purifié, de qualité semi-conducteur, utilisé par l’industrie américaine pour la production de puces. » La Russie peut bombarder et détruire ces installations ukrainiennes pour déstabiliser l’industrie américaine des semi-conducteurs (…). «
Il est commun de dire que les Etats-Unis pourraient se sortir mieux de ce qu’ils ont déclenché que l’Union Européenne. A lire une telle analyse, rien n’est moins sûr.
+ On ne rit pas: « Dans de nouvelles orientations sur les paiements de gaz, la Commission européenne prévoit de dire que les entreprises doivent déclarer clairement qu’elles considèrent que leurs obligations sont remplies lorsqu’elles paient en euros ou en dollars, conformément aux contrats existants, selon des sources familières avec le sujet.
L’organe exécutif de l’UE a indiqué aux gouvernements que ces orientations n’empêchent pas les entreprises d’ouvrir un compte à Gazprombank et leur permettront d’acheter du gaz conformément aux sanctions de l’UE suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ont ajouté ces personnes« .
Pendant ce temps, le Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui a officiellement commencé hier son cinquième mandat de Premier ministre (le quatrième consécutif), continue de bloquer un éventuel embargo de l’UE sur le pétrole russe.
+ L’Ukraine aurait besoin de 5 milliards de dollars par mois. Zelenski supplie le FMI d’accélérer les négociations concernant un nouveau prêt.
Une réflexion clausewitzienne de M.K. Bhadrakumar
Extraits d’une des dernières contributions de M.K. Bhadrakumar. A savourer sans modération:
« La guerre en Ukraine est une quintessence de Clausewitz. Et pour la comprendre, il faut revenir à Carl von Clausewitz, le doyen de la guerre moderne, qui reconnaissait que la guerre est d’une variété pratiquement illimitée, « complexe et changeante », et notait que chaque époque a son type particulier de guerre avec « ses propres conditions limites et ses propres idées préconçues ».
Les observations contemporaines de Clausewitz sur le caractère de la guerre au XIXe siècle sont souvent interprétées à tort et à travers comme un plaidoyer en faveur de la nature immuable de la guerre elle-même. Cette complaisance paradigmatique a engendré le récit occidental du conflit ukrainien.
De toute évidence, la partie russe ne s’est pas conformée au récit occidental. Le désarroi qui s’ensuit menace de fragmenter l’unité occidentale. Tous les pays de l’OTAN ne parlent plus d’une seule voix.
Le président américain Joe Biden et le Britannique Boris Johnson déclarent qu’ils ne seront satisfaits de rien d’autre qu’une défaite russe. Les nouveaux Européens – principalement la Pologne et les États baltes – exigent également une fin apocalyptique de l’histoire de la Russie. Un peu à l’écart, le chancelier allemand Olaf Scholz se contente de dire qu’il ne veut pas que la Russie « gagne ». Le Français Emmanuel Macron ne cesse de répéter que sans engager la Russie, l’architecture de sécurité européenne ne peut être construite. Et puis, il y a les sceptiques purs et simples comme la Grèce, la Turquie et la Hongrie.
Biden et Johnson ont le dessus puisqu’ils manipulent la situation actuelle à Kiev et tirent parti de la guerre. Mais même ces deux politiciens endurcis semblent se rendre compte ces derniers temps que les choses sont plus compliquées. La déclaration de vision commune publiée hier à Washington à la suite du sommet spécial États-Unis-ASEAN évite complètement la rhétorique et l’hyperbole américaines habituelles sur l' »agression » russe. (…)
Néanmoins, aussi incroyable que cela puisse paraître, le fait est que le Congrès américain offre à Biden un budget de guerre massif pour aider l’Ukraine, qui dépasse le budget annuel du département d’État et est supérieur à ce qu’il propose de dépenser pour des projets d’énergie verte aux États-Unis.
De même, l’UE, qui a imposé des sanctions si sévères à la Russie, se rend compte tardivement que ces sanctions nuisent davantage aux économies européennes qu’à l’économie russe. Dans certains pays européens, le taux d’inflation annuel approche les 20 %, alors que les prix dans la zone euro ont augmenté de plus de 11 %, en moyenne. Lors d’une vidéoconférence à Moscou jeudi, le président Poutine a souligné que :
Les entreprises russes remplacent régulièrement les partenaires occidentaux qui sont partis en raison des sanctions ;
130 millions de tonnes de céréales sont attendues dans la récolte de la Russie cette année, dont 87 millions de tonnes de blé – « un record absolu dans l’histoire de la Russie » ;
Les taux d’inflation en Russie ont été divisés par plusieurs par rapport aux niveaux de mars ;
L’excédent budgétaire a atteint 2,7 trillions de roubles ;
L’excédent du commerce extérieur a battu tous les records ;
Le rouble affiche « de meilleurs résultats que toutes les autres devises étrangères » depuis le début de 2022. (…)
Pourtant, la Russie n’a pas de calendrier pour cette guerre. Elle prend son temps pour détruire systématiquement les capacités militaires, la base industrielle et l’infrastructure de l’Ukraine de manière globale. Biden et Johnson pensaient que l’attrition s’installerait, puisque la Russie se bat contre le « collectif occidental », après tout.
Mais Poutine leur a rappelé jeudi que la Russie a remporté la Seconde Guerre mondiale « non seulement en combattant sur les lignes de front, mais aussi grâce à sa puissance économique. À l’époque, elle [la Russie] a dû affronter non seulement le potentiel industriel de l’Allemagne, mais aussi l’Europe dans son ensemble, asservie par les nazis. » Poutine a délibérément lancé un rappel brutal qui résonnera en Europe.
Un consensus européen sur un embargo pétrolier contre la Russie semble déjà difficile à atteindre. Jusqu’à présent, vingt entreprises européennes se sont conformées à l’échéance fixée par Moscou à la fin du mois de mai pour régler leurs achats de gaz en roubles. Parmi elles figure l’Allemagne, la puissance européenne.
Les dirigeants de l’UE, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen et le chef de la politique étrangère Josep Borrell, deux fervents atlantistes et russophobes purs et durs, ont poussé le bouchon trop loin. L’unité de l’UE survivra-t-elle à ces fissures ? L’appel de Scholz à Poutine vendredi, qui a rouvert une ligne de communication après plusieurs semaines, doit être compris dans ce contexte. Il est intéressant de noter que le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, s’est également entretenu avec son homologue russe, Sergey Shoigu, vendredi – leur première conversation depuis le début des opérations russes en février.
En effet, il est tout à fait concevable que le moment soit venu de réexaminer le projet de gazoduc Nord Stream 2. La fermeture de tous les gazoducs russes passant par la Pologne et la fermeture des pipelines ukrainiens laissent l’Allemagne à deux doigts d’une pénurie d’électricité qui interromprait la production industrielle. (…)
Karl Marx appelait cela « l’annihilation de l’espace par le temps ». Le phénomène des conflits régionaux s’est éteint, et la violence localisée a des implications mondiales grâce aux progrès des transports, de la communication et des technologies. Le changement de paradigme actuel est dû à une révolution militaro-industrielle, ce qui en fait une période de changement brutal et discontinu où les régimes militaires existants sont bouleversés par de nouveaux régimes plus dominants, laissant derrière eux les anciennes manières de faire la guerre.
On aurait pu penser que sur un champ de bataille clausewitzien, les anciennes armées alignées les unes contre les autres feraient feu et manœuvreraient selon les instructions du commandant. Mais en Ukraine, en revanche, celles-ci ont été remplacées par des formes ambiantes de violence physique et non physique – sniping, drones létaux, missiles hypersoniques, attaque électronique, spoofing, désinformation de l’autre et ainsi de suite. La Russie pratique une guerre à laquelle l’Occident n’est pas habitué – où les guerres ne sont plus gagnées. Il est très peu probable qu’il y ait une cérémonie marquant la fin de la guerre en Ukraine ».
Le duc de Richelieu (1766-1822), gouverneur de la Nouvelle Russie de 1803 à 1814, a sa statue à Odessa face au port
Merci pour cette analyse….une bouffé d´oxygene
La réalité russe est intangible depuis Alexandre le Grand. L’hubris transatlantique ne pourra jamais rien contre la puissance économique d’un pays grand comme un continent.
Analyse remarquable, qui nous redonne un peu d’espoir. Un nouveau grand merci, Edouard !
Merci au Courrier des stratèges pour vos nalizes. Réflexion tellement pertinente de M. K. BHADRAKUMAR qui répond magistralement aux fanfaronnades occidentales sur l’échec, dès les premiers jours, de l’opération spéciale menée par Vlad: La Russie pratique une guerre à laquelle l’Occident n’est pas habitué – où les guerres ne sont plus gagnées. Il est très peu probable qu’il y ait une cérémonie marquant la fin de la guerre en Ukraine”.
L’occident est bel et bien en déclin.
Le liste n’étant pas exhaustive, toute personne dotée d’un cerveau en état de marche comprend immédiatement que les zobèses sont des tarés indécrottables qui sont incapables d’apprendre de leurs propres erreurs, et que ceux qui leur lèchent la rondelle ont non-seulement la langue chargée, mais sont aussi fous comme des lapins suicidaires.
Si VP ferme ne serait-ce que quelques-uns des robinets décrits ici, la catastrophe qui s’annonçait aura l’air d’une rigolade à côté de celle qui tombera sur la tête des zeuroP4…
Toujours aussi intéressant ce point de situation.
Sur la question agricole nous avons une autre dépendance fatale, mais qui concerne notre élevage et qui en l’occurrence vient de l’autre côté de l’Atlantique, c’est le soja.
Il y aurait pourtant une solution nationale à ça, pour laquelle la volonté politique est défaillante depuis un demi-siècle en France, c’est le développement résolu et massif d’une filière nationale de protéagineux adaptée à notre climat (tandis que le soja en France ne pousse qu’au sud de Toulouse).
Et là je dois parler d’une plante qui est cultivée en Méditerranée depuis l’Antiquité, puis au nord de la Loire depuis le 18ème siècle, et qui nous ramène à notre dépendance aux ENGRAIS russes : le LUPIN.
En effet le lupin est une protéagineuse qui a un effet fertilisant hors du commun.
Au minimum 250 kg d’apport azoté par hectare. Des travaux russes ont montré même des apports jusqu’à 400 kg/ha (la Russie est (re)devenue le deuxième producteur mondial de lupins depuis peu). Mais avec le lupin on obtient aussi 80 kg/ha de phosphore ; même chose pour le potassium.
Bref, on a une part de la fameuse triade NPK en une seule plante.
Le lupin pousserait partout en France depuis 20 ans si l’Etat encourageait la filière.
A la fin des années 70, l’INRA, alors que notre ministère de l’agriculture avait eu sous Giscard sa première vellléité de développer une filière protéines végétales nationale, avait lancé un programme de recherche sur le lupin blanc. Programme totalement achevé en 2003.
Nous avons donc depuis au moins 20 ans de quoi nourrir en protéines végétales notre élevage, sans OGM qui plus est, et d’autre part de quoi développer une filière de fertilisation naturelle pour nos cultures, ce qui a l’heure du développement de l’agriculture biologique serait utile au pays.
Mais comme pour à peu près tout maintenant en France il manque la volonté politique.
Mais le plus excitant n’est pas là.
Il y aurait un véritable « game changer » pour la filière lupin en France et dans le monde.
C’est un procédé de désamérisation* des lupins mis au point sur fonds européen dans les années 80 dans un labo de recherche de la CEE à Florence par une équipe de chimistes allemands et qui fut abandonné mystérieusement, alors que le prototype industriel était au point. Le labo fut détruit, le brevet racheté par un labo suisse qui n’en fit RIEN !
Mis au congélateur pendant 20 ans le brevet est maintenant libre de droits…
Il y aurait de quoi faire pour un investisseur audacieux.
Peut-être pas en France, où la filière stagne avec deux acteurs complémentaires enfermés dans un tête-à-tête stérilisant, une inter-profession assez frileuse, et un lobby soja-maïs puissant. Le Portugal serait peut-être un meilleur candidat.
Mais quel intérêt à la désamérisation des lupins ?
Les lupins à l’état disons « sauvage » contiennent des alkaloïdes, peu appétants (amertume) et potentiellement toxiques. Aussi depuis les années 1920 les chercheurs allemands et soviétiques mirent au point des sélections variétales de lupins doux les rendant beaucoup plus appétants pour le bétail. Ce faisant ils ont cependant rendu la plante moins résistante aux maladies, ce qui fut un frein à son développement à partir des années 70 (épidémies de fusariose puis d’anthracnose).
Le procédé mis au point à Florence permettait d’extraire (à température ambiante !) les alkaloides des lupins.
Résultat :
1- suppression totale de l’amertume dans le produit final. Donc il redevient possible de cultiver des lupins amers, résistants aux maladies.
On pourrait même développer des lupins super amers (de façon contrôlée bien sûr (ne pas créer une plante invasive)).
2- Surtout, il a été démontré (publications scientifiques) que les alkaloïdes des lupins avait des propriétés biostimulantes spectaculaires, et que par ailleurs ses propriétés anti-oxydantes avaient des applications en médecine (diabète notamment) et en cosmétique, tout ça apportant une plus-value considérable à la production d’une plante ayant déjà des atouts formidables pour l’autonomie alimentaire de la France.
J’oubliais une autre propriété des précieux alkaloïdes des lupins.
Des publications scientifiques ont démontré qu’ils ont un effet répulsif sur les ravageurs (les limaces par exemple). En plus de l’utilisation du lupin comme fertilisant nature on a donc en outre le développement possible d’une gamme phytosanitaire naturelle.
Très intéressant, merci !
Bonjour Nico69. Sans vouloir remettre en cause l’intérêt de la culture du lupin, j’ai vu, il y a de nombreuses années, un champ de soja dans le Berry, bien au Nord de Toulouse. Le problème, encore et toujours, c’est l’Union Européenne qui a signé des accords commerciaux avec les États-Unis et qui s’est engagée à limité la culture du soja sur le territoire de l’UE. D’où les importations de soja américain ou brésilien.
J’ai vu il y a un an ou deux qu’il y a des travaux pour adapter des variétés au nord de la Loire. Je pense que ça reste limité cependant, et puis il y a ce que vous écrivez sur les Etats-Unis (encore eux, toujours eux ! même si j’apprécie Trump il a pesé publiquement en 2018 sur ce dossier).
Deux choses à ajouter : le soja est un modificateur endocrinien dangereux et l’Arsène convient tout à fait à la nutrition humaine une fois préparé convenablement, faisant de lui une source de protéines très importante pour un futur que nous espérons proche, mais qui, comme vous le faites remarquer, a très peu de chances de se matérialiser dans ce pays où le seul horizon à long terme des politocards est la mise en coupe réglée de la population.
« l’Arsène convient tout à fait à la nutrition humaine une fois préparé convenablement, faisant de lui une source de protéines très importante pour un futur que nous espérons proche »
Tout à fait. Terrena travaille là-dessus. 😉
Côté alimentation du bétail Valorex creuse son sillon mais ça reste cantonné à la Bretagne.
Je me demande si il n’y aurait pas eu une forme de deal nauséabond aux étages supérieurs, au niveau de l’inter-profession : ok pour l’alimentation humaine, stop pour l’alimentation du bétail.
Ce qui me fait penser ça c’est que je sais que l’inter-profession a refusé de pousser le dossier lupin à l’hiver 2018/2019 à la Commission Européenne , alors même que le Parlement européen avait pourtant voté le 17 avril une résolution de stratégie européenne pour la promotion des cultures protéagineuses !
Il ne faut rien attendre de ces gens – tout comme les autres, ce sont devenus des rentiers de situation et ils ne bougeront donc pas le petit doigt pour une plante qu’ils connaissent mal, voire pas du tout. En fait, on ne peut plus rien attendre de constructif du système actuel, tellement il est corrompu, conservateur à rebrousse-poil et clientéliste (et pas que vis-à-vis de l’agriculture), le salut viendra sans aucun doute des petits producteurs qui sont en train d’organiser leurs propres petites coopératives sous des formes très différentes de l’existant, ce qui est plutôt bien vu, parce que la réactivité y reste maximale et la malléabilité est au rendez-vous.
D’ailleurs, je me demande si la solution la plus simple n’est pas de complètement ignorer ce système pourri, ce qui rejoint l’édification d’une nouvelle société en marge de l’actuelle qui est en train de se profiler rapidement. Personnellement, si quelqu’un en cultivait près de chez moi, je sauterais les intermédiaires et j’irais me fournir en direct – et comme je n’ai rien d’exceptionnel, il y a de bonnes chances que pas mal de personnes pensent de la même façon, marre des catalogues des grainetiers qui en croque et vive les vieux légumes et certains nouveaux, du moment qu’il n’y ait pas de saloperies chimiques répandues dessus 😉
Les légumineuses ne sont pas fait pour l’humain. C’est bourré d’anti nutriments, ça demande une cuisson longue et toxique (hyperleucocytose), une Agriculture complexe et dégradante, etc…
merci aux commentateurs pour leur digression sur les « protéagineuses », et merci à ce site qui permet à partir d’info régulières sur la guerre en Ukraine d’apprendre des choses sur les politiques agricoles…